le jardin flottant pousse les plantes du pied du pécheur dans un défilé de bonzes oranges
Asie vallée des temples, ibis en robes blanches Marguerite aimée à la folie.
1931. Marguerite Donnadieu, 16 ans, quitte Saigon à bord du paquebot
Porthos. Sur le quai des messageries maritimes, sa mère et son frère et, plus loin, assis à l’arrière de sa limousine noire, son amant, qui regarde le paquebot s’éloigner. L’enfant au rouge à lèvres rouge, au chapeau de feutre, à la robe de soie et aux talons hauts lamés or, quitte l’Indochine pour rejoindre Paris, où elle deviendra l’un des plus grands écrivains du siècle.1984. Marguerite Duras, 70 ans, écrit sa rencontre, alors qu’elle était âgée de 15 ans à peine, avec un riche Chinois, sur un bac traversant le Mékong, entre Vinh Long et Sadec.
L’Amant, c’est le récit d’une relation scandaleuse entre une très jeune fille, française, dans l’Empire colonial des années 20, avec un asiatique, âgé de 12 ans de plus qu’elle.
L’Amant, c’est aussi la chronique d’une Indochine au sein de laquelle la mère de Duras, Marie Donnadieu, institutrice dans une école pour indigènes – au dernier rang de la hiérarchie sociale des colonies – a vécu en marge de la bourgeoisie indochinoise.
L’Amant, c’est encore le récit de la relation de Marguerite Duras à cette femme, sa mère – une relation faite de violence et d’amour.
Quand Marguerite Duras publie L’Amant, elle a déjà écrit l’essentiel de son œuvre – et a, depuis longtemps, un cercle de lecteurs fidèles, mais elle est inconnue du grand public. Le livre est édité à 25000 exemplaires, il fait événement : le 5 septembre, deux jours après sa mise en vente, les éditions de Minuit doivent procéder à une réimpression ! 100 000 exemplaires sont vendus en quatre semaines. En quelques mois, le livre est traduit en 25 langues. En novembre, les jurés Goncourt le couronnent. Il sera vendu à 3 millions d’exemplaires.
En 1950, déjà, dans Un barrage contre le Pacifique, Marguerite Duras écrit sur sa relation à sa mère – qui a perdu la raison après que l’administration coloniale corrompue lui a vendu, au bord du golfe de Siam, au sud du Cambodge, des terres stériles, systématiquement brûlées par le sel avant la récolte. Duras y raconte la folle entreprise de sa mère, son impossible combat contre les marées, pour établir un barrage protégeant ses rizières, avec l’espoir de sauver des eaux sa concession, ainsi que les terres des paysans cambodgiens, ses voisins[1].
Marguerite Duras, née en 1914 à Saigon, a quitté l’Indochine une première fois en 1931, une deuxième fois en 1933, pour ne plus y retourner. L’enfance, l’adolescence indochinoises sont la matrice d’une œuvre habitée par des lieux, des thèmes et des figures – la terre natale, la colonie, la mère, le petit frère aimé, l’amant. L’acte d’écrire est, pour Marguerite Duras, indissociable de la vie : ce n’est pas l’œuvre qui est le reflet de l’expérience vécue, mais c’est la vie même qui est modelée par l’écriture. Une écriture qu’elle travaille jusqu’à inventer une langue nouvelle, transposant dans l’écrit le rythme de la parole. L’écriture, un lieu où vivre, pour une femme qui n’est jamais revenue sur les lieux de son enfance.
[1] Les barrages contre le Pacifique ont été édifiés quelque 80 ans après que Marie Donnadieu les ait rêvés : 10 ans d’efforts concertés de la part d’ONG françaises, des pouvoirs publics cambodgiens et de l’Agence Française de Développement – qui a investi 11 millions d’euros – ont été nécessaires pour mettre en place dans le Sud Cambodge, un ensemble de digues et de canaux, qui permet de bloquer l’eau salée lors des hautes marées. 10 000 hectares de polders convertis en rizières, gérés pas les villageois, nourrissent 8000 familles tout en leur assurant un revenu complémentaire : un modèle de développement durable.
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