Catégorie : Jacques Prévert
LE MIROIR BRISE – JACQUES PREVERT

LE MIROIR BRISE – JACQUES PREVERT
Le petit homme qui chantait sans cesse
le petit homme qui dansait dans ma tête
le petit homme de la jeunesse
a cassé son lacet de soulier
et toutes les baraques de la fête
tout d’un coup se sont écroulées
et dans le silence de cette fête
dans le désert de cette tête
j’ai entendu ta voix heureuse
ta voix déchirée et fragile
enfantine et désolée
venant de loin et qui m’appelait
et j’ai mis ma main sur mon cœur
où remuaient
ensanglantés
les sept éclats de glace de ton rire étoilé.
Jacques Prévert
le desespoir est assis sur un banc par jacques prevert
COMPLEXES PAR JACQUES PREVERT

COMPLEXES
PAR
JACQUES PRÉVERT
En ce temps-lâ, il y avait un roi qu’on appelait Dieu 1″ ou Dieu le seul et qui régnait sur le ciel d’Abraham et de Jacob.
Et Dieu I » fut fâcheusement surpris en apprenant oraculairement et de source sûre que, s’il n’y mettait bon ordre, Jésus, son fils unique, qui venait de naître, le tuerait
un jour, et, un autre jour du plus tard, épouserait sa mère la Reine Lilith, sœur de Satan, lequel assumait les plus hautes fonctions à la Cour.
Cette nouvelle n’était pas réjouissante et Dieu I » entra en grande complexité morose et silencieuse puis, décision prise, il appela un de ses plus dévoués
serviteurs, lui confia le nouveau-né en lui donnant l’ordre de l’emmener sur la Terre, une de ses plus lointaines colonies, et là, de le suspendre par les pieds à la branche d’un
arbre en attendant que, dans les plus brefs délais possibles, une providentielle bête féroce ne fasse de l’enfant qu’une bouchée.
Le serviteur fit de son mieux mais Jésus l’enfant n’excita l’appétit d’aucune bête sauvage.
Elles passaient, s’arrêtaient, le regardaient et s’en allaient. Elles ne pouvaient peut-être pas le sentir. le serviteur dit : « Dieu le veut, c’est affaire entendue mais les
animaux n’en veulent pas, alors je ne peux tout de même pas le manger! »
Et comme il n’avait pas reçu ordre de le tuer, il détacha l’enfant, l’abandonna dans la forêt, retourna à la Cour et, pour ne pas avoir d’ennuis, dit au Roi que la chose
avait été accomplie.
Dieu le seul versa une larme et poussa en même temps un grand soupir de soulagement.
Et Satan, très intrigué par cette larme et ce soupir, obtint en le menaçant terriblement tout en lui promettant le silence, les confidences du pauvre et dévoué
serviteur.
Il pensa que Jésus l’enfant était peut-être encore de ce monde qu’on appelait la Terre.
Il n’avait pas tort.
Mais Jésus l’enfant qui avait d’abord vécu dans la forêt où une bête sauvage, une louve ou un éléphant, est-ce qu’on sait, lui avait donné le sein,
grandit en grâce et en sagesse derrière Dieu le Grand et bientôt devant les hommes, et il entreprit de nombreux voyages sur la terre.
C’est au cours d’un de ces voyages qu’un jour il se trouva en présence d’un sphinx.
Cette bête astucieuse, cruelle et redoutable, proposait charades et devinettes aux voyageurs égarés et comme personne ne trouvait de réponse, tout ce pauvre petit monde
était illico dévoré.
Et le sphinx dit à Jésus : Mon premier est un peau-rouge mon deuxième n’est pas un peau-rouge mon troisième est un indigène d’Océanie mon quatrième n’est pas
un indigène d’Océanie
Et le sphinx répéta plusieurs fois son énumération et conclut ainsi :
Et mon tout fera beaucoup de bruit dans le monde, qu’est-ce que c’est?
Et Jésus répondit:
Sioux, pas Sioux
Papou, pas Papou
Sioux, pas Sioux
Papou, pas Papou
Sioux, pas Sioux
Papou, pas Papou…
Et ainsi de suite, c’est la locomotive à vapeur!
Vous pouvez passer, dit le sphinx, car vous devez avoir réponse à tout.
Et Jésus passa, mais le sphinx le rappela et lui dit : Je sais lire dans les astres sur le tableau noir de la nuit et si j’ai un conseil à vous donner, c’est de ne jamais remettre les
pieds dans votre pays.
Et Jésus répondit :
Mais je n’ai pas de pays.
le sphinx sourit :
Vous l’avez perdu, peut-être, mais si jamais vous le retrouvez, vous tuerez votre père et vous épouserez votre mère, c’est votre destinée.
Alors Jésus entra en grande colère et tua le sphinx, puis fut immédiatement porté en triomphe par la population de la petite, mais prospère principauté où le
fort méchant animal exerçait son droit de péage.
Il devint prince.
Cependant qu’au royaume des Cieux, Dieu I », se promenant dans les jardins du Paradis Céleste qui entouraient le Palais Royal, avait le regard sombre et le sourcil froncé.
Il se sentait vieillir, et comme il n’avait pas d’âge, ça l’inquiétait.
Lilith, sa femme, au contraire, paraissait de jour en jour plus jeune, plus belle, et Satan son frère, gardait toujours un inquiétant sourire.
Dieu I » ne voyait pas cela d’un bon œil.
À cette époque, l’amour fraternel était souvent équivoque et trouble et Dieu le père, ayant appris par ailleurs que Satan, afin de s’emparer du trône, était
en train de fomenter un coup d’État, envoya son beau-frère en exil sur la terre.
Satan, toujours souriant, fit ses bagages mais Lilith demanda au roi en pleurant la faveur de faire un petit bout de chemin avec Satan.
Dieu, pour Lilith, était la faiblesse même, il n’osa refuser.
Mais le petit bout de chemin s’allongeant à n’en plus finir, Dieu I » qui trouvait le temps long et même interminable, fut saisi de grande inquiétude et la jalousie, la luxure
royale, se mêlant à la colère divine, flanqué de sa garde blanche, il descendit à son tour sur la terre ‘•
Satan, qui connaissait cette terre comme sa poche, n’avait pas eu de mal à retrouver Jésus qui, paisiblement, régnait sur sa petite principauté.
Et il lui présenta Lilith et Jésus fut à l’instant même émerveillé.
Alors éclata un orage, Jésus ferma les yeux, mais quand il les ouvrit, il se rendit compte que ce n’était pas la foudre mais Lilith qui l’avait ébloui.
Et Satan fut content.
Il emmena Jésus sur la montagne, et là, il lui parla longuement, astucieusement, scabreusement de la beauté de sa sœur et de ses charmes les plus secrets.
Et Jésus fut tenté.
Et comme il descendait vers la ville, ils se trouvèrent en présence de Dieu I », incognito qui, par hasard, chance, ou prémonition, avait réussi à retrouver la trace de
Satan et avant même de le blâmer pour son singulier comportement, il lui demanda des nouvelles de Lilith.
En entendant ce nom, Jésus fut pris de soudaine jalousie et il ressentit pour cet homme une sourde animo-sité. Alors Satan entraîna son roi à l’écart et lui
révéla l’identité de ce mystérieux jeune homme.
« Jésus, mon fils », dit Dieu le père, « mon fils vivant, mon fils qui doit me tuer ».
Alors, afin d’écarter tout danger immédiat – est-ce qu’on sait – il eut l’idée de se faire prendre pour un autre et, racontant qu’il venait de très loin où il avait
appris beaucoup de choses, il dit le plus grand mal de soi-même, c’est-à-dire du Dieu du ciel dont Jésus avait entendu parler.
« Qui êtes-vous, homme de sans doute peu d’importance et qui vous permettez d’insulter un grand roi? » Et comme Dieu Ier persistait dans ses abominables calomnies, Jésus le
tua.
Puis il connut Lilith.
Et Satan les guidant, ils rejoignirent tous trois le royaume du ciel, d’Abraham et de Jacob…
…et de Dieu I », mystérieusement disparu…
Et Jésus épousa lilith et s’assit sur le trône céleste de son père et puis, un beau jour, oraculairement comme son père c’est-à-dire par un habile
stratagème de Satan, il apprit la vérité. Et il dit : « J’ai tué mon père, j’ai épousé ma mère, tout cela est d’une grande complexité, j’aurais
dû voir clair ça crevait les yeux! mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Tout ça c’est ma faute, ma très grande faute. J’aurais dû épargner ce sphinx,
qui après tout, et avant le reste n’était pas une mauvaise bête. Le malheur est sur moi, derrière moi, devant moi, je ne veux plus le voir. »
Et il s’énucléa et puis s’en alla sans demander son chemin à personne.
Alors un jour qu’il était fatigué, une très belle prostituée lui lava les pieds. Elle s’appelait Marie-Madeleine.
Et Satan prit Lilith sur ses genoux et s’assit sur le trône. Les noces furent merveilleuses, ils vécurent très heureux mais n’eurent qu’un enfant, Merdezuth. Merde-zuth,
démonologiste, tua son père et épousa Lilith qui depuis longtemps rajeunissait de jour en jour.
Jacques Prévert
Attendez-moi sous l’orme – Jacques Prévert

Attendez-moi sous l’orme – Jacques Prévert
| Depuis des mois des ans Des heures et des jours La belle Marion en pleurs Sous l’orme attend l’amour Et l’orme devient mort la belle attend toujours Attendez-moi sous l’orme lui avait dit le Roi Et l’orme devient mort la belle attend toujours Attendez-moi sous l’orme lui avait dit le Roi Et depuis ce jour-là La belle Marion en larmes La belle Marion en larmes Sous l’orme attend l’amour Mais les années se passent Et les mois et les jours Le Roi n’arrive pas Il oublie ses amours Le Roi est sous les armes Et n’entend pas les pas De la Belle Marion Qui sanglote sous l’orme Et n’entend pas les pas De la Belle Marion Qui sanglote sous l’orme En faisant les cent pas D’autres années se passent Avec leurs mois leurs jours La Belle Marion en larmes Sous l’orme attend toujours Mais un beau jour le Roi Au beau milieu de sa cour Se souvient de la belle De l’orme et de l’amour Qu’on selle mon cheval Dit-il au grand sellier Et le voilà en selle Qui part pour la forêt La forêt est immense Pleine de sangliers Le Roi leur fait la chasse Oubliant son amour Mais un jour par hasard Courant au son du cor Il tombe de cheval Auprès de l’arbre mort Tout juste sur la tombe Où dort Marion la belle Tout juste sur la tombe Où dort Marion la belle Où dort Marion la belle de son dernier sommeil Bercée par les chansons Des rossignols des bois Et le Roi se relève Et s’incline trois fois Je me suis fait attendre Marion excusez-moi Moralité : La Politesse est l’exactitude des rois Jacques Prévert Plus par marque d’exception que par simple politesse, trouver des êtres dans ce monde de rien qui n’ont jamais pulvérisé la pierre d’achoppement, avance mon respect. Niala-Loisobleu – 9 Septembre 2022 |
LA RÉALITE EST UNE NICHE…JACQUES PREVERT
PAR JACQUES PRÉVERT

LA REALITE EST UNE NICHE …
JACQUES PREVERT
La réalité est une niche
où rêve un grand chien triste et fou
devant un bocal d’air liquide
où crève un vieux poisson volant
qui se métamorphose dans le vide
en Alexandre le Grand
ou en cure-dent
Et c’est bien autre chose encore pour les gens de mauvaise humeur pour les gens du mauvais amour qui se baladent dans tous les sens et sauf dans celui de l’humour D’ailleurs
dans l’argot des croque-morts on appelle le cimetière le Cirque
c’est-à-dire la place des Augustes
dans la critique d’art la poésie paroissiale la marine de
guerre la peinture à voile et autres entreprises de
futilité de sénilité et de calamités publiques sans
parler des expéditions coloniales
Et c’est pourquoi Félix Labisse a chez lui dans une
vitrine une collection de pipes en terre cuite qui sont
en réalité
de véritables pies panthères crues
De là aussi son goût pour les grands tableaux d’histoire naturelle où la démente religieuse et la chenille processionnaire dévorent frénétiquement la
Bête à bon dieu devant le maître autel du crime dans la grande névroserie de la Place Saint-Sulpice sixième arrondissement Paris
Et c’est pourquoi comme Détaille le grand peintre de la réalité militaire qui voyait les hussards les dragons la garde dans le rêve réglementaire du fantassin
couché Félix Labisse peint d’après nature et il faut le voir sur l’esplanade quand la fête des invalides bat son plein et qu’il s’arrête devant le grand musée
où l’armée est enfermée et qu’il donne un tour de clé supplémentaire afin de pouvoir peindre en paix et qu’il installe son chevalet devant la baraque du musée
Dupuytren là où sont enfermés les Apollons du Belvédère dévorés par le mauvais venin Deibler la Vénus hottentote Bernadette dans sa grotte le
Général Boulanger qui met fin à ses jours à Ixelles d’un coup de pistolet avec son chapeau par terre et des tas de fleurs fanées toute une famille bien unie
enlevée par une pieuvre en pleines vacances de Pâques l’inventeur du papier tue-mouches le concierge de Pasteur enfant mordu par un chien enragé le pétomane en habit rouge
l’exécution de Caserio un cul-de-jatte grandeur nature sanglotant le nez contre la glace de la boutique d’un pédicure un brave territorial attaqué dans une tranchée en
quatorze par des rats et des pompiers la nuit cherchant en amont du port de Bougival le corps d’un membre de l’Institut Médico-Légal atteint subitement de déformation
professionnelle et d’aliénation mentale qui se prenant pour l’Inconnue de la Seine s’est jeté en aval et déguisé en femme
Mais ce n est pas ces modèles grouillants de vie familière dans un univers de vase et de verres à dents ébré-chés que Labisse attend amoureusement devant le
Musée
Mais la fugitive la belle échappée nue la douce écorchée vive aux yeux de chatte aux cheveux à la chien la fille de cire perdue qu’il a un jour aperçue
Dehors
entre la dernière seconde de l’hiver et la première seconde du printemps
dans les bras de son homme de neige
Et les deux fondaient en même temps
Jacques Prévert
L’ENFANT DE MON VIVANT PAR JACQUES PREVERT

L’ENFANT DE MON VIVANT
JACQUES PREVERT
| Dans la plus fastueuse des misères mon père ma mère apprirent à vivre à cet enfant à vivre comme on rêve et jusqu’à ce que mort s’ensuive naturellement Sa voix de rares pleurs et de rires fréquents sa voix me parle encore sa voix mourante et gaie intacte et saccagée Je ne puis le garder je ne puis le chasser ce gentil revenant Comment donner le coup de grâce à ce camarade charmant qui me regarde dans la glace et de loin me fait des grimaces pour me faire marrer drôlement et qui m’apprit à faire l’amour maladroitement éperdument L’enfant de mon vivant sa voix de pluie et de beau temps chante toujours son chant lunaire ensoleillé son chant vulgaire envié et méprisé son chant terre à terre étoile Non je ne serai jamais leur homme puisque leur homme est un roseau pensant non jamais je ne deviendrai cette plante Carnivore qui tue son dieu et le dévore et vous invite à déjeuner et puis si vous refusez vous accuse de manger du curé Et j’écoute en souriant l’enfant de mon vivant l’enfant heureux aimé et je le vois danser danser avec ma fille avant de s’en aller là où il doit aller. Jacques Prévert |
ADDUCTION

ADDUCTION
Les creux du fossé butent à la grosse pierre servant de robinet à la source, retenant la distribution demandée
Combien d’attentes abritent en réfugiés dans leur camp
le broc nomade n’assure que les navettes entre ici et l’eau de là
Aller paître à la verdeur de son herbe locale sans être sage demeure plus clair, celle d’ailleurs à toujours plus d’alinéas en tous petits caractères. Sans pinailler sur le nombre de pétales des marguerites de l’une ou l’autre, je m’en bats l’oeil vu que les fleurs que je peux peindre sont d’une autre sorte florifère
De tige grimpante aussi bien à l’horizontale du moment; ma fleur s’avoue verticale par son origine philosophique, espèce de printemps des poètes qui régulait les crues, les coulures de boue par terrain si bien assis qu’aujourd’hui on a du mal à croire au sentiment sincère
Combien d’abri pour le bétail a vu pousser l’agrandissement de la ferme par adjonction familiale d’un corps de bâtiment au fil du premier jour à la fin de la deuxième guerre mondiale ?
Les batteries de poulets et le veau sous l’amer ont arrêté l’inventaire en gardant un nom qui ne correspond plus à autre chose que le fric: le patrimoine
La pente finira par se rattraper et se foutra tout par terre
Déjà dans la Mancha Don Quichotte ne vante plus les moulins
Tout ça pour dire comme j’en étais sûr que Prévert est bien le visionnaire qui m’a éclairé dès ma première entrée en Seine.
On amène pas de l’eau dans des déserts.
Niala-Loisobleu – 26 Janvier 2022
UN BEAU MATIN PAR JACQUES PRÉVERT
Il n’avait peur de personne
Il n’avait peur de rien
Mais un matin un beau matin
Il croit voir quelque chose
Mais il dit
Ce n’est rien
Et il avait raison
Avec sa raison sans nul doute
Ce n’était rien
Mais le matin ce même matin
Il croit entendre quelqu’un
Et il ouvrit la porte
Et il la referma en disant
Personne
Et il avait raison
Avec sa raison sans nul doute
Il n’y avait personne
Mais soudain il eut peur
Et il comprit qu’il était seul
Mais qu’il n’était pas tout seul
Et c’est alors qu’il vit
Rien en personne devant lui.
Jacques Prévert
INTEMPERIES – JACQUES PREVERT

INTEMPÉRIES – JACQUES PREVERT
(Féerie)
Petits couteaux de gel et de sel
petits tambours de grêle petits tambours d’argent
douce tempête de neige merveilleux mauvais temps
Un grand ramoneur noir
emporté par le vent
tombe dans l’eau de vaisselle du baquet d’un couvent
Enfin quelqu’un de propre
à qui je puis parler
dit l’eau de vaisselle
Mais au lieu de parler voilà qu’elle sanglote
et le ramoneur fait comme elle
Homme compatissant tu comprends ma douleur dit
l’eau
Mais en réalité ce n’est pas à cause d’elle que le
ramoneur sanglote mais à cause de sa marmotte elle aussi enlevée par le
vent du nord
et dans un sens diamétralement opposé à celui du pauvre ramoneur
emporté par le vent du sud comme un pauvre sujet de pendule dépareillé par un déménageur qui met la bergère dans une boîte à savons et le berger dans une
boîte à biscuits sans se soucier le moins du monde s’ils sont des parents des amis
ou d’inséparables amants
Petits couteaux de gel et de sel
petits tambours de grêle petits sifflets de glace petites
trompettes d’argent douce tempête de neige merveilleux mauvais temps
Tu ne peux pas t’imaginer
dit l’eau de vaisselle au ramoneur
Ici c’est tout rempli de filles de triste vie
qui ruminent toute cette vie une haineuse mort
et avec ça toujours à table
Ah mauvais coups du mauvais sort
Et ça s’appelle ma mère et ça s’appelle ma sœur
et ça n’arrête pas de mettre le couvert
et c’est toujours de mauvaise humeur
O mauvais sang et mauvais os
eau grasse chez les ogresses
voilà mon lot…
Elle dormait tout l’hiver elle souriait au printemps et je ne vous mens pas
on aurait dit vraiment
qu’elle éclatait de rire quand arrivait l’été
La plus belle la plus étonnante et la plus charmante
marmotte de la terre et de tous les temps et le premier qui me dit le oontraire…
Et puis sans elle qu’est-ce que je vais foutre maintenant
J’aurais préféré geler de froid
dans la cruche cassée d’une prison
et même grelotter de fièvre dans la gorge du prisonnier
dit l’eau de vaisselle
qui n’a prêté aucune attention aux confidences du ramoneur
J’aurais mieux aimé faire tourner les moulins
j’aurais mieux aimé me lever de bonne heure le dimanche matin
et dans les grands bains douches asperger les enfants
Et j’aurais tant aimé laver de jeunes corps amoureux
dans les maisons de rendez-vous de la rue des
Petits-Champs
J’aurais tant aimé me marier avec le vin rouge
j’aurais tant aimé me marier avec le vin blanc
j’aurais tant aimé…
Mais le ramoneur l’interrompt
sans même se rendre compte que c’est là faire preuve
d’un manque total d’éducation
Or ça ne vaut plus la peine de respirer pour vivre autant crever la gueule ouverte
comme le chien qu’on empoisonne
avec un vieux morceau d’épongé grillée
Quand je pense que je la réveillais au milieu de l’hiver
pour lui raconter mes rêves
et qu’elle m’écoutait les yeux grands ouverts
absolument comme une personne
Et maintenant où est-elle je vous le demande
ma petite clé des songes
Peut-être avec un rémouleur un cocher de fiacre ou bien un vitrier
Ou bien qu’elle est tombée du ciel comme ça sans crier gare chez des gens affamés à jeun mal élevés et puis qu’ils l’ont fait cuire sur un réchaud à gaz
et qu’ils l’ont tuée sans même lui dire au revoir
qu’ils l’ont mangée sans même savoir qui c’est
Et dire qu’on appelle ça le monde qu’on appelle ça la société
Oh je voudrais être les quatre fers du cheval
dans la gueule du cocher
ou dans le dos du rémouleur
son dernier couteau affûté
et morceau de verre brisé dans l’œil du vitrier
Et il aura bonne mine avec son œil de verre
pour faire sa tournée
le vitrier
Et à tous ça leur fera les pieds
ils avaient qu’à pas la toucher
Maintenant je suis foutu le sel est renversé
mon petit monde heureux a cessé de tourner
8an8 elle je suis plus seul
que trente-six veuves de guerre
plus désolé qu’un rat tout neuf dans une sale vieille ratière rouillée
Petits couteaux du rêve petits violons du sang
Petites trompettes de glace petits ciseaux du vent
Radieuse tourmente de neige magnifique mauvais temps
Et avec cela
comme si
Dieu lui-même en bon directeur du
Théâtre de la
Nature avait décidé débonnai rement d’offrir à ses fidèles abonnés une attraction supplémentaire et de qualité voilà qu’un corbillard de
première avec tous ses pompons arrive à toutes pompes funèbres et franchit la grille du couvent le cocher sur le siège les chevaux harnachés le mors d’argent aux
dents
Mais toute réflexion faite
aucun miracle de la sorte
simplement la mère supérieure qui est morte
Et voilà toutes les sœurs sur le seuil de la porte en grande tenue de cimetière et en rangs d’oignons pour pleurer et la famille qui s’avance à son tour dans ses plus beaux
atours crêpés
avec un certain nombre de personnalités et puis les petites gens la domesticité avec les chrysanthèmes les croix de porcelaine et les couronnes perlées
Et l’évêque à son tour sous le porche apparaît soutenu par un lieutenant de garde mobile avec un long profil de mouton arriéré et une si énorme croupe qu’on
le dirait à cheval alors qu’il est à pied
Et l’évêque ne pleure qu’une seule larme mais d’une telle qualité que l’on comprend alors qu’en créant la vallée des larmes
Dieu qui n’est point une bête
Bavait ce qu’il faisait mais en même temps qu’il verse cette larme unique le très digne prélat tout en donnant le ton à l’affliction générale contemple à la
dérobée d’un voluptueux regard de chèvre humide la croupe mouvementée de son garde du corps sanglé dans sa tunique et il avance innocemment une main frémissante
avec le geste machinal et familier qu’on a pour chasser la poussière du vêtement de quelqu’un qu’on connaît
Ouais
dit à voix très basse comme on fait à la messe une dame patronnesse à une autre lui parlant comme on parle à confesse
La poussière a bon dos surtout qu’il pleut comme mérinos qui pisse un vrai scandale je vous dis et de la pire espèce et comme toute question mérite une réponse si vous
voulez savoir ce qui se passe je vous dis qu’ils en pincent et je vous dis comme je le pense ils ont de mauvaises mœurs c’est des efféminés des équivoques des hors nature
des
Henri m des statues de sel des sodomes et des zigomars un vrai petit ménage de cape et d’épée et même qu’ils font les statues équestres dans le grand salon de
l’évêché sans seulement se donner la peine de fermer la fenêtre l’été et dans le costume d’Adam complètement s’il vous plaît sauf le beau lieutenant qui
garde ses éperons et c’est pas par pudeur mais pour corser le califourchon et l’autre l’appelle mon petit
Lucifer à cheval mais lui l’évêque dans la maison tout le monde l’appelle
Monseigneur
Canasson
Quelle misère dit l’eau de vaisselle
Si belle tellement belle
répond le ramoneur
et quelquefois en rêve je me croyais heureux
Mais le singe du malheur s’est accroupi sur mon épaule
et il m’a planté dans le cœur la manivelle du souvenir
et je tourne ma ritournelle
la déchirante mélodie de l’ennui et de la douleur
Ça ne sert à rien dit l’eau de vaisselle
qui commence à en avoir assez
ça ne sert à rien ramoneur
de se faire du mal exprès
et puisque tu parles du malheur
regarde un peu ce que c’est
Regarde
Ramoneur
si tu as encore des yeux pour voir au lieu de pour
pleurer
Regarde de tous tes yeux
Ramoneur des
Cheminées homme de sueur et de suie de rires et de lueurs
Regarde le malheur avec ses invités
Le
Destin a tiré la sonnette d’alarme et chacun a quitté
le train-train de la vie ordinaire pour aller tous en
chœur rendre visite à la
Mort
Regarde la famille en pleurs avec son long visage de
parapluie retourné
Regarde le capucin avec ses pieds terribles et l’admirable parent pauvre en demi-loques fier comme un paon poussant dans son horrible voiturette l’ar-rière-grand-père en miettes et la
tête en breloque
Regarde l’Héréditaire avec tous ses pieds bots
Regarde l’Héritière avec ses lécheurs de museau
Regarde le
Salutaire avec tous ses grands coups de
chapeau
Regarde
Ramoneur homme de tout et de rien
et vois la grande douleur de ces hommes de bien
Regarde l’Inspecteur avec le
Receleur regarde le
Donneur avec le
Receveur regarde le
Surineur avec sa croix d’Honneur regarde le
Lésineur avec sa lessiveuse regarde la
Blanchisseuse avec ses
Salis-seurs le
Professeur de
Vive la
France et le
Grand
Fronceur de sourcils le
Sauveur d’apparences et le
Gardeur de
Sérieux
Regarde le
Péticheur le
Confesseur le
Marchand de
Douleurs le
Grand
Directeur d’inconscience le
Grand
Vivisecteur de
Dieu
Regarde le
Géniteur avec sa
Séquestrée et la
Demi-portion avecque sa
Moitié et le
Grand
Cul-de-jatte de
Chasse vingt et une fois palmé et l’Ancienne
Sous-Maîtresse du grand 7 avec son fils à
Stanislas sa fille à
Bouffémont et son édredon en vison et sa pauvre petite bonne en cloque de son vieux maquereau en mou de veau
Regarde
Ramoneur
debout dans la gadoue tout près du
Procureur rÉquarrisseur
Regarde comme il caresse du doux coup d’œil du connaisseur
le plus gras des chevaux de la voiture à morts
Et s’il hoche la tête avec attendrissement c’est parce qu’en lui-même
il pense tout bonnement
Si la bête par bonheur tout à l’heure en glissant se cassait gentiment une bonne patte du devant j’en connais un qui n’attendrait pas longtemps pour enlever l’affaire illico
sur-le-champ
Et soupirant d’aise il s’imagine la ohose s’accomplis-sant d’elle-même
le plus simplement du monde
la bête qui glisse qui bute qui culbute et qui tombe et lui au téléphone sans perdre une minute et son camion qu’arrive en trombe et la bête abattue sans perdre une seconde
le palan qui la hisse le camion qui démarre en quatrième vitesse et le retour à la maison les compliments de l’entourage et puis la belle ouvrage l’ébouillantage le
fignolage et puisque tout est cuit passons au dépeçage proprement dit
Mais le
Procureur l’entendant soupirer lui frappe sur l’épaule
pour le réconforter croyant qu’il a la mort dans l’âme à cause des fins dernières de l’homme
Allons voyons ne vous laissez pas abattre
Tout le monde y passe un jour ou l’autre mon bon ami qu’est-ce que vous voulez c’est la vie
Et il ajoute parce que c’est sa phrase préférée en pareille occasion
Mais il faut bien reconnaître qu’hélas
c’est le plus souvent les mauvais qui restent et les bons
qui s’en vont
Il n’y a pas de mauvais restes répond l’Équarrisseur quand la bête est bonne tout est bon et idem pour la carne et pour la bête à cornes
Mais reconnaissant dans l’assistance une personne de la plus haute importance il se précipite pour les condoléances
Regarde
Ramoneur dit l’eau de vaisselle cette personne importante
avec sa gabardine de deuil et sa boutonnière en ruban c’est un homme supérieur
Il s’appelle
Monsieur
Bran
Un homme supérieur indéniablement et qui a de qui tenir puisque petit-neveu de la défunte
Mère
Supérieure née
Scaferlati et sœur cadette de feu le lieutenant-colonel
Alexis
Scaferlati
Supérieur également du couvent de
Saint-Sauveur-les-Hurlu par
Berlue
Haute-Loire-Supérieure et nettoyeur de tranchées à ses derniers moments perdus pendant la grande conflagration de quatorze dix-huit bon vivant avec ça pas bigot pour un sou
se mettant en quatre pour ses hommes et coupé hélas en deux en dix-sept par un obus de soixante-quinze au mois de novembre le onze funeste erreur de balistique juste un an avant
l’armistice
Et un homme qui s’est fait lui-même gros bagage universitaire ce qui ne gâte rien un novateur un homme qui voit de l’avant et qui va loin et naturellement comme tous les novateurs
jalousé et envié critiqué attaqué diffamé et la proie d’odieuses manœuvres politiques bassement démagogiques ses détraoteurs l’accusant notamment d’avoir
réalisé une fortune scandaleuse avec ses bétonneuses pendant l’occupation mais sorti la tête haute blanc comme neige du jugement
Ayant lui-même présenté sa défense avec une telle hauteur de pensée jointe à une telle élévation de sentiment qu’une interminable ovation en salua la
péroraison
…
Messieurs déjà avant la guerre j’étais dans le sucre dans les aciers dans les pétroles les cuirs et peaux et laines et cotons mais également et surtout j’étais
dans le béton et la guerre déclarée j’ai fait comme
Mac-Mahon la brèche étant ouverte messieurs j’y suis resté et à ceux qui ont le triste courage de ramasser aujourd’hui les pierres de la calomnie sur le chantier
dévasté de notre sol national et héréditaire à peine cicatrisé des blessures de cette guerre affreuse et nécessaire pour oser les jeter avec une aigre
frénésie contre le mur inattaquable de ma vie privée j’oppose paraphrasant si j’ose dire un homme au-dessus de tout éloge un vrai symbole vivant j’ai nommé avec le plus
grand respect et entre parenthèses le général de
Brabalant j’oppose disais-je un mépris de bétonnière et de tôle ondulée mais pour ceux qui comprennent parce qu’ils sont les héritiers d’une culture
millénaire et non pas les ilotes d’une idéologie machinatoire et simiesque autant qu’utilitaire je me contenterai d’évoquer ici également respectueusement la présence
historique et symbolique d’un homme qui fut comme moi toute proportion nonobstant gardée attaqué vilipendé dénigré bassement lui aussi en son temps
Je veux parler de
Monsieur
Thiers et rappeler très simplement les très simples paroles prononcées par ce grand homme d’État alors qu’il posait lui-même en personne et en soixante et onze la
première pierre du
Mur des
Fédérés
Paris ne se détruit pas en huit jours quand le
Bâtiment va tout va et quand il ne va pas il faut le faire aller
Voilà mon crime
Messieurs quand aux heures sombres de la défaite beaucoup d’entre nous et parmi les meilleurs car je n’incrimine personne se laissaient envahir par les fallacieuses lames de fond de
l’invasion et de l’adversité j’ai oompris du fond du cœur que le
Bâtiment était en danger alors
Fluctuât messieurs et
Nec mergitur j’ai pris la barre en main et je l’ai fait aller et j’ajouterai pour répondre à mes dénigrateurs qu’on ne bâtit pas un mur avec des préjugés surtout
au bord de l’Atlantique face à face avec les éléments déchaînés…
Porté en triomphe sur-le-champ radiodiffusé aux flambeaux monté en exemple et montré en épingle aux actualités nommé par la suite grand
Bétonnier du bord de la mer honoraire et développant chaque jour le vaste réseau de ses prodigieuses activités balnéaires industrielles synthétiques et fiduciaires
il est aujourd’hui à la tête du
Bran
Trust qui porte son nom et qui groupe dans ie monde entier toutes les entreprises de
Merde
Préfabriquée destinée à remplacer dans le plus bref délai les ersatz de poussière de sciure de simili contreplaqué et les culs et tessons de bouteille piles
entrant jusqu’alors avec les poudres de raclures de guano façon maïs dévitalisé et les viscères de chien contingentés et désodorisés dans la composition
des
Phospharines d’après-guerre employées rationnellement dans la fabrication du
Pain
Et regarde
Ramoneur de mon coeur comme cet homme n’est pas fier et surtout c’est quelqu’un qui entre déjà tout vivant dans l’Histoire grâce à son impérissable slogan
Bon comme le
Bon
Pain
Bran
Vois comme il ne dédaigne pas de mettre lui-même la main à la pâte et comme il profite de la circonstance pour s’assurer de nouveaux débouchés parmi les nombreuses
familles et personnalités venues aux funérailles de la femme au grand cœur morte en odeur de sainteté glissant avec une discrète insistance des petits sachets
d’échantillon de
Bran sélectionné dans la main moite de la
Condoléance venue pour le condoléer
Et chaque sachet est enveloppé dans une feuille volante et ronéotypée reproduisant les principaux passages de sa fameuse allocution au grand
Congrès
International du
Bran
Trust chez
Dupont de
Nemours dans la grande salle du fond là où le grand
Dupont accoudé sans façon à son comptoir d’acier reçoit son aimable et fidèle clientèle avec une inlassable générosité.
Un canon c’est ma tournée
une
Tournée générale une grande
Tournée mondiale
encore un canon pour un général
encore un canon pour un amiral
encore un canon pour la
Société…
Mais le ramoneur de tout cela s’en fout éperdument
Il est arrivé là au beau milieu de cet enterrement
comme un cheveu de folle sur la soupe d’un mourant
Petits tambours de gTêle petits sifflets d’argent petites épines de glace de la
Rose des
Vents
Et bientôt le voilà errant dans la
Ville
Lumière et dirigeant ses pas vers la
Porte des
Lilas
Elle est peut-être derrière cette porte au nom si joli celle qu’il appelait
Printemps de l’Hiver de ma vie
Rue de la
Roquette
Là où il y un square collé au mur d’une prison et fusillé chaque jour par la mélancolie
Une fillette le regarde passer et lui sourit
Les ramoneurs portent bonheur toute petite on me l’a dit
Trop ébloui pour dire merci
la fleur de ce sourire il l’emporte avec lui
et longeant une rue longeant elle aussi la prison il lève
machinalement la tête pour connaître son nom
Cette rue s’appelle la rue
Merlin et comme ce nom ne lui dit rien
il ne répond rien à ce nom
Et c’est pourtant celui de l’enchanteur
Merlin qui donna son nom à la
Merline ce petit orgue portatif qui serinait jadis aux merles par trop rustiques les plus difficultueux accords du délicat système métrique de la musique académique
et qui généreusement plus tard fit gracieusement don aux tueurs des abattoirs du
Merlin son marteau magique
Et comme le ramoneur poursuit son chemin avec entre les lèvres la fleur de la jeunesse couleur de cri du cœur il ne peut voir derrière lui l’ombre de l’enchanteur qui pas à
pas le suit ulcérée et déçue de n’avoir réveillé aucun souvenir notoire glorieux ou exaltant dans l’ingrate mémoire de ce passant indifférent
En sourdine la
Merline de l’ombre a l’air de jouer un petit air de soleil et de fête
Le ramoneur ralentit le pas
Ingénument il croit que c’est la fillette de la
Petite-Roquette qui court après lui et qui lui pose doucement sur l’oreille sur son oreille tout endeuillée de chagrin et de suie
les cerises du printemps
signe d’espoir tout neuf
signe de gai oubli
Mais l’ombre de l’enchanteur rompant le charme enfantin file un grand coup de merlin sur la tête du passant frappé à l’endroit même où sa peine d’amour s’endormait en
rêvant comme un chagrin d’enfant s’enfuit en chantonnant
Demande le temps au baromètre
ne frappe pae chez l’horloger
autant demander au mouchard
l’heure du plaisir pour le routier
Sur notre pauvre cadran salaire
l’ombre du profit s’est vautrée
mais elle n’a pas les moyens de rêver
Le vrai bien-être n’a rien à voir
avec le somptueux mal-avoir
Et le
Tout-Paris ohaque soir
tire la chaîne sur le
Tout-à-1’égout
Chaque nuit la chanson de chacun est jetée aux
ordures de la chanson de tous
La baguette du chiffonnier dirige l’opéra du matin et les gens du monde font encadrer les bas-reliefs de leur festin
Nous autres économiquement faibles notre joie c’est de dépenser notre force c’est de partager
N’ajoute pas d’heures supplémentaires au mauvais turbin du chagrin
Mets-lui au cou tes derniers sous et noie-le dans le vin 8i tu n’as plus tes derniers sous prends les miens
Le travail comme le vin a besoin de se reposer et quand le vin est reposé il recommence à travailler
Et le vin du
Château-Tremblant monte à la tête du rêveur et lui ramone les idées
Fastueux comme un touriste qui découvre la capitale il
fait le tour de la salle et poursuit son rêve comme on suit une femme levant de temps en temps son verre à la santé de celle
qu’il aime et des amis de l’instant même
Et je vous invite à la noce vous serez mes garçons d’honneur nous aurons un petit marmot et vous boirez à son bonheur
Laissez-le poursuivre sa complainte dit l’égoutier aux débardeurs laissons-le dévider son cocon
Sur la petite échelle de soie qu’il déroule dans sa chanson il s’évade de sa prison
La marotte du fou c’est le spectre du roi et sa marotte à lui c’est celle de l’amour le seul roi de la vie
Ma petite reine de cœur ma petite sœur de lit
Le ramoneur parle de sa belle
chacun l’écoute tous sourient aucun ne rit de lui
Je suis son œillet
elle est ma boutonnière
Je suis son saisonnier elle est ma saisonnière
Elle est ma cloche folle et je suis son battant
Elle est mon piège roux je suis son oiseau fou
Elle est mon cœur je suis son sang mêlé
Je suis son arbre elle est mon cœur gravé
Je suis son tenon elle est ma mortaise
Je suis son âne elle est mon chardon ardent
Elle est ma salamandre je suis son feu de cheminée
Elle est ma chaleur d’hiver je suis son glaçon dans son verre l’été
Je suis son ours elle son anneau dans mon nez
Je suis le cheveu que les couturières cachaient autrefois dans l’ourlet de la robe de mariée pour se marier elles aussi dans l’année
Petits tambours de grêle petits violons du sang petits cris de détresse petits sanglots du vent petite pluie de caresses petits rires du printemps
Bientôt les bougies de la lune sont soufflées par le vent du matin c’est l’anniversaire du jour
L’eau de vaisselle s’en va vers la mer le rêveur poursuit son rêve l’amoureux poursuit son amour et le ramoneur son chemin.
Jacques Prévert
LES ENFANTS QUI S’AIMENT – PHILIPPE LEOTARD/ JACQUES PREVERT

LES ENFANTS QUI S’AIMENT – PHILIPPE LEOTARD/ JACQUES PREVERT
Les enfants qui s’aiment
S’embrassent debout contre les portes de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfants qui s’aiment
Ne sont là pour personne
Et c’est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit
Excitant la rage des passants
Leur rage, leur mépris
Leurs rires et leur envie
Les enfants qui s’aiment
Ne sont là pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour
Dans l’éblouissante clarté
De leur premier amour
Les enfants qui s’aiment
S’embrassent debout contre les portes de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfants qui s’aiment
Ne sont là pour personne
Et c’est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit
Excitant la rage des passants
Leur rage, leur mépris
Leurs rires et leur envie
Les enfants qui s’aiment
Ne sont là pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour
Dans l’éblouissante clarté
De leur premier amour
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