La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Comme un fleuve s’est mis À aimer son voyage Un jour tu t’es trouvée Dévêtue dans mes bras
Et je n’ai plus songé Qu’à te couvrir de feuilles De mains nues et de feuilles Pour que tu n’aies point froid
Car t’aimais-je autrement Qu’à travers tes eaux vives Corps de femme un instant Suspendu à mes doigts
Et pouvais-je poser Sur tant de pierres chaudes Un regard qui n’aurait Été que du désir ?
Vierge tu réponds mieux À l’obscure sentence Que mon coeur fait peser Doucement sur ton coeur
Et si j’ai le tourment De ta métamorphose C’est qu’il me faut aimer Ton amour avant toi.
II
Je t’attendais ainsi qu’on attend les navires Dans les années de sécheresse quand le blé Ne monte pas plus haut qu’une oreille dans l’herbe Qui écoute apeurée la grande voix du temps
Je t’attendais et tous les quais toutes les routes Ont retenti du pas brûlant qui s’en allait Vers toi que je portais déjà sur mes épaules Comme une douce pluie qui ne sèche jamais
Tu ne remuais encor que par quelques paupières Quelques pattes d’oiseaux dans les vitres gelées Je ne voyais en toi que cette solitude Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou
Et pourtant c’était toi dans le clair de ma vie Ce grand tapage matinal qui m’éveillait Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays Ces astres ces millions d’astres qui se levaient
Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres Pétillaient dans le soir ainsi qu’un vin nouveau Quand les portes s’ouvraient sur des villes légères Où nous allions tous deux enlacés par les rues
Tu venais de si loin derrière ton visage Que je ne savais plus à chaque battement Si mon cœur durerait jusqu’au temps de toi-même Où tu serais en moi plus forte que mon sang.
III
Les chevaux de l’amour me parlent de rencontres Qu’ils font en revenant par des chemins déserts Une femme inconnue les arrête et les baigne D’un regard douloureux tout chargé de forêts
Méfie-toi disent-ils sa tristesse est la nôtre Et pour avoir aimé une telle douleur Tu ne marcheras plus tête nue sous les branches Sans savoir que le poids de la vie est sur toi
Mais je marche et je sais que tes mains me répondent Ô femme dans le clair prétexte des bourgeons Et que tu n’attends pas que les fibres se soudent Pour amoureusement y graver nos prénoms
Tu roules sous tes doigts comme des pommes vertes De soleil en soleil les joues grises du temps Et poses sur les yeux fatigués des villages La bonne taie d’un long sommeil de bois dormant
Montre tes seins que je voie vivre en pleine neige La bête des glaciers qui porte sur le front Le double anneau du jour et la douceur de n’être Qu’une bête aux yeux doux dont on touche le fond
Telle tu m’apparais que mon amour figure Un arbre descendu dans le chaud de l’été Comme une tentation adorable qui dure Le temps d’une seconde et d’une éternité.
IV
Derrière les rideaux et l’épaisseur du temps Sans toi comme les nuits sont froides mon enfant
Le sommeil et la rue sont pleins de gens d’hôtel Qui parlent haut et brisent tout quand je t’appelle
Et je t’appelle malgré tout et je sais bien Que dans ces battements de cœur tu me reviens
Que tu recrées de douces mains à ton usage Et que le vent léger rallume ton visage
Afin que je le voie dans l’épaisseur du temps Comme une flamme toujours vive mon enfant.
René-Guy CADOU, Quatre poèmes d’amour à Hélène, (Hélène ou le règne végétal, 1945)
Et maintenant tu es Douve dans la dernière chambre d’été.
Une salamandre fuit sur le mur. Sa douce tête d’homme répand la mort de l’été. « Je veux m’abîmer en toi, vie étroite, crie Douve. Éclair vide, cours sur mes lèvres, pénètre-moi !
« J’aime m’aveugler, me livrer à la terre. J’aime ne plus savoir quelles dents froides me possèdent. »
II
Toute une nuit je t’ai rêvée ligneuse. Douve, pour mieux t’offrir à la flamme. Et statue verte épousée par l’écorce, pour mieux jouir de ta tête éclairante.
Éprouvant sous mes doigts le débat du brasier et des lèvres : je te voyais me sourire. Or, ce grand jour en toi des braises m’aveuglait.
III
« Regarde-moi, regarde-moi, j’ai couru ! »
Je suis prés de toi, Douve, je t’éclaire. Il n’y a plus entre nous que cette lampe rocailleuse, ce peu d’ombre apaisé, nos mains que l’ombre attend. Salamandre surprise, tu demeures immobile.
Ayant vécu l’instant où la chair la plus proche se mue en connaissance.
IV
Ainsi restions-nous éveillés au sommet de la nuit de l’être. Un buisson céda.
Rupture secrète, par quel oiseau de sang circulais-tu dans nos ténèbres ?
Quelle chambre rejoignais-tu, où s’aggravait l’horreur de l’aube sur les vitres
Quand reparut la salamandre, le soleil
Était déjà très bas sur toute terre,
Les dalles se paraient de ce corps rayonnant.
Et déjà il avait rompu cette dernière
Attache qu’est le cœur que l’on touche dans l’ombre
Sa blessure créa, paysage rocheux, Une combe où mourir sous un ciel immobile. Tourné encor à toutes vitres, son visage S’illumina de ces vieux arbres où mourir.
Cassandre, dira-t-il, mains désertes et peintes, Regard puisé plus bas que tout regard épris, Accueille dans tes mains, sauve dans leur étreinte Ma tête déjà morte où le temps se détruit.
L’Idée me vient que je suis pur et je demeure Dans la haute maison dont je m’étais enfui. Oh pour que tout soit simple aux rives où je meure Resserre entre mes doigts le seul livre et le prix.
Lisse-moi, farde-moi. Colore mon absence. Désœuvré ce regard qui méconnaît la nuit. Couche sur moi les plis d’un durable silence, Éteins avec la lampe une terre d’oubli.
Le galet n’est pas une chose facile à bien définir.
Si l’on se contente d’une simple description l’on peut dire d’abord que c’est une forme ou un état de la pierre entre le rocher et le caillou.
Mais ce propos déjà implique de la pierre une notion qui doit être justifiée. Qu’on ne me reproche pas en cette matière de remonter plus loin même que le déluge.
*
Tous les rocs sont issus par scissiparité d’un même aïeul énorme. De ce corps fabuleux l’on ne peut dire qu’une chose, savoir que hors des limbes il n’a point tenu debout.
La raison ne l’atteint qu’amorphe et répandu parmi les bonds pâteux de l’agonie. Elle s’éveille pour le baptême d’un héros de la grandeur du monde, et découvre le pétrin affreux d’un lit de mort.
Que le lecteur ici ne passe pas trop vite, mais qu’il admire plutôt, au lieu d’expressions si épaisses et si funèbres, la grandeur et la gloire d’une vérité qui a pu tant soi peu se les rendre transparentes et n’en paraître pas tout à fait obscurcie.
Ainsi, sur une planète déjà terne et froide, brille à présent le soleil. Aucun satellite de flammes à son égard ne trompe plus. Toute la gloire et toute l’existence, tout ce qui fait voir et tout ce qui fait vivre, la source de toute apparence objective s’est retirée à lui. Les héros issus de lui qui gravitaient dans son entourage se sont volontairement éclipsés. Mais pour que la vérité dont ils abdiquent la gloire — au profit de sa source même — conserve un public et des objets, morts ou sur le point de l’être, ils n’en continuent pas moins autour d’elle leur ronde, leur service de- spectateurs.
L’on conçoit qu’un pareil sacrifice, l’expulsion de la vie hors de natures autrefois si glorieuses et si ardentes, ne soit pas allé sans de dramatiques bouleversements intérieurs. Voilà l’origine du gris chaos de la Terre, notre humble et magnifique séjour.
Ainsi, après une période de torsions et de plis pareils à ceux d’un corps qui s’agite en dormant sous les couvertures, notre héros, maté (par sa conscience) comme par une monstrueuse camisole de force, n’a plus connu que des explosions intimes, de plus en plus rares, d’un effet brisant sur une enveloppe de plus en plus lourde et froide.
Lui mort et elle chaotique sont aujourd’hui confondus.
*
De ce corps une fois pour toutes ayant perdu avec la faculté de s’émouvoir celle de se refondre en une personne entière, l’histoire depuis la lente catastrophe du refroidissement ne sera plus que celle d’une perpétuelle désagrégation. Mais c’est à ce moment qu’il advient d’autres choses : la grandeur morte, la vie fait voir aussitôt qu’elle n’a rien de commun avec elle. Aussitôt, à mille ressources.
Telle est aujourd’hui l’apparence du globe. Le cadavre en tronçons de l’être de la grandeur du monde ne fait plus que servir de décor à la vie de millions d’êtres infiniment plus petits et plus éphémères que lui. Leur foule est par endroits si dense qu’elle dissimule entièrement l’ossature sacrée qui leur servit naguère d’unique support. Et ce n’est qu’une infinité de leurs cadavres qui réussissant depuis lors à imiter la consistance de la pierre, par ce qu’on appelle la terre végétale, leur permet depuis quelques jours de se reproduire sans rien devoir au roc.
Par ailleurs l’élément liquide, d’une origine peut-être aussi ancienne que celui dont je traite ici, s’étant assemblé sur de plus ou moins grandes étendues, le recouvre, s’y frotte, et par des coups répétés active son érosion.
Je décrirai donc quelques-unes des formes que la pierre actuellement éparse et humiliée par le monde montre à no3 yeux.
Les plus gros fragments, dalles à peu près invisibles sous les végétations entrelacées qui s’y agrippent autant par religion que pour d’autres motifs, constituent l’ossature du globe.
Ce sont là de véritables temples : non point des constructions élevées arbitrairement au-dessus du sol mais les restes impassibles de l’antique héros qui fut naguère véritablement au monde.
Engagé à l’imagination de grandes choses parmi l’ombre et le parfum des forêts qui recouvrent parfois ces blocs mystérieux, l’homme par l’esprit seul suppose là-dessous leur continuité.
Dans les mêmes endroits, de nombreux blocs plus petits attirent son attention. Parsemées sous bois par le Temps, d’inégales boules de mie de pierre, pétries par les doigts sales de ce dieu.
Depuis l’explosion de leur énorme aïeul, et de leur trajectoire aux cieux abattus sans ressort, les rochers se sont tus.
Envahis et fracturés par la germination, comme un homme qui ne se rase plus, creusés et comblés par la terre meuble, aucun d’eux devenus incapables d’aucune réaction ne pipe plus mot.
Leurs figures, leurs corps se fendillent. Dans les rides de l’expérience la naïveté s’approche et s’installe. Les roses s’assoient sur leurs genoux gris, et elles font contre eux leur naïve diatribe. Eux les admettent. Eux, dont jadis la grêle désastreuse éclaircit les forêts, et dont la durée est éternelle dans la stupeur et la résignation.
Ils rient de voir autour d’eux suscitées et condamnées tant de générations de fleurs, d’une carnation d’ailleurs quoi qu’on dise à peine plus vivante que la leur, et d’un rose aussi pâle et aussi fané que leur gris. Ils pensent (comme des statues sans se donner la peine de le dire) que ces teintes sont empruntées aux lueurs des cieux au soleil couchant, lueurs elles-mêmes par les cieux essayées tous les soirs en mémoire d’un incendie bien plus éclatant, lors de ce fameux cataclysme à l’occasion duquel projetés violemment dans les airs, ils connurent une heure de liberté magnifique terminée par ce formidable atterrement. Non loin de là, la mer aux genoux rocheux des géants spectateurs sur ses bords des efforts écumants de leurs femmes abattues, sans cesse arrache des blocs qu’elle garde, étreint, balance, dorlote, ressasse, malaxe, flatte et polit dans ses bras contre son corps ou abandonne dans un coin de sa bouche comme une dragée, puis ressort de sa bouche, et dépose sur un bord hospitalier en pente douce parmi un troupeau déjà nombreux à sa portée, en vue de l’y reprendre bientôt pour s’en occuper plus affectueusement, passionnément encore.
Cependant le vent souffle. D fait voler le sable. Et si l’une de ces particules, forme dernière et la plus infime de l’objet qui nous occupe, arrive à s’introduire réellement dans nos yeux, c’est ainsi que la pierre, par la façon d’éblouir qui lui est particulière, punit et termine notre contemplation.
La nature nous ferme ainsi les yeux quand le moment vient d’interroger vers l’intérieur de la mémoire si les renseignements qu’une longue contemplation y a accumulés ne l’auraient pas déjà fournie de quelques principes.
A l’esprit en mal de notions qui s’est d’abord nourri de telles apparences, à propos de la pierre la nature apparaîtra enfin, sous un jour peut-être trop simple, comme mie montre dont le principe est fait de roues qui tournent à de très inégales vitesses, quoiqu’elles soient agies par un unique moteur.
Les végétaux, les animaux, les vapeurs et les liquides, à mourir et à renaître tournent d’une façon plus ou moins rapide. La grande roue de la pierre nous paraît pratiquement immobile, et, même théoriquement, nous ne pouvons concevoir qu’une partie de la phase de sa très lente désagrégation.
Si bien que contrairement à l’opinion commune qui fait d’elle aux yeux des hommes un symbole de la durée et de l’impassibilité, l’on peut dire qu’en fait la pierre ne se reformant pas dans la nature, elle est en réalité la seule chose qui y meure constamment.
En sorte que lorsque la vie, par la bouche des êtres qui en reçoivent successivement et pour une assez courte période le dépôt, laisse croire qu’elle envie la solidité indestructible du décor qu’elle habite, en réalité elle assiste à la désagrégation continue de ce décor. Et voici l’unité d’action qui lui paraît dramatique : elle pense confusément que son support peut un jour lui faillir, alors qu’elle-même se sent éternellement res-suscitable. Dans un décor qui a renoncé à s’émouvoir, et songe seulement à tomber en ruines, la vie s’inquiète et s’agite de ne savoir que ressusciter.
Il est vrai que la pierre elle-même se montre parfois agitée. C’est dans ses derniers états, alors que galets, graviers, sable, poussière, elle n’est plus capable de jouer son rôle de contenant ou de support des choses animées. Désemparée du bloc fondamental elle roule, elle vole, elle réclame une place à la surface, et toute vie alors recule loin des mornes étendues où tour à tour la disperse et la rassemble la frénésie du désespoir.
Je noterai enfin, comme un principe très important, que toutes les formes de la pierre, qui représentent toutes quelque état de son évolution, existent simultanément au monde. Ici point de générations, point de races disparue». Les Temples, les Demi-Dieux, les Merveilles, les Mammouths, les Héros, les Aïeux voisinent chaque jour avec les petits-fils. Chaque homme peut toucher en chair et en os tous les possibles de ce monde dans son jardin. Point de conception : tout existe; ou plutôt, comme au paradis, toute la conception existe.
*
Si maintenant je veux avec plus d’attention examiner l’un des types particuliers de la pierre, la perfection de sa forme, le fait que je peux le saisir et le retourner dans ma main, me font choisir le galet.
Aussi bien, le galet est-il exactement la pierre à l’époque où commence pour elle l’âge de la personne, de l’individu, c’est-à-dire de la parole.
Comparé au banc rocheux d’où il dérive directement, il est la pierre déjà fragmentée et polie en un très grand nombre d’individus presque semblables. Comparé au plus petit gravier, l’on peut dire que par l’endroit où on le trouve, parce que l’homme aussi n’a pas coutume d’en faire un usage pratique, il est la pierre encore sauvage, ou du moins pas domestique.
Encore quelques jours sans signification dans aucun ordre pratique du monde, profitons de ses vertus.
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Apporté un jour par l’une des innombrables charrettes du flot, qui depuis lors, semble-t-il, ne déchargent plus que pour les oreilles leur vaine cargaison, chaque galet repose sur l’amoncellement des formes de son antique état, et des formes de son futur.
Non loin des lieux où une couche de terre végétale recouvre encore ses énormes aïeux, au bas du banc rocheux où s’opère l’acte d’amour de ses parents immédiats, il a son siège au sol formé du grain des mêmes, où le flot terrassier le recherche et le perd.
Mais ces lieux où la mer ordinairement le relègue sont les plus impropres à toute homologation. Ses populations y gisent au su de la seule étendue. Chacun s’y croit perdu parce qu’il n’a pas de nombre, et qu’il ne voit que des forces aveugles pour tenir compte de lui.
Et en effet, partout où de tels troupeaux reposent, ils couvrent pratiquement tout le sol, et leur dos forme un parterre incommode à la pose du pied comme à celle de l’esprit.
Pas d’oiseaux. Des brins d’herbe parfois sortent entre eux. Des lézards les parcourent, les contournent sans façon. Des sauterelles par bonds s’y mesurent plutôt entre elles qu’elles ne les mesurent. Des hommes parfois jettent distraitement au loin l’un des leurs.
Mais ces objets du dernier peu, perdus sans ordre au milieu d’une solitude violée par les herbes sèches, les varechs, les vieux bouchons et toutes sortes de débris des provisions humaines, — imperturbables parmi les remous les plus forts de l’atmosphère, — assistent muets au spectacle de ces forces qui courent en aveugles à leur essoufflement par la chasse de tout hors de toute raison.
Pourtant attachés nulle part, ils restent à leur place quelconque sur l’étendue. Le vent le plus fort pour déraciner un arbre ou démolir un édifice, ne peut déplacer un galet. Mais comme il fait voler la poussière alentour, c’est ainsi que parfois les furets de l’ouragan déterrent quelqu’une de ces bornes du hasard à leurs places quelconques depuis des siècles sous la couche opaque et temporelle du sable.
Mais au contraire l’eau, qui rend glissant et communique sa qualité de fluide à tout ce qu’elle peut entièrement enrober, arrive parfois à séduire ces formes et à les entraîner. Car le galet se souvient qu’il naquit par l’effort de ce monstre informe sur le monstre également informe de la pierre. Et comme sa personne encore ne peut être achevée qu’à plusieurs reprises par l’application du liquide, elle lui reste à jamais par définition docile-Terne au sol, comme le jour est terne par rapport à la nuit, à l’instant même où l’onde le reprend elle lui donne à luire. Et quoiqu’elle n’agisse pas en profondeur, et ne pénètre qu’à peine le très fin et très serré agglomérat, la très mince quoique très active adhérence du liquide provoque à sa surface une modificaV tion sensible. Il semble qu’elle la repolisse, et panse ainsi elle-même les blessures faites par leurs précédentes amours. Alors, pour un moment, l’extérieur du galet ressemble à son intérieur : il a sur tout le corps l’œil de la jeunesse.
Cependant sa forme à la perfection supporte les deux milieux. Elle reste imperturbable dans le désordre des mers. D en sort seulement plus petit, mais entier, et, si l’on veut aussi grand, puisque ses proportions ne dépendent aucunement de son volume.
Sorti du liquide il sèche aussitôt. C’est-à-dire que malgré les monstrueux efforts auxquels il a été soumis, la trace liquide ne peut demeurer à sa surface : il la dissipe sans aucun effort.
Enfin, de jour en jour plus petit mais toujours sûr de sa forme, aveugle, solide et sec dans sa profondeur, son caractère est donc de ne pas se laisser confondre mais plutôt réduire par les eaux. Aussi, lorsque vaincu il est enfin du sable, l’eau n’y pénètre pas exactement comme à la poussière. Gardant alors toutes les traces, sauf justement celles du liquide, qui se borne à pouvoir effacer sur lui celles qu’y font les autres, il laisse à travers lui passer toute la mer, qui se perd en sa profondeur sans pouvoir en aucune façon faire avec lui de la boue.
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Je n’en dirai pas plus, car cette idée d’une disparition de signes me donne à réfléchir sur les défauts d’un style qui appuie trop sur les mots.
Trop heureux seulement d’avoir pour ces débuts su choisir le galet : car un homme d’esprit ne pourra que sourire, mais sans doute il sera touché, quand mes critiques diront : « Ayant entrepris d’écrire une description de la pierre, il s’empêtra. ».
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