JACQUES BERTIN – LA FEMME TRISTE


JACQUES BERTIN

LA FEMME TRISTE

Donnez-moi une femme triste
Riche de ses amours déçues
La maison au bord de la piste
La bonne hôtesse, le lait cru

Qui remonte chargée de pommes
D’un jardin dèjà dans l’hiver
Qui rit peu, qui aime les hommes
Et se souvient qu’elle a souffert

Donnez-moi une femme lente
Donnez-moi des silences vrais
Donnez-moi – jamais qui ne mente –
La vraie confiance, les « J’aimais…

« Bruits d’horloge halant dans l’ombre
Ce qu’on se fait comme raisons!
Chaland fidèle qui ne sombre
Jamais, ton beau penchant si long!

Puis feuille de menthe, vieux meubles
Vraie confidence, vrai café
Belle et lourde comme un vieux meuble
Donnez-vous soudain tout-à-fait

Ma main protège cette lampe!
Donnez-vous lente, et j’y croirai
Il y a du gel à tes tempes
Dans tes yeux monte une marée

Tout ment, tu sais, d’aller trop vite
Oh, soupir jamais envolé!
J’absous ta tristesse, j’hésite
Donnez-moi cette voix voilée

Du mal que l’on vous fit naguère
Vous me parlerez, vos amants
Ou vous vous tairez, puis la guerre
Vous parlerez. Tout ce qui ment

Les canonnades dans la plaine
Les beaux gosses, les orphéons
Derrière le rideau des peines
Oh, miracle des abandons!

Le manteau dans l’eau, le veuvage
Jetez votre âge dans ce bal
Faites sarment de votre mal
Pour brûler, prenez vos tourments

LA FORME ET LE MÊME – ALAIN MINOD


LA FORME ET LE MÊME – ALAIN MINOD

Le 27-06-2014
Repris le 19-11-2020

LA FORME ET LE MÊME

Rien n’est vraiment le même sauf ce que l’on sème
Écrire est à l’art ce qu’aimer est au hasard
L’on retrouve le même aux accents d’un « je t’aime »
Et le poème a part au désir qui démarre

Contre trop de fumée on tend à fulminer
Face aux rideaux l’on peste – qu’est-ce qu’il en reste ?
Oui ! Le poids des années qui nous ont malmenés
On le prend – on le teste – on ne change sa veste !!

Il se rend en la forme quand on le transforme
Et la beauté des choses rencontre la rose
On découvre printemps par tous les mauvais temps

Tumulte de l’informe … Tu nous désinformes
Il est temps que s’impose Liberté – qu’on ose
Animer tant et tant avec le bel instant

Alain Minod

LA BOÎTE A L’ÊTRE 45


LA BOÎTE A L’ÊTRE 45

Les feuilles ne tombent pas des nues, comme les nouvelles-lunes elles viennent donner à la vie l’engrais qu’une anémie réclame en toute absence de nitrate

Dans l’automne où nous sommes, je décrasse la fatigue de mon oeil malade, cette baisse de vue victime de l’acide que l’herpès ne cesse pas de mitrailler du gravier des fenêtres du couloir

Le docteur m’a rappelé aussi le bon usage des jambes, en n’oubliant rien de la façon de se lever qui commande au cerveau sans initier de risque de chute par désordre

Comme le mensonge habilement utilisé peut faire sortir de la réalité

Un matin il va trop loin

La rue n’est plus qu’un panneau d’affichage trop bavard

Le Je fait bande à part

Nous n’a plus qu’à aller se faire voir, paon, paon, voilà la raclée

Et je poste dans la Boîte à l’Être le 45, ça faisait longtemps

Le papillon sort de l’abat-jour

Refaire du neuf !

Niala-Loisobleu – 4 Novembre 2021



LA BOÎTE A L’ÊTRE 9

Le souffle qui poussière

aboie au long des chemins

le mors des errants

que le tant pousse ailleurs

Crie sois chien

mais jamais

non

jamais aux chaînes

Niala-Loisobleu – 25 Octobre 2014

L’INTROUVABLE




L’INTROUVABLE

Ton amour est-il pur comme les forêts vierges,
Berceur comme la nuit, frais comme le Printemps ?
Est-il mystérieux comme l’éclat des cierges,
Ardent comme la flamme et long comme le temps ?

Lis-tu dans la nature ainsi qu’en un grand livre ?
En toi, l’instinct du mal a-t-il gardé son mors ?
Préfères-tu, — trouvant que la douleur enivre, —
Le sanglot des vivants au mutisme des morts ?

Avide de humer l’atmosphère grisante,
Aimes-tu les senteurs des sapins soucieux,
Celles de la pluie âcre et de l’Aube irisante
Et les souffles errants de la mer et des cieux ?

Et les chats, les grands chats dont la caresse griffe,
Quand ils sont devant l’âtre accroupis de travers,
Saurais-tu déchiffrer le vivant logogriphe
Qu’allume le phosphore au fond de leurs yeux verts ?

Es-tu la confidente intime de la lune,
Et, tout le jour, fuyant le soleil ennemi,
As-tu l’amour de l’heure inquiétante et brune
Où l’objet grandissant ne se voit qu’à demi ?

S’attache-t-il à toi le doute insatiable,
Comme le tartre aux dents, comme la rouille au fer ?
Te sens-tu frissonner quand on parle du diable,
Et crois-tu qu’il existe ailleurs que dans l’enfer ?

As-tu peur du remords plus que du mal physique,
Et vas-tu dans Pascal abreuver ta douleur ?
Chopin est-il pour toi l’Ange de la musique,
Et Delacroix le grand sorcier de la couleur ?

As-tu le rire triste et les larmes sincères,
Le mépris sans effort, l’orgueil sans vanité ?
Fuis-tu les cœurs banals et les esprits faussaires
Dans l’asile du rêve et de la vérité ?

— Hélas ! autant vaudrait questionner la tombe !
La bouche de la femme est donc close à jamais
Que, nulle part, le Oui de mon âme n’en tombe ?…
Je l’interroge encore et puis encore… mais,
Hélas ! autant vaudrait questionner la tombe !…

Extrait de:  Les névroses (1883)

Maurice Rollinat

SERENADE A QUELQUES FAUSSAIRES


SÉRÉNADE A QUELQUES FAUSSAIRES

PAR

GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES

Sous les couronnes de fer et de zinc,

O constance mécanique et fureur des limites,

Si l’inutile fleur de liberté se sèche pour mourir.

Esclave des libérateurs automates,

Hélas meurt la dernière ressource

Et sur le cheval vert et fulgurant,

On ne verra plus passer l’os dressé vers le ciel

Avec ses lambeaux de charogne,

Les doux platanes et les descentes de lit des campagnes,

Les frais enfants de l’espoir,

Les confitures de vertu, les grandes chandelles de papier

Ont-ils connu les pas brûlants ?

Tout n’est-il que cendre dans la salle des pas perdus,

Le vent est-il pur,

La glace, la mort, le sable, le sang

Sont-ils les derniers souvenirs ?

Croque-morts de
Dieu, avez-vous épousseté le cercueil,

Avez-vous craché sur votre ventre avant d’aller au

combat?
Chacals des cimetières, avez-vous entre les dents l’odeur

des âmes
Et toi tonnerre noir de l’épouvante,
Claquement des côtes,
As-tu fait d’un seul coup éclater le cœur du lion et la

vessie du cochon?
La tâche est-elle vidée comme le tonneau du ciel ?

Assez, faux-bourreaux, police humide, faux scandales,

Vendeurs de bazars!

Vous avez roté d’avoir trop rongé vos ongles et votre

caisse
Et sur votre peau de luxe
Repousse la moisissure de l’univers
Et sur votre menton le poil des nonnes.
Comme la croix vos pieds ont pris racine dans la cendre
Mais dans la solitude où donc est votre satisfaction,
Confessés,

Faux-frères de ma jeunesse,
Ange de confection, plumes en solde ?
Une de vos larmes a coulé et la terre a pourri.
Grands commandeurs de l’avenir et futur repos des

vieilles filles
Bouquet de fleurs d’oranger de la postérité,
Vous n’étiez que les fesses ignobles de l’ordre
Comme les sergents-majors en sont les narines,
Mais on se trompe bien sur le compte de la terre
Je n’ai pas de cheveux sur la tête mais une corde à

violon
Pour donner et recevoir
La foudre de la dernière heure
On n’a pas su encore ce qu’est la réalité, on s’est trompé

sur le compte de la terre
Et sur le feu des hommes.

Il est un temps qui germe enfin dans le noir des ongles
Pleins de poudre et de sang.
De cervelles et d’entrailles,
Le meilleur temps des grandes pluies de cendres
Dont la meilleure arme sera encore de construire
L’ignoré de vos langues,
Cochons !

Georges Ribemeont-Dessaignes