4 réflexions sur “L’Effort Humain – Jacques Prévert – Serge Reggiani

  1. L’effort humain
    n’est pas ce beau jeune homme souriant
    debout sur sa jambe de plâtre
    ou de pierre
    et donnant grâce aux puérils artifices du statuaire
    l’imbécile illusion
    de la joie de la danse et de la jubilation
    évoquant avec l’autre jambe en l’air
    la douceur du retour à la maison
    Non
    l’effort humain ne porte pas un petit enfant sur l’épaule droite
    un autre sur la tête
    et un troisième sur l’épaule gauche
    avec les outils en bandoulière
    et la jeune femme heureuse accrochée à son bras
    L’effort humain porte un bandage herniaire
    et les cicatrices des combats
    livrés par la classe ouvrière
    contre un monde absurde et sans lois
    L’effort humain n’a pas de vraie maison
    il sent l’odeur de son travail
    et il est touché aux poumons
    son salaire est maigre
    ses enfants aussi
    il travaille comme un nègre
    et le nègre travaille comme lui
    L’effort humain n’a pas de savoir-vivre
    l’effort humain n’a pas l’âge de raison
    l’effort humain a l’âge des casernes
    l’âge des bagnes et des prisons
    l’âge des églises et des usines
    l’âge des canons
    et lui qui a planté partout toutes les vignes
    et accordé tous les violons
    il se nourrit de mauvais rêves
    et il se saoule avec le mauvais vin de la résignation
    et comme un grand écureuil ivre
    sans arrêt il tourne en rond
    dans un univers hostile
    poussiéreux et bas de plafond
    et il forge sans cesse la chaîne
    la terrifiante chaîne où tout s’enchaîne
    la misère le profit le travail la tuerie
    la tristesse le malheur l’insomnie et l’ennui
    la terrifiante chaîne d’or
    de charbon de fer et d’acier
    de mâchefer et de poussier
    passée autour du cou
    d’un monde désemparé
    la misérable chaîne
    où viennent s’accrocher
    les breloques divines
    les reliques sacrées
    les croix d’honneur les croix gammées
    les ouistitis porte-bonheur
    les médailles des vieux serviteurs
    les colifichets du malheur
    et la grande pièce de musée
    le grand portrait équestre
    le grand portrait en pied
    le grand portrait de face de profil à cloche-pied
    le grand portrait doré
    le grand portrait du grand divinateur
    le grand portrait du grand empereur
    le grand portrait du grand penseur
    du grand sauteur
    du grand moralisateur
    du digne et triste farceur
    la tête du grand emmerdeur
    la tête de l’agressif pacificateur
    la tête policière du grand libérateur
    la tête d’Adolf Hitler
    la tête de monsieur Thiers
    la tête du dictateur
    la tête du fusilleur
    de n’importe quel pays
    de n’importe quelle couleur
    la tête odieuse
    la tête malheureuse
    la tête à claques
    la tête à massacre
    la tête de la peur

    Extrait de Jacques Prévert, Paroles, Paris, Gallimard, 1946.

    J’ai eu envie de remettre le texte…

    quand quelqu’un n’a plus peur, il fait du tort à tous les pouvoirs…
    Merci mon Alain

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