La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
J’ai retrouvé dans la coque la vieille fêlure L’humidité qui suinte comme l’éternel poison Et j’ai pleuré, assis la tête contre la cloison De l’autre côté le moteur battait son chant profond Celui qui vient de l’enfance Et dont les basses fréquences Toujours ont raison
Où tu vas poser ton sac Fais un lit avec tes larmes Il flottait dans cet endroit une odeur de goudron et d’urine Gravé dans le travers de la blessure on distinguait un nom Une illusion ou un message ou une marque de fabrique Le monde passait contre les hublots lentement comme un monde Les façades prétentieuses croulaient dans les angles morts On voyait des visages de femmes glacées et pensives Marquant la brume comme d’immatures soleils d’hiver Je ne sais pourquoi je me bats le bateau me conduit dans l’aube Ah vers la haute mer, bien sûr, comme chaque matin Je me retrouve faisant mon méchant trafic dans un port incertain Il faut payer cash, en devises fortes et avec le sourire Je ne sais pourquoi je me bats. J’ai pleuré dans la chaleur torride Le monde est beau ! Les femmes se donnent avec des airs de s’oublier ! Nos victoires sont devant nous qui nous tendent la main !
Où tu vas poser ton sac Fais un lit avec tes larmes
Rien ne peut arriver, pense le voyageur, à cette Mélanésienne d’Ouvéa. Dans sa robe mission rouge et blanche, elle est là, fleur d’hibiscus à l’infini, tombée sur le sable éclatant. Son regard a franchi les récifs du lagon lavande, et plane sur la mer de corail.
Distraitement, elle joue, d’une main, avec trois coquillages et, de l’autre, caresse un petit chien jaune: ils sont des dizaines, dans l’île, qui se ressemblent tous. Au-dessus, l’alizé fait chanter les palmes. Tout près, un bac, jadis utiLisé pour gagner l’atoll voisin, rouille dans les senteurs d’iode, moins immobile que le temps.
Le temps ne se jette pas comme ça tete baissée dans une action sur plusieurs années sans que ce qu’il ait pu penser afin de dire n’ait été réfléchi . Les virages à 180 degrés du jour au lendemain procèdent d’un incident de parcours aléatoire que le quotidien est en droit d’actualiser. Passent toutes sortes d’odeurs ayant le pouvoir de conduire hors du trajet suivi. C’est pour mieux apprendre que l’erreur existe.
Le trois nivôse an II de la République Roger se dressa sur son lit. Des têtes de nègres mugissaient sur les fleuves et l’on suspendait le clergé français par les pieds aux lampadaires de l’avenue de l’Opéra.
Debout Roger s’écria :
« Je m’appelle Robert Desnos la plume au vent c’est la honte des femmes fécondées. Écoutez écoutez la Marseillaise qui porte vers les frontières un petit peu de vinaigre et du feu central.
Allons Patrie mort des enfants
L’arrivée n’est pas la gloire des tyrans
que tu baises au front levé des étendards
Marchons marchons
Que du sillon sorte le sang. »
Trois carriéristes lui passèrent sa chemise, son fin caleçon de soie sa veste de velours à côtes, son casque, son sabre, ses allumettes, son mouchoir et un petit drapeau en cas de grand besoin. Quand il fut prêt il fit à l’historien habituel de sa famille la sanglante histoire transcrite ci-après.
« Volontaire de l’an II je suis monté sur l’estrade dressée place de la Révolution. Des messieurs en redingote s’y tenaient enrubannés de soie tricolore comme des moutons de comice agricole. Un petit vieux en avait fait des papillotes. Les autres s’étaient contentés d’orner leurs oreilles pour réparer l’irréparable surdité de leur sexe. Un tambour battait smistrement au bas des marches. Sur un calicot on lisait « La Patrie est en danger ». C’est alors que devant la marche triomphale de l’ennemi, de l’ennemi abhorre, détrousseur de filles et voleur de pendules, de l’ennemi dont le ventre était Brunswick et la tête Goethe, c’est alors que les jeunes gens de seize ans et les vieillards se disputèrent la gloire de marcher vers un honorable trépas. Les campagnes alors étaient parsemées de drapeaux.
Au bas des marches ronflaient les tambours. Les pères et les fils, les larmes aux yeux, à l’idée de la patrie relevaient leurs pantalons longs jusqu’au-dessus des genoux et ils montaient vers les vieillards. Ceux-ci leur donnaient des livres reliés de toile reuge et dorés sur tranche, des couronnes de lauriers en papier doré, des livrets de caisse d’épargne. De joie la populace.s’enivrait dans les faubourgs. Mais moi ma couronne sur la tête, mon livret de caisse d’épargne dans ma poche, je me cachais pour lire le livre qu’on m’avait donné.
Le titre était « Sauve qui peut. »
« Un jour, commençait l’auteur, je rencontrai sur une route une femme merveilleuse elle avait des seins de poissons et ses yeux murmuraient à l’âme des choses impondérables. Mon père que ce commerce intriguait, dépensa sa fortune à provoquer des accidents de chemin de fer pour causer la mort de la belle inconnue. Peine perdue ils s’épousèrent et leur fils, fils de ma maîtresse fut spécialement dressé par un orang-outang à repriser mes chaussettes et à provoquer des courts-circuits buccaux dans mon individu… »
J’aurais continué cette poétique lecture si Robespierre n’avait posé sa main sur mon épaule. Nous étions sur une colline. Il me montra l’oeuvre de la Guillotine. Quatre cent mille têtes jonchaient les marais. Des femmes leur suçaient la cervelle. Fou de joie à ce spectacle j’embrassai Robespierre. Il posa sur moi un long regard triste et doux, m’étreignit sur sa poitrine et, avant de se dissoudre en fumée odorante de cigarette anglaise il me dit :
La maison près de la fontaine Couverte de vignes vierges Et de toiles d’araignée Sentait la confiture et le désordre Et l’obscurité L’automne L’enfance L’éternité
Autour il y avait Le silence Les guêpes Et les nids des oiseaux
On allait à la pêche Aux écrevisses avec monsieur l’curé On se baignait tout nus, tout noirs Avec les petites filles Et les canards
La maison près des HLM A fait place à l’usine Et au supermarché Les arbres ont disparu, mais ça sent l’hydrogène sulfuré L’essence La guerre La société
C’n’est pas si mal Et c’est normal C’est le progrès
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