MILLE MORTS PAR CLAUDE ROY


Iryna Ttsvila

MILLE MORTS PAR CLAUDE ROY

Je suis dans le soleil endormi paresseux habité de pensées comme l’été d’abeilles

Le soleil tout à ce qu’il fait n’est que lumière et que chaleur et l’arbre d’un seul mouvement n’a qu’une idée dans ses racines

L’oiseau qui se pose sur l’arbre est oiseau de toutes ses ailes Toute en couleur toute en parfum la fleur ignore l’ironie le souvenir la nostalgie les bons les mauvais sentiments le temps qui
passe patiemment le temps qui passe tellement

Mon chien qui rêve qu’il est chien et grogne à mes pieds dans l’herbe n’est que mon chien qui se sait chien dans l’herbe qui n’est que de l’herbe

Mais moi Que voulez-vous que je dise de moi Je ne vis qu’une fois mais c’est toujours ailleurs Je vis de mille vies Je meurs de mille morts dénoue ce que j’ai noué déjoue ce qui
me lie sorte d’absent-présent que vous nommez un homme

Homme Qui nommez-vous Un autre Moi Personne

Quand je parle au dedans une autre voix résonne et lorsque je me tais je ne reconnais pas le silence que fait mon long silence en moi

Je suis un homme et plusieurs hommes L’instant présent me prend toujours en défaut

Je vis de mille vies Je meurs de mille morts

Si le vent se lève soudain fait frissonner les peupliers longuement torrent qui s’écoule sur les cailloux blancs pommelés du ciel le vent ne froisse que les feuilles pelage vert
et murmurant

Mais le vent qui court et parcourt mes étendues et mes domaines le vent n’en finit pas d’aller et de venir

Les labyrinthes du souci

et les signes d’intelligence

que le jour fait à la nuit

le sommeil sa fausse vacance

l’ennui qui nie miroir terni

la lampe éteinte de l’absence

le plaisir où je me délie

le travail où je me dépense

et l’amitié où je m’allie

la réflexion que je devance

le livre où je me relis

le poème qui se condense

dans les ténèbres à demi

de la chuchotante présence

que mon absence contredit

les vaines joies les vraies souffrances

demain qui menace aujourd’hui

je ne suis rien que la patience

qu’ont les vivants à être en vie

Je vis de mille vies Je meurs de mille morts.

Claude Roy

SUR UNE NUIT SANS ORNEMENT PAR RENE CHAR


SUR UNE NUIT SANS ORNEMENT PAR RENE CHAR

Regarder la nuit battue à mort; continuer à nous suffire en elle.

Dans la nuit, le poète, le drame et la nature ne font qu’un, mais en montée et s’aspirant.

La nuit porte nourriture, le soleil affine la partie nourrie.

Dans la nuit se tiennent nos apprentissages en état de servir à d’autres, après nous. Fertile est la fraîcheur de cette gardienne!

L’infini attaque mais un nuage sauve.

La nuit s’affilie à n’importe quelle instance de la vie disposée à finir en printemps, à voler par tempête.

La nuit se colore de rouille quand elle consent à nous entrouvrir les grilles de ses jardins.

Au regard de la nuit vivante, le rêve n’est parfois qu’un lichen spectral.

Il ne fallait pas embraser le cœur de la nuit. Il fallait que l’obscur fui maître où se cisèle la rosée du matin.

La nuit ne succède qu’à elle. Le beffroi solaire n’est qu’une tolérance intéressée de la nuit.

La reconduction de notre mystère, c’est la nuit qui en prend soin : la toilette des élus, c’est la nuit qui l’exécute.

La nuit déniaise notre passé d’homme, incline sa psyché devant le présent, met de l’indécision dans notre avenir.

Je m’emplirai d’une terre céleste.

Nuit plénière où le rêve malgracieux ne clignote plus, garde-moi vivant ce que j’aime.

René Char

COMME CHAT QUE L’OISEAU C’EST LA VIE


COMME CHAT QUE L’OISEAU C’EST LA VIE

Pour garnir le vide d’une rue

la page ouvre son pas-de-porte , façade gardée au coeur de la pensée qui ne l’a pas quittée

Léchant les murs de son pas souple le chat ondule en regardant les volutes du chant de l’oiseau sauter d’une branche à l’autre

La main de l’enfant sur le cerceau et le cheval de bois montent et élèvent le fond des choses dans l’éloignement du mauvais moment

Au coin de la rue, prêtes à se faire jardiner, les fleurs d’un printemps à transplanter n’ont rien d’obsolète en cette situation de combat de rue

Ramassant le bris de vitres, la mère en posant son bébé dans son berceau, pense qu’un jour il devra aller se battre pour défendre ce que son père est parti lui épargner. C’est la vie

Sur les murs tremblants sous les bombes les photos de la famille font le tour des pièces en laissant glisser leurs doigts sur le piano

Quand l’herbe marquée d’un char entonne le refus de céder, molotov paie sa tournée de cocktails.

Niala-Loisobleu – 1er Mars 2022

ÉCRIT SUR LA PLINTHE D’UN BAS-RELIEF ANTIQUE PAR VICTOR HUGO


ÉCRIT SUR LA PLINTHE D’UN BAS-RELIEF ANTIQUE PAR VICTOR HUGO

À MADEMOISELLE LOUISE B.

La musique est dans tout. Un hymne sort du monde.
Rumeur de la galère aux flancs lavés par l’onde,
Bruits des villes, pitié de la sœur pour la sœur,
Passion des amants jeunes et beaux, douceur,
Des vieux époux usés ensemble par la vie,
Fanfare de la plaine émaillée et ravie,
Mots échangés le soir sur les seuils fraternels,
Sombre tressaillements des chênes éternels,
Vous êtes l’harmonie et la musique même !
Vous êtes les soupirs qui font le chant suprême !
Pour notre âme, les jours, la vie et les saisons,
Les songes de nos cœurs, les plis des horizons,
L’aube et ses pleurs, le soir et ses grands incendies,
Flottent dans un réseau de vagues mélodies ;
Une voix dans les champs nous parle, une autre voix
Dit à l’homme autre chose et chante dans les bois.
Par moment, un troupeau bêle, une cloche tinte.
Quand par l’ombre, la nuit, la colline est atteinte,
De toutes parts on voit danser et resplendir,
Dans le ciel étoilé du zénith au nadir,
Dans la voix des oiseaux, dans le cri des cigales,
Le groupe éblouissant des notes inégales.
Toujours avec notre âme un doux bruit s’accoupla ;
La nature nous dit : « Chante ! » et c’est pour cela
Qu’un statuaire ancien sculpta sur cette pierre
Un pâtre sur sa flûte abaissant sa paupière.

Juin 1833.

Extrait de: 

 Les contemplations (1)

Victor Hugo

CARÊME


CARÊME

Au bord d’un chant, seul, le vent émoi. Les yeux dans l’espérance, ce qui me vibre de Toi charpente au-delà de l’erreur de la méprise

Ne rien dire exaucera mieux le désir que le dérapage d’une intention erronée

La foi sauve reste gardée

Niala -Loisobleu – 1er Mars 2022