DURE A PASSER – JACQUES BERTIN


DURE A PASSER – JACQUES BERTIN

Tu as traîné toute la nuit dans les bistrots du centre,

Tu rentres chez toi, tu prends un papier, un crayon,

Mais rien ne vient parce qu’il n’y a rien à dire, au fond,

Tu prends un bain, puis tu prépares ton suicide,

Quelquefois, la nuit est bien plus courte qu’on imagine,

La mort vient vite, et c’est trop tard, le jour est là,

Dans l’arbre, toujours le même, volià déjà le rossignol,

Jour qui vient à poignarder, tu es livide,

Je sens, je sens tous ceux qui, cette nuit, sont seuls,

Qui vont passer la nuit, tenant la main courante,

A regarder le gouffre, à y sombrer,

Je sens la mort qui jaillit du miroir éclaté

Il faut descendre dans la rue, il faut peupler la nuit,

Il faut prendre la mort au licol et l’amener boire

Ensemble, dans une aurore lumineuse, des gouttes de rosée,

Que seront les mots innombrables, par nous, au sol, déposés

Ô mon âme, quand je serai sur l’autre versant de la nuit,

Je serai dans le sel de tes larmes, à toi seul,

Ce soir, la mort pose son muffle chaud sur mon épaule,

Comme une bonne compagne pas trop dérangeante, pour le moment

Jacques Bertin

LES DOIGTS REMIS SUR LE CLAVIER DES DENTELLES


LES DOIGTS REMIS

SUR LE CLAVIER DES DENTELLES

Au plus tendre du temps sans que le vent dérange l’escalade du genou à l’aine, me remonte avec la jupe l’échappée de l’herbe par la bordure de dentelle

Le blues qui cogne de la poitrine des arbres draine le loup de la forêt profonde

Je me rappelle les paroles en muet dans les secousses sorties du galop de cheval montées à cru durant toute la parade

Mon oeil, celui qui a mal, se rafraîchit ses brûlures à la vue de la source offerte

sans interrompre l’envol des oiseaux depuis les hanches de la poterne de la caverne

Le tunnel est naturel

les enfants peuvent accorder leurs rondes aux guitares jusqu’au bout de la nuit et se baigner à minuit dans la plus blanche nudité

Mes doigts au clavier d’une cuisse reprennent l’escalade expurgée de l’agression actuelle, en osmose animale avec la plaine végétale âgée de millions d’années…

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Niala-Loisobleu.

2 Novembre 2023

CELLE QUI AVAIT LES CHEVEUX DANS LES REINS – JACQUES BERTIN


CELLE QUI AVAIT LES CHEVEUX DANS LES REINS

JACQUES BERTIN

Celle qui avait les cheveux dans les reins
Est-ce qu’elle est toujours à genoux sur ma tête ?
Est-ce que la nuit quand je dors, je rentre en son jardin
Sans m’éveiller je descends à nouveau chez elle ?

Je reconnais les objets familiers un à un
Les degrés de pierre, l’étang, la resserre
Les soieries que j’aime et dont elle se vêt
La page où elle est striée de noir de dentelles

Adolescente, ô corps que j’aimais
Je pense à toi, je prépare, je rêve
La nuit revient perdue, ta main
Reste dans mon épaule aux tourterelles

Jacques Bertin

DES CÔTES PENCHANTS A MAREE


DES CÔTES PENCHANTS A MAREE

C’est un bout des peints qui laisse ses aiguilles courir sur le sol

Un oiseau posé là sans que le hasard ait choisi la branche mange du ciel entre les feuilles

Après la dernière barque amarrée le long du quai, un train tire ses couloirs sur la corde

Dans l’haleine la langue où le dernier baiser s’est roulée n’a pas reboutonné le corps qu’elle a tiré à elle

Ces choses de la vie qui restent collées aux murs sont libres d’écriture et parlent comme les secousses qui suivent les rails à saute-mouton sur les traverses. Les paysages qui sont restés grand-teint c’est des campagnes de ses guerres à soi. Ceux qui les ont déshabités n’en ont pas pour autant défaits les gares, ni les étapes. Ils roulent toujours attelés au convoi

J’aime plus que tout aimer

c’est dans ces pertes blanches que le tant traverse, ils comblent les manques à tous les degrés

A l’appui du cerisier , au coeur de son noyau, le degré de l’échelle respire des nuits pleines, surtout le soir quand les voix se mangent

Il faut que j’apprenne à comprendre des césures qui ont arraché les pages en les tapant sur le clavier du coeur. Personne n’apporte de réponse

La mort est la plus incorrecte des choses

Et c’est incompatible avec mon côté que je penche…

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Niala-Loisobleu.

25 Août 2023

INITIATION PAR FERNANDO PESSOA


INITIATION

PAR FERNANDO PESSOA

Tu ne dors pas sous les cyprès
car il n’est de sommeil en ce monde…
Le corps est l’ombre des vêtements
qui dissimulent ton être profond.

Vient cette nuit qu’est la mort,
et l’ombre s’achève sans avoir été.
Tu vas dans la nuit, simple silhouette,
Égal à toi contre ton gré.

Mais à l’Hôtellerie de l’Épouvante
les Anges t’arrachent ton manteau.
Tu poursuis sans manteau sur l’épaule
avec le peu qui te protège.

Lors les Archanges du Chemin
te dépouillent et te laissent nu.
Tu n’as plus ni vêtements ni rien :
tu n’as que ton corps, qui est toi.

Enfin, dans la profonde caverne,
les Dieux te dépouillent plus avant.
Cesse ton corps, âme externe,
Mais en eux tu vois tes égaux.

Le Sort n’a laissé parmi nous
que l’ombre de tes vêtements.
Tu n’es pas mort sous les cyprès.
Néophyte, il n’est point de mort.

Fernando Pessoa

« TROIS BOUQUETS » JACQUES BERTIN


« TROIS BOUQUETS » JACQUES BERTIN

Trois bouquets de fleurs auprès du lit parmi les livres
La paix qui s’installe ici à cause de toi
Le premier bouquet pour l’enfant que nous ne ferons pas
Le second pour le chant des hommes dont nous sommes séparés
Le troisième parce que tu m’aimes, des œillets

Trois bouquets de fleurs auprès du lit parmi les livres
Un jour nous cesserons de fuir ô mon enfant
Un jour nous nous retrouverons, je te dirai : tu as vieilli
Sur une berge triste dans le limon tu es belle et transie
Compagnons, recouvrez notre amour de vos voix humaines
Manteau des révoltes, manteau de laine, celle que j’aime a froid

Jacques Bertin

JEU DE CUBES


NIALA

JEU DE CUBES

Au coeur de la toile

le grand chapiteau

où je pose mes jardins d’homme

sur le désert du jour

passent les chevaux tirant de la vague

assez d’écume pour me bouchonner de paille

.

Essaim

qui balance

de l’herbe provient la couleur

qui fait les paroles du chant

Je m’en irai par une des fenêtres que j’ai ouverte

chercher cet autre boisseau de folle avoine dans le plus grand silence.

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Niala-Loisobleu.

11 Avril 2023

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Jacques Bertin – Le Voyage

J’ai retrouvé dans la coque la vieille fêlure L’humidité qui suinte comme l’éternel poison Et j’ai pleuré, assis la tête contre la cloison De l’autre côté le moteur battait son chant profond Celui qui vient de l’enfance Et dont les basses fréquences Toujours ont raison Où tu vas poser ton sac Fais un lit avec tes larmes Il flottait dans cet endroit une odeur de goudron et d’urine Gravé dans le travers de la blessure on distinguait un nom Une illusion ou un message ou une marque de fabrique Le monde passait contre les hublots lentement comme un monde Les façades prétentieuses croulaient dans les angles morts On voyait des visages de femmes glacées et pensives Marquant la brume comme d’immatures soleils d’hiver Je ne sais pourquoi je me bats le bateau me conduit dans l’aube Ah vers la haute mer, bien sûr, comme chaque matin Je me retrouve faisant mon méchant trafic dans un port incertain Il faut payer cash, en devises fortes et avec le sourire Je ne sais pourquoi je me bats. J’ai pleuré dans la chaleur torride Le monde est beau ! Les femmes se donnent avec des airs de s’oublier ! Nos victoires sont devant nous qui nous tendent la main ! Où tu vas poser ton sac Fais un lit avec tes larmes

JE T’AI BIEN EN NOTE


NIALA

JE T’AI BIEN EN NOTE

Là du bout de tes doigts

rien ne me gratte de ces histoires de réforme

je tiens la seule couleur qui garde ma raison de vivre

et du bout des miens j’en soupèse chacune de tes formes

dans le carnet

Tu vieillis

quel bonheur de te voir écrire de ce sang qui me fait peindre

Emoi aussi !

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Niala-Loisobleu.

1er Avril 2023

« Carnet »

Il y a beaucoup de morts dans le journal d’hier
Et beaucoup de misère mais partout
Beaucoup de gens qui restent indifférents
Le lendemain tout semble déjà moins grave

Je ne voudrais pas que tu vieillisses trop vite
Avant que nous ayons eu le temps de nous arrêter
Et de nous dire : nous sommes heureux
Que nous nous regardions encore une fois
Dans le miroir amoureux des sourires
Que je te trouve belle encore une fois
Je veux encore du temps pour offrir
Ton corps aux regards de passage
Gens de passage prenez cette femme
Possédez-la un jour elle ne sera plus rien
Montre-toi nue danse pour eux
Possédez-la qu’elle demeure
Et demeure l’empreinte de ses doigts dans le sol

Je sens maintenant que tout va un peu plus vite
Pourtant nous avons juste trente ans
Je m’arrête et je te regarde
Ai-je assez profité de toi?
J’arrête le monde et je regarde
Car il est plus que temps aujourd’hui de vivre
Je cherche à écrire de plus en plus simplement
Je me préoccupe moins des rimes et des rythmes
Car il est plus que temps aujourd’hui de vivre
De repousser la porte que quelqu’un ferme sur nous inéluctablement

Dans le journal d’hier beaucoup de morts
Et puis partout beaucoup de gens indifférents
Nous sommes peu nombreux à veiller
Nous tenons la lampe allumée
Nous repoussons de toutes nos forces le sommeil
Et la lampe nous fait les yeux brillants

Nous tenons la lampe allumée
Nous ne vieillissons pas

Jacques Bertin