LES PAGES LACÉRÉES


LES PAGES LACÉRÉES

Louis Aragon

Que cette interminable nuit paraît à mon cœur longue et brève
Le poème a comme la vie un caractère d’insomnie
On se retourne on cherche on fuit pour se souvenir on oublie
C’est l’existence tout entière avec ses réveils et ses rêves

Sur mon oreiller c’est tout une tête noire ou tête d’argent
D’avoir cru la moitié du temps l’autre moitié du temps se ronge
Et les belles illusions ont duré ce que dure un songe
Il n’y a rien comme l’espoir pour faire bien rire les gens

Notre destin ressemble-t-il à la guerre d’Ethiopie
On ne croit jamais dans l’abord que ce soit la peste qui gagne
Cependant rien ne se conquiert sans que se déchire une
Espagne

Et l’on ne meurt que lentement des blessures de l’utopie

Après vingt ans j’ouvre les yeux dans les ténèbres de
Madrid
Quand d’une fenêtre d’en face on a tiré sur les carreaux
Un téléphone clandestin
Calle
Marqués del
Duero
Sonne mystérieusement dans la profondeur des murs vides

Le drame au début mon amour quand nous en fûmes les témoins
Nous ne voulions le voir ni croire et que le ciel chût sur la terre

L’appartement au-dessus de la
Cité
Universitaire

Comme on y déjeunait gaîment à regarder la guerre au loin

La mort est venue en retard pour mettre ce bonheur en miettes
On avait laissé tout en l’air le ménage n’était pas fait
C’est le canon qui se chargea de la cuisine et du buffet
Et sous la toiture éventrée il n’est resté que les assiettes

Que sont devenus ces petits qui jouaient au bord du trottoir
Lorsque je repense à
Valence en moi quelque chose se fend
Amis d’un jour et d’une nuit malheureux malheureux enfants
Et sur la route de la mer roulaient les poids lourds de l’Histoire

L’étrange époque où de partout venaient les cervelles brûlées
Héros obscurs et vieux forbans le pire le meilleur complète
Dans un nouveau romancero de sang d’or et de violette
Et c’est comme si des soleils dans les ruisseaux avaient roulé

C’est l’hiver l’exode et le froid ni demeure ni cimetière
Peuple et soldats mêlant leurs pas femmes portant leurs nouveau-nés

Nous les avons vus remonter comme un sanglot aux
Pyrénées
Et tout ce grand piétinement de guenilles à la frontière

Ne voyez-vous pas que c’est nous déjà qu’on parque pauvres fous
Ne sentez-vous pas dans vos bras ce faix d’ombre et de lassitude
C’est à toi qu’on prend les fusils ô ma patrie au vent du sud
A
Colliourcs
Machado n’a qu’une pierre sur un trou

Le
Vernet
Gurs le
Barcarès des barbelés au bout du compte
Les grands mots que vous employez à qui serviront-ils demain
Vous qui parliez de liberté tendez à votre tour les mains

On dit ce que l’on veut en vers l’amour la mort

mais pas la honte

La pourpre le roseau l’épine il faut aux crucifixions

Tout l’ancien cérémonial quand c’est l’Homme qu’on exécute

Ici commencent le calvaire et les stations et les chutes

Je ne remettrai pas mes pas dans les pas de la
Passion

Et le roman s’achève de lui-même
J’ai déchiré ma vie et mon poème

Plus tard plus tard on dira qui je fus

J’ai déchiré des pages et des pages
Dans le miroir j’ai brisé mon visage

Le grand soleil ne me reconnaît plus

J’ai déchiré mon hvre et ma mémoire
Il y avait dedans trop d’heures noires

Déchiré l’azur pour chasser les nues

Déchiré mon chant pour masquer les larmes
Dissipé le bruit que faisaient les armes

Déchiré mon cœur déchiré mes rêves
Que de leurs débris une aube se lève

Qui n’ait jamais vu ce que moi j’ai vu.

Louis Aragon

 

Sasha Vinci

Tout ça c’est du passé ?

Ah bon…Alors pourquoi ce monde ne fait que répéter le même geste: FERMER LA LUMIERE…

Je dis NON AU NOIR et déchire ces pages qui n’en sortent pas . Un deuxième cauchemar en 48 h c’est le signal sonore du passage à niveau…

 

Niala-Loisobleu – 26 Mars 2018


MES ERREURS 1

La pluie d’été

Mais le plus cher mais non

Le moins cruel

De tous nos souvenirs, la pluie d’été

Soudaine, brève.

Nous allions, et c’était

Dans un autre monde,

Nos bouches s’enivraient

De l’odeur de l’herbe.

Terre,

L’étoffe de la pluie se plaquait sur toi.

C’était comme le sein

Qu’eût rêvé un peintre.

Yves Bonnefoy (Extrait Les planches courbes)

Le danger de peindre

c’est de croire

s’asseoir dans du frais

alors que le ban fermé

est sec

Niala-Loisobleu – 14 Mai 2017

J'ai rêvé de toi, cette nuit, je portais une roble blanche-2009 005 copie

TROU DE MES MOIRES


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TROU DE MES MOIRES

Emporté dans un bagage accompagné, une liste d’objets inutiles s’en est allée au gré du vent. D’où venaient-ils, bof d’ici et de là, un jour de brosse Adam, des espadrilles aux basques d’une chemisette à carreaux de chapelle romane, trempés dans des couleurs vitrail, un mouchoir et ses noeuds (ne perdons pas la mémoire), un trousseau de jeune mariés (trousseau-sang-clefs) de l’espoir et de l’utopie.

J’ai grandi à St-Germain-des-Prés…

De la ficelle, un organe sexuel et son couteau pour sortir des aléas survenant à l’improviste, et aussi des boutons sans fils, de Fred Astaire, de Marguerite Monnod, d’Anémone, de lits las point sonneurs, des boîtes de cachous, de vals d’ah, de bons bons en glaise pour ranger l’herbier des chemins et leurs petits cailloux.

Aussi des bornes, des rames à voiles, des mâts de cocagne, du sable émouvant, deux coeurs tracés entre l’écume du tant, un réverbère et son allume-heur. Dans une montée d’arbres, des cris d’oiseaux et des bruits d’elle, quand ouverte au soleil qui se lève, des rosées lui sortent le parfum des champignons de l’humus trempé, la pt’ite culotte qui sert de sels en cas de pâmoison. Terre ouverte entre deux labours à semer. Sillons s’aimait.

Un papier couché sous le crayon, tressautant de griffonnages mystérieux, indéchiffrables par les disciples exceptés de Freud, emmêle en boucles touffues des aisselles avec des pubis comme un premier temps pileux où l’Homme et la bête désiraient de concert se manger l’un l’autre.Pour survivre.

Les étagères misent sur roulettes pourront emmenées les bibliothèques en bord de mer, comme sur le dessous des ponts, au faîte de l’arbre, pas le scions.De quoi lire.

Un convoi de liège en route vers Castor a fait un bouchon. J’ai raccourci mes pantalons.In the cabane retourne planter mes choux. Le Mont Parnasse et ses cimes terres.

Niala-Loisobleu – 12 Mai 2017

LA SUEUR DU RÊVE


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LA SUEUR DU RÊVE

 Noël scintille dans l’arbre aux rêves

Un enfant regarde le monde

Et le monde le regarde fixement

Sans ciller

Sans honte

Les malheureux sont plus nombreux que les guirlandes

Et il est des vies qui ne sont pas des cadeaux

Alors l’enfant ferme les yeux du monde

Il voit

Un autre monde derrière les dunes du rêve

Il s’imagine que les hommes sont humains

Il s’imagine que la terre est une toupie

Il s’imagine que la guerre est en déroute

Que la paix a mis son manteau d’amour

Il s’imagine

Un monde qui sourit au bonheur

Il s’imagine

Que le rêve pond d’autres rêves

Il faut y croire

Il faut rêver avec lui

Le rêve est la plainte du bonheur

Et le vrai métier des consciences qui montent la garde

Dans la plus belle des utopies

La sueur du rêve efface la crasse du monde

Ernest Pepin  (Faugas/Lamentin – 24 décembre 2011)

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JE SUIS LE CHANCRE PIGNON


JE  SUIS LE CHANCRE PIGNON

A saute-mouton du dernier trio du vague

alors que l’amer s’entre-déchirait

un premier réflexe étincela en un éclair l’engourdi de ces ciels de traîne

Cessant de se demander la sempiternelle réponse

d’un lob réussi

il plaça la question au poteau rose

Ah le voir sourire

non de diou

ça vous change tout d’un cul

comme si d’être fendu

c’était plus inné qu’acquis

Et puis debout

on voit son visage

sorti de la paille

qui

en l’absorbant en faisait l’accusé d’assises

qui a pas dit toute la vérité

Viens saute

rebondit

éclate

danse tango-tango

et devient la boule du bande aux néons

l’éperon qui tape au fond

J’ai toujours eu l’esprit qui fit celle

enceinte d’un ballon

Mais à les entendre se gausser je me serais trompé

épris dans mes propres barbelés

l’utopique coquelicot assiégé par les engrais

A deux mains

aujourd’hui

vas-y ducon chante ave aria !

Niala-Loisobleu – 17 Août 2016