Fermer

NOTRE JARDIN BLEU 4


NOTRE JARDIN BLEU 4

Et nous nous sommes éveillés

dormant encore sur l’élan

de la liberté des corps

au jardin bleu érigé contre

la ferraille usée

des passagères rencontres

qui laissaient un goût de sang

à nos bouches éprouvées.

J’ai planté mon âme

au coeur de tes rosiers anciens

qui dessinaient les ruelles artisanes

de notre Eternel besogneux;

 tu t’es niché au creux

de l’asile transitoire

que racontait cette histoire

d’eau libre et de feu.

Au bleu pavot du matin,

nous avons mis en dépot dans nos mains

jointes

l’oiseau chaud de nos poumons

nous promettant que son vol n’emprunte

jamais la triste artère du commun.

Barbara Auzou

P1050728

Notre Jardin Bleu 4 – 2018 – Niala – Acrylique s/toile 61×46

PREMIERS SIGNES


53758148b38c04c5d2e00f7019f5b80e

PREMIERS SIGNES

 

Bien que toujours endormi, le jour levé depuis quelques heures attendait au milieu du pont d’y voir plus clair. Un cadenas symbolique posé sur la porte de la clarté tenait leurs corps au chaud. Moment où les peaux tièdes de rêves transposeurs s’associent aux parfums corporels du matin. Comme le soulèvement des paupières, un mouvement vient souder le bonjour à pleines lèvres. Les bustes sont à l’amble des mains rejointes à plat. Les seins lourds ont cette haleine du tant à vivre.

J’entends le courant glisser du bout du lit au chevet

l’empreinte du rêve, collée à l’oreiller est perceptible

je mâchonne une mèche entre l’oreille et le bas de ton cou

à l’épaule vient déjà l’acquiescement de ton sourire, dans le jardin les fleurs se redressent au rythme de l’aspiration intime

ton ventre parle à voix haute à l’odeur de café qui passe.

Complices les deux lirettes se rejoignent en clins d’oeil de chaque côté du lit…

Quand tu passeras le long de la cabane éventrée je serais présent d’un signe fort, celui du cheval qui se réjouit en pensant au travail qui l’attend au coin du champ…

Niala-Loisobleu – 3 Octobre 2018

TELLE FEMME


267724

TELLE FEMME

Que tous ces regards que l’eau des caniveaux noie, prennent chacun l’instant d’arrêt nécessaire au retour sur soî-même. Pour entendre avec les yeux d’aujourd’hui, les mots qui, hier, ont mis au monde la réalité-vraie de son rêve. Au hasard des pages, ils retrouveront sans peine, ici et là, les traits précis de la condition souscrite. Se reconnaître dans son espace temps, sentir qu’aux rides des jours la profondeur du sillon a fait germer le grain sans qu’il pourrisse. En dépit des orages, de toutes les dépressions du terrain comme celles du ciel, chaque mur soudain érigé par le sort, du manque au premier degré qui tiraille l’épiderme d’un processus biologique auquel on ne peut se soustraire, cette absence physique bruyante qui dérange la raison du silence. Sans goût de chasteté, de réclusion, d’ermitage.

Ils sont toujours là les êtres qui n’ont toujours fait que se servir sans rien donner. Démons, d’une lutte récurrente. qui ont le don de l’importunité, toujours à revenir quand on croyait tout à plat. Non le rose n’est pas la bonne couleur des lunettes. Il n’y a qu’au travers du prisme, que l’on voit juste.

Deux choix s’offrent, laisser glisser, dériver selon, se laisser mener, préférer l’errance à toute forme de combat, au prix d’une souffrance masochiste, ou bien gravir la paroi la plus difficile qui conduit à son sommet spirituel. Gagner son Absolu.

Ce chemin là est dépourvu de plaisirs fugaces, de petites jouissances, ce n’est que de la grande bouffe, du vent, du moulin blablabla…Quel beau terrain pour que l’esprit de vengeance développe tous ses virus, il ne fait que rendre amour et haine suite logique de l’autre. La vie si elle se veut salope, méchante en la personne d’un ballet à chiottes qu’elle reste au fond de sa crasse. J’ai que du propre à donner.

Comment est-il possible d’aimer pareille infamie ?

Plafond percé d’une lucarne je suis lumière.

Les guerres ne m’ont pas amputé. De tout ce qui est amour tout demeure, la mort aussi atroce qu’elle ait pu être, en tous ses visages, ses situations, ses circonstances n’a fait que donner vie à mon espoir, par le combat maintenu de sa parole donnée.

 

TELLE FEMME

Veux-tu voir

La forme obscure du soleil

Les contours de la vie

Ou bien te laisser éblouir

Par le feu qui mêle tout

Le flambeau passeur de pudeurs

En chair en or ce beau geste

L’erreur est aussi inconnue

Que les limites du printemps

La tentation est prodigieuse

Tout se touche tout te traverse

Ce ne fut d’abord qu’un tonnerre d’encens

Ce que tu aimes le plus

La louange belle à quatre

Belle nue immobile

Violon muet mais palpable

Je te parle de voir

Je te parlerai de tes yeux
Sois sans visage si tu veux
De leur couleur contre le gré

Des pierres lumineuses

Décolorées

Devant l’homme que tu conquiers

Son enthousiasme aveugle

Règne naïvement comme une source

Dans le désert

Entre les plages de la nuit et les vagues du jour
Entre la terre et l’eau
Nulle ride à combler
Nul chemin possible

Entre tes yeux et les images que j’y vois

Il y a tout ce que j’en pense

Moi-même indéracinable

Comme une plante qui s’amasse

Qui simule un rocher parmi d’autres rochers

Ce que je porte de certain

Toi tout entière

Tout ce que tu regardes

Tout

Ceci est un bateau

Qui va sur une rivière douce

II porte des femmes qui jouent

Et des graines qui patientent

Ceci est un cheval qui descend la colline

Ou bien une flamme qui s’élève

Un grand rire pieds nus dans une cour misérable

Un comble de l’automne des verdures amadouées

Un oiseau acharné à mettre des ailes à son nid

Un matin qui disperse des lampes de rosée

Pour éveiller les champs

Ceci est une ombrelle

Et ceci la toilette

D’une dentellière plus séduisante qu’un bouquet

Au son des cloches de l’arc-en-ciel

Ceci déjoue l’immensité

Ceci n’a jamais assez de place

La bienvenue est toujours ailleurs

Avec la foudre avec le flot

Qui s’accompagnent

De méduses et d’incendies

Complaisants à merveille

Ils détruisent l’échafaudage

Surmonté d’un triste drapeau de couleur

Une étoile limite

Dont les doigts sont paralysés

Je parle de te voir

Je te sais vivante

Tout existe tout est visible

Il n’y a pas une goutte de nuit dans tes yeux

Je vis dans une lumière exclusive la tienne.

Paul Eluard

 

Je veux tremper mes doigts dans ton corps pour tenir les pensées de ton âme, ta chair vibrante rouleaux de mer pendulant la lune en mouvements d’harmonie de ton derrière. La Beauté c’est un ensemble dépourvu de paroles dressé sur le piédestal du silence. Fumante de tous tes pores je me complais à paître aux herbes odorantes de tes prés, alpes-là, sans réintroduire l’ours aux cirques du bord des lacs. Tes points d’eau me retrouvent sans attendre que la nuit tombe. Faut dire que j’aime à te boire, embrassée.

Derrière la mauvaise langue du serpent qui ne se trouve que dans l’ombre, j’ouvre ma bouche à ton soleil. N’en déplaise au venin du puant reptile. Le chevalet dit ton nom à chaque mouvement de manivelle, on dirait un poème-peint de ta main.

Ô ma Muse, femme habitée d’une sensibilité colorée de pouls vif, ce que nous faisons ensemble acte d’âmes et de corps mêlés, grand-oeuvre poétique sans but de gloire, une seule voix commune, un seul émoi nourri de bleu…

Niala-Loisobleu – 2 Octobre 2018

André Breton et l’amour fou


Cadavre-exquis_Andre-bretonValentine-Hugo-Tristan-Tzara-et-greta-Knutson-1933

André Breton et l’amour fou

 

 

what-we-call-love

Le surréalisme est une quête passionnelle qui tend à indexer la veille sur le rêve, le rêve sur l’amour, l’amour sur la folie. Dans cette recherche, marquée du sceau du désir, les feux de l’amour  et les délires de la folie brossent et incendient les tableaux animés du rêve ; ils éclairent aussi le vaste champ de l’utopie ou de la révolution, « solution de tout rêve » selon la définition de Michel Leiris. Mais l’amour n’apparaît qu’au terme d’une attente incertaine, une attente de l’inattendu. L’amour surgit lors d’une rencontre, au gré du « hasard objectif », sous une pluie de coïncidences. La rencontre, cette provocation à l’amour est la condition même de toute activité surréaliste.

Jacques et Simone

En février 1916, alors qu’il est infirmier à l’hôpital militaire de la rue Du Boccage à Nantes, André Breton fait la connaissance du soldat Jacques Vaché soigné pour une blessure au mollet. Il partage alors avec le « mystificateur féroce » un « agynisme », une indifférence vis-à-vis de la femme ou encore un certain empressement à quitter celle avec qui on vient de coucher.  Mais le 6 janvier 1919, dans un hôtel de Nantes, l’inventeur de l’umour sans h succombera à une overdose d’opium. Dans le Manifeste du surréalisme Breton écrira : « Vaché est surréaliste en moi. » Le 25 août 1949, il confiera à Marie-Louise Vaché, la sœur de Jacques : « Votre frère est au monde l’homme que j’ai le plus aimé et qui, sans doute, a exercé la plus grande et la plus définitive influence sur moi. »

Pour André Breton, la rencontre était une raison de vivre. En juin 1920, il rencontre au jardin du Luxembourg Simone Kahn, en compagnie de Théodore Fraenkel et de Bianca Maklès. Le 15 septembre 1921, André Robert Breton se marie avec Simone Rachel Kahn à la mairie du XVIIe arrondissement de Paris. On peut signaler au passage que les quatre sœurs Maklès, Bianca, Sylvia, Rose et Simone, épouseront respectivement Théodore Fraenkel, Georges Bataille (puis Jacques Lacan), André Masson et Jean Piel. Quant à Janine Kahn, la sœur de Simone, elle se mariera avec Raymond Queneau. André Breton entretiendra avec Simone des relations d’adoration mystique jusqu’à leur séparation en 1929.

La dame aux gants bleu ciel

En octobre 1924, le Bureau de recherches surréalistes, rue de Grenelle, est ouvert au public. Le 15 décembre, Lise Meyer, née Hirtz, la future Lise Deharme, passe à la Centrale surréaliste. La permanence est tenue par Aragon et Breton. Aragon suggère en manière de jeu que Lise Meyer offre au Bureau de recherches un des étonnants gants bleu ciel qu’elle porte ce jour-là. Comme la visiteuse est sur le point d’y consentir, Breton, particulièrement troublé, la supplie de n’en rien faire. Sa panique augmente quand la dame projette de revenir poser sur la même table un gant féminin moulé en bronze, au poignet plié et aux doigts sans épaisseur. L’émoi de Breton est considérable. Depuis ce 15 décembre, il est fort épris de Lise Meyer, sans que son amour soit payé de retour. Son désespoir retentit dans des pages de l’Introduction au Discours sur le peu de réalité qui campent une atmosphère de fin du monde et où le narrateur se retrouve seul avec la femme aimée : « Paris s’est écroulé hier ». Un échantillon des lettres à la dame au gant témoigne de l’amour sublime ressenti par Breton : « Vous êtes pour moi, au sens propre du mot, une apparition » (11 février 1925).  « Je me débats dans ces fils invisibles qui partent de votre maison » (19 ou 26 février 1925). « [Madame Sacco, la voyante] s’est montrée absolument affirmative sur le fait que je n’ai jamais aimé et que je n’aimerais jamais que vous » (16 septembre 1927). « Lise, comment votre présence entière sans trace d’absence peut-elle ainsi se concilier avec votre absence ? » (24 septembre 1927). Mais l’amour dévorant pour Lise, alimenté entre autres par des invocations à Grandville, Rimbaud, Isidore Ducasse ou Gustave Moreau s’interrompt. Après maints soubresauts, cette passion s’éteint. André Breton est désenvoûté, il prend définitivement congé de sa propre passion. Un amour courtois, absolu et fétichiste, s’achève. La lettre de rupture du 25 octobre 1927 indique comment se dénoue cette grande passion contrariée : chacun restituera les objets prêtés ou empruntés, en particulier le gant de bronze (« de merveilleux souvenir et avenir », comme l’écrivait Breton le 24 septembre), évident substitut des gants bleu ciel, photographié pour Nadja, où il paraîtra.

Les yeux des amanteslise-meyer-septembre-1927

Le 4 octobre 1926, à Paris, non loin des Grands Boulevards, Breton rencontre Nadja (Léona Delcourt), « l’âme errante ». Il ressort du récit de Breton et de la trentaine de lettres éperdues adressées par la jeune femme à son amant que Nadja a fasciné André et qu’André a subjugué Nadja. Alors qu’elle vit d’expédients, Nadja est exaltée et troublée, électrisée et déchirée. Dans ces circonstances, le dessin représente pour elle une activité gratifiante. Breton a l’audace d’associer celle qu’il vient juste de rencontrer à une collection de boules de neige éditée par la Galerie Surréaliste. En témoigne un placard publicitaire de La Révolution surréaliste de décembre 1926 qui mentionne, outre deux boules de neige en principe réalisées, « Hommage à Picasso » et « Boule » par Man Ray, une troisième boule de neige en préparation, « L’Âme des amants » par N. D., autrement dit par Nadja Delcourt. « L’Âme des amants », « L’Enchantement » ou « La Fleur des amants », ces trois titres renvoient au même dessin représentant une fleur épanouie avec deux cœurs et deux paires d’yeux croisées, et dont la tige est issue de la tête d’un serpent. Ce dessin conjugue le regard de Nadja et celui d’André.

Le thème des yeux est récurrent dans les lettres de Nadja : « pourquoi m’as-tu pris mes yeux » (22 octobre 1926). « Ferme les yeux là deux minutes et pense. Qui vois-tu ? » (7 décembre 1926). Le 11 décembre, Nadja compose une image fantasmatique de Breton, relate un conte cruel où son amant adoré, tel un « Fauve aux dents de scie / Aux yeux envahissants », tâte sa proie et flaire un parfum apprécié. Le 13 décembre, le dessin de deux yeux féminins précède la signature de Nadja.

En 1963, Breton introduira dans l’édition définitive de Nadja un photomontage ise-meyer-les-yeux-decoupes-septembre-1927répliquant quatre fois les yeux découpés de son héroïne. Il semble comme obsédé par les yeux des femmes. En septembre 1927, il découpe les yeux d’une photo de Lise ; il détoure aussi son propre visage pour l’offrir à Lise. L’année suivante, un découpage des yeux de Suzanne Muzard figurera en bonne place dans son album de photos. Plus tard, au début de L’Amour fou, il entreprend une anamnèse. Retrouvant la piste de la dernière phrase de Nadja, il voit la beauté convulsive à l’œuvre quand les yeux s’ouvrent et chavirent à l’instar des fleurs qui éclatent : « Les grands yeux clairs, aube ou aubier, crosse de fougère, rhum ou colchique, les plus beaux yeux des musées et de la vie à leur approche comme les fleurs éclatent s’ouvrent pour ne plus voir, sur toutes les branches de l’air. » Comment, dans cette envolée, ne pas attribuer les yeux « crosse de fougère » à Nadja et à « La Fleur des amants » qui mêle les yeux d’André et ceux de la native de Saint-André ? Rappelons que surgit, à la fin de Nadja, Suzanne Muzard, celle que Breton, en novembre 1927, a arrachée à Emmanuel Berl pour fuguer à Toulon, celle qui lève la main vers la plaque indicatrice LES AUBES près du pont d’Avignon : c’est elle, la native d’Aubervilliers, la femme aux « grands yeux clairs, aube ou aubier ». Pour les yeux « rhum », on songe à Simone. Quant aux yeux « colchique », Breton adolescent avait été fasciné par les yeux violets d’une femme qui faisait le trottoir « à l’angle des rues Réaumur et de Palestro ».

L’amour-folie

Dans les lettres d’André à Lise, la dame aux gants bleu ciel semble sortie de l’aquarelle Apparition de Gustave Moreau. Dans la lettre à Simone du 22 août 1927 (écho au brusque départ de l’épouse de la rue Fontaine), André trouve un strict champ d’application de l’amour tendre et mystique qu’il voue à Simone dans le poème « Apparition » de Mallarmé. L’année 1927 verra la succession de trois événements : effondrement de Nadja, ultime accès d’amour-folie pour Lise et coup de foudre avec Suzanne. Si l’on lit avec attention les récits de Nadja et des Vases communicants ainsi que le poème Union libre tout à la gloire du corps de Suzanne, on s’aperçoit que Breton traverse de 1926 à 1932 une période d’amour-folie, où le désespoir le dispute à l’émerveillement. Le surréaliste idolâtre Lise durant trois ans. Il découvre le pouvoir médiumnique de Nadja mais demeure impuissant face à son internement. Suzanne l’ayant sommé de choisir entre elle et Simone, on en arrive à cette situation cocasse : Berl divorce et épouse Suzanne, qui s’empresse de rejoindre André, qui se sépare de Simone mais finit par ne plus s’entendre avec Suzanne.

Depuis sa rencontre avec Vaché, Breton songe à cartographier les contrées de l’humour noir. Avec Nadja, il expérimente dans la rue le hasard objectif. Quand Suzanne prend avec Berl des vacances à Tozeur puis Ajaccio, Breton conduit au sein du groupe surréaliste des recherches sur la sexualité. On y apprend que la nécessité de la réciprocité en amour est pour lui une découverte récente. Il dit aussi préférer infiniment la femme aimée qui se donne vite à celle qui se fera longtemps désirer. Enfin, à la question de savoir s’il a rencontré la femme de sa vie, Breton répond : « Je ne sais si j’ai rencontré cette femme. Si je l’ai rencontrée, elle n’est pas perdue pour moi. »  Ces trois points évoqués – réciprocité, spontanéité et fatalité – s’appliquent sans conteste à Suzanne Muzard. Au cours des six séances sur la sexualité qui se déroulent du 27 janvier au 3 mars 1928, Breton s’autorise à lever un peu le voile sur sa récente passion et sur lui-même. En tout cas, le 7 mars, obsédé par l’idée de revoir Suzanne, il demande à Simone la permission de se rendre à Ajaccio. Ce sera l’un des nombreux épisodes mélodramatiques entre Simone, Suzanne, Berl et Breton.

Ce vent d’amour-folie n’est pas étranger aux remous qui vont secouer le groupe surréaliste. Simone et son amant Max Morise défieront Breton, ainsi que Baron, Desnos, Leiris, Limbour et Queneau qui s’allieront avec Georges Bataille en faisant paraître le pamphlet Un cadavre dirigé contre Breton.

L’amour fou

L’Amour fou retrace la rencontre d’André Breton et de Jacqueline Lamba. On dénombre dans ce récit trois mardis fastes et deux lundis sombres. Le mardi 10 avril 1934, l’échange au restaurant entre le plongeur (« Ici, l’Ondine ! ») et la serveuse (« Ah ! Oui, on le fait ici, l’on-dîne ! ») annonce la venue de  Jacqueline, la naïade qui évolue nue dans l’aquarium d’un music-hall. Le mardi 29 mai 1934, c’est la folle rencontre avec Jacqueline, une rencontre que le poème « Tournesol » avait prophétisée onze ans auparavant. Le mardi 14 août 1934, est célébré le mariage avec l’ordonnatrice de la nuit du tournesol. Mais à ces trois dates féériques (Ondine, Tournesol, Mariage) répondent deux moments dramatiques. Le lundi 23 juillet 1934, alors qu’il vient de parler de Pierre Reverdy, dédicataire du poème « Tournesol », Breton aperçoit dans le bureau d’état-civil du XVIIe arrondissement l’affiche « Legs de Reverdy ». Surtout, le lundi 20 juillet 1936 se produit une discorde sur la plage du Fort-Bloqué, en relation maléfique avec le crime de la villa du Loch. L’amour fou n’est pas exempt de failles plus ou moins visibles.

Breton consacre les plus belles pages de L’Amour fou à son voyage avec Jacqueline aux Canaries. Revivant l’âge d’or dans ce « paysage passionné », il exalte en même temps la nature et l’amour unique. Comme il emploie à neuf reprises le mot « mille », il réussit, à travers cette répétition, à définir le concept même d’amour fou qui est un amour réciproque et unique : « Aucune autre femme n’aura jamais accès dans cette pièce où tu es mille, le temps de décomposer tous les gestes que je t’ai vue faire. Où es-tu ? Je joue aux quatre coins avec des fantômes. » / « Au soleil sèchent autant de sorties de bain que tu étais répétée de fois [= mille fois] dans la chambre trouble. » / « L’amour réciproque, tel que je l’envisage, est un dispositif de miroirs qui me renvoient, sous les mille angles que peut prendre pour moi l’inconnu, l’image fidèle de celle que j’aime, toujours plus surprenante de divination de mon propre désir et plus dorée de vie. »

Pour le surréaliste, l’amour unique et réciproque n’a rien de monotone, le jardin terrestre réserve encore des surprises. L’unité et la dualité recèlent des trésors de vitalité et de durée, d’effractions et de réfractions. L’amour unique possède mille atouts, mille facettes. À condition de ne pas se perdre, il tend naturellement vers le multiple. Telle la végétation luxuriante des flamboyants, de l’euphorbe, du sempervivum, du datura, de l’arbre à pain, du retama, tel le plus grand dragonnier du monde « qui plonge ses racines dans la préhistoire », telles la fusion des désirs et la profusion de la nature, telle la quête de la pierre philosophale, telle la dialectique du haut et du bas, telle la génération d’un objet fractal, les notions d’unité et de dualité, d’instinct et d’esprit, de présence et de représentation, de répétition et de différence se résolvent nécessairement dans une multiplicité de plans, de coupes, de paliers, de points de vue, de plateaux, de sensations, de souvenirs.

La passion amoureuse est une chose trop sérieuse pour être abandonnée à un adepte du libertinage, Paul Éluard par exemple. En revanche, l’auteur de L’Amour fou peut s’accorder avec le surréaliste roumain Ghérasim Luca, l’auteur de L’Inventeur de l’amour. Tous deux lient indéfectiblement le rêve, l’amour et la folie. Tous deux se fient à l’étoile noire du rêve et du hasard. Le groupe surréaliste est une association collagiste qui se meut dans un temps sans fil et un espace urbain propices à la circulation des affects, l’irruption des pensées, la fabrication des objets. Il y a dans l’amour unique, l’idée folle et désespérée de la persistance du désir. Le surréalisme se construit avec des durées automatiques, qui combinent l’aléatoire et l’éternel. L’amour fou est une musique répétitive qui fait entendre les différences et les nuances. Quand Breton, en l’honneur de Nelly Kaplan, baptise le 6 janvier 1957 « Fête des reines », il se réfère au poème « Royauté » de Rimbaud. Mais en sacrant la jeune cinéaste le jour de l’Épiphanie, il se remémore l’imprononçable jour de la mort de Jacques Vaché, son ami à jamais.

Georges Sebbag

Références

« André Breton et l’amour fou ». Inédit en français. Traduit en anglais (« André Breton and mad love ») par S. Leo Chapman in catalogue What we call love. From Surrealism to now, sous la dir. de Christine Macel et Rachael Thomas, IMMA, Dublin, 2015.

NOTRE JARDIN BLEU 3


NOTRE JARDIN BLEU 3

 

Nous avons rangé dans nos poches

la perle corrompue

des saisons et celle du sens de la fête

versée dans l’abus,

la fausse épaisseur

et les clameurs inouïes

lancées vers l’idole d’une heure

promptes à vous faire une vie parfaite.

Nous n’avions pas d’idole mais toute une vie

pour entourer les pierres d’une tendresse particulière

et accrocher comme on aime

nos yeux aux boutons ouverts

de la fleur rescapée de l’indifférent système.

Notre jardin bleu est de ceux où l’on sème

la contemplation muette et le chant de nos oiseaux

résonne de branche en branche

sans se cogner jamais aux couloirs du dimanche

et à ses familiales querelles.

Notre jardin de fortune promet le cadeau

de fruits ronds frissonnant encore de leurs eaux

et nous les déposons aux paumes de la lune jumelle

qui couche son lit à l’ombilical de nos rêves

entre la fraise, la menthe, et le persil.

Il arrive qu’on y croise la nuit

les blanches grand-mères de nos enfances

et on les regarde reprendre leur danse

ravies.

ô Marthe, Louise et Jeanne,

le tilleul frondeur pénètre encore par la fenêtre

pour chaparder la madeleine de vos tisanes.

Barbara Auzou

 

P1050723 - Copie

Notre Jardin Bleu 3 – 2018 – Niala – Acrylique s/toile 61×46

NOTRE JARDIN BLEU 2


NOTRE JARDIN BLEU 2

Que peut-on pour le monde

sinon nous promettre d’arracher

ce que l’on est à son fantôme froid

et notre cheval clairvoyant est rentré

à l’écurie peiné , boitant, mais droit

par la porte à deux battants

ouverte sur sur ce grand tout aux cendres retombées

sur le végétal à jamais innocent.

Nous resterons silencieux à soutenir notre effacement

par les yeux

par la peau

par ce peu de mots clairs

arrachés à la mâchoire immonde

et la main se souvient et dessine

la saison des corps sous le feu nomade

qui se balance à l’amble de l’abri sédentaire.

Les coqs déboutés de leur faconde et de leur fortune

saluent maintenant comme des métronomes

nos nuits de plumes couchées sur papier de verre.

Notre jardin bleu est un oeuf de lune

dont nous habitons le jaune.

Barbara Auzou

P1050722

Notre Jardin Bleu 2 – 2018 – Niala – Acrylique s/toile 61×50

LES VRILLES DE LA VIGNE


P1040312 (1)

LES VRILLES DE LA VIGNE

Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s’en servait avec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se levait avec les camarades, dans l’aube grise et bleue, et leur éveil effarouché secouait les hannetons endormis à l’envers des feuilles de lilas.

Il se couchait sur le coup de sept heures, sept heures et demie, n’importe où, souvent dans les vignes en fleur qui sentent le réséda, et ne faisait qu’un somme jusqu’au lendemain.

Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces, dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si dru, cette nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes…

Il crut mourir, se débattit, ne s’évada qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient.

Dès la nuit suivante, il chanta, pour se tenir éveillé :

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

Je ne dormirai plus !

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

Il varia son thème, l’enguirlanda de vocalises, s’éprit de sa voix, devint ce chanteur éperdu, enivré et haletant, qu’on écoute avec le désir insupportable de le voir chanter.

J’ai vu chanter un rossignol sous la lune, un rossignol libre et qui ne se savait pas épié. Il s’interrompt parfois, le col penché, comme pour écouter en lui le prolongement d’une note éteinte… Puis il reprend de toute sa force, gonflé, la gorge renversée, avec un air d’amoureux désespoir. Il chante pour chanter, il chante de si belles choses qu’il ne sait plus ce qu’elles veulent dire. Mais moi, j’entends encore à travers les notes d’or, les sons de flûte grave, les trilles tremblés et cristallins, les cris purs et vigoureux, j’entends encore le premier chant naïf et effrayé du rossignol pris aux vrilles de la vigne :

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

Cassantes, tenaces, les vrilles d’une vigne amère m’avaient liée, tandis que dans mon printemps je dormais d’un somme heureux et sans défiance. Mais j’ai rompu, d’un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair, et j’ai fui… Quand la torpeur d’une nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières, j’ai craint les vrilles de la vigne et j’ai jeté tout haut une plainte qui m’a révélé ma voix.

Toute seule, éveillée dans la nuit, je regarde à présent monter devant moi l’astre voluptueux et morose… Pour me défendre de retomber dans l’heureux sommeil, dans le printemps menteur où fleurit la vigne crochue, j’écoute le son de ma voix. Parfois, je crie fiévreusement ce qu’on a coutume de taire, ce qui se chuchote très bas, – puis ma voix languit jusqu’au murmure parce que je n’ose poursuivre…

Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aube de cette nuit sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche, et mon cri, qui s’exaltait, redescend au verbiage modéré, à la volubilité de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir…

Je ne connais plus le somme heureux, mais je ne crains plus les vrilles de la vigne.

 

Colette

NOTRE JARDIN BLEU 1


NOTRE JARDIN BLEU 1

 

Au bout de la route franche

qu’on ne foule que de l’âme

sur les courbes de l’unité et de la spontanéité du geste

se trouve un jardin bleu dont la hanche

tremble comme une mariée aux pieds nus

et qui s’émeut de la caresse

d’écume à ses cheveux et de la rondeur

de ses larmes quand le gant de lierre

qu’elle retourne la détrousse dodue

de ses solides trésors d’enfant

tressés sur les mystères

d’un rire innocent.

Les arbres déroulent leurs feuilles au flanc

d’un tendre abri. Que célébrer sinon la vie

et la pensée que l’on existe maintenant

la fleur le sein le fruit en leur juste poids

les mousses de la douceur sur le velours de l’appui?

L’azur croît pour soutenir la lumière

des mains réciproques qui s’enroulent au hasard

saisonnier des moissons à venir.

Des greniers de la peau qui s’étonnent encore

de leur réserve de sel s’échappent des bourgeons de rires

et quelques boutons d’or.

Barbara Auzou

 

 

P1050715
Notre jardin bleu 1 – 2018 – Niala – Acrylique s/toile 61×46

 

TU LA VOIS


Yannis Ritsos

TU LA VOIS ?

Il prend dans ses mains des choses disparates — une pierre
une tuile brisée, deux allumettes brûlées,
le clou rouillé du mur d’en face,
la feuille qui est entrée par la fenêtre, les gouttes
qui tombent des pots de fleurs arrosés, les pailles
que le vent d’hier a déposées sur tes cheveux — il les prend
et la-bas, dans la cour, il édifie presque un arbre.
En ce presque réside la poésie. Tu la vois ?

Yannis Ritsos

Revenir en haut