Mainmise


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Mainmise

Chaque nuit, le même rêve. Une cité lointaine, un dédale de rues, pavées de nuées et bordées de murailles lépreuses, passages obscurs, décrochements sans issue, fenêtres barrées de grilles et portes closes. Et moi, pâle vapeur écorchée aux salpêtres, fantôme exsangue qui vous cherche encore, errant jusqu’à la nausée dans la grisaille muette de ce triste labyrinthe.
Tissé de vaine attente, mon rêve est opiniâtre. Il me traîne contre mon gré jusqu’à l’évidence de votre vilenie. En me quittant, vous avez dérobé le secret de mon souffle et la puissance de mon nerf. Chaque nuit vers mon ombre vous tendez une main à la douceur avide. Rognures d’ongles, brins de cheveux, lambeaux de linge imprégnés cousus ensemble dans un fantoche, on sait comment se noue un sort au ventre d’une poupée de terre.
Prenez garde au retour de vos charmes. Déjà s’ébat la blanche colombe de votre ventre. Vous m’avez envoûté et vous tombez sous l’emprise de vos songes fiévreux. Petite fille vicieuse, vos jeux solitaires rendent à mon simulacre sa joie première. Demain, j’en tisserai un chant d’où surgira l’image de votre nudité déclose.
Je vous ferai pleurer de bonheur sur les braises de votre cœur déployé.

Jacques Abeille -La Roche aux enfants, 7 août 2006 La NRM n°17 – Automne 2006

Au chevet d’une page


Au chevet d’une page

A la douleur de l’aine
Le bord du mollet s’assied
Souffle coupé
A force de poser la pause a des crampes
S’éloignant peu à peu du bord
La vue dérive
Quelque chose passe à côté
Il es las
L’épaule flasque
Le front coincé entre deux rides
La vue plantée
Rigide
Regarde l’étagère aux livres dorés sur tranche
Tranche de quoi
Pas de vie en tous cas
Qui les a lu du bout des phalanges
Pas une main ne s’est glissée sous leur robe
A déboutonné le haut d’un chapitre
Pour ramper sous la bretelle d’un paragraphe
Jusqu’au fond du bonnet d’une page
Les écornures ne sont pas nées d’un soulèvement haletant
Où la lecture conduit l’index à épeler lettre à lettre
Pour glisser l’émotion sous l’élastique
En s’infiltrant par l’entrejambe
Trempé de ses moiteurs interlignes
Entre parenthèses inspiratrices
Propulsé d’un battement de sang forant le désert
Poussant de la nuque au bassin à plonger à la ligne d’après
Au devant d’un orgasme explosant l’inertie d’un vide comblé

Des champignons au pied d’un chêne rêvent d’odeur de chair
Sous la mousse
Dans la sève
Fouaillée d’humus
Comme si l’iode sortant des vases prenait le premier train de marée
Pour venir à ta criée endormie sur son étal
Comme une crampe la course rampe en criant de douleur
Les yeux d’un accordéon muet vont à tâtons chercher l’éclat de la boule du plafond
M’aime le plancher qui ne craque plus des soubresauts du matelas
La lingerie des rideaux cale son long
L’armoire s’est refermée sur les phantasmes de ses cintres
Un corps sage sans bouton chiffonne la nappe d’un chant
Nul grillon ne frappe à la porte de l’âtre
Les branches d’un arbre mort fouillent leurs racines en mal d’illusion
Le pisé est bouffé aux mythes comme le bocage d’églantines
Au beau milieu du poulailler un coq en pâte fait la roue
Quand il reviendra le temps des cerises les orpailleurs seront en dépôt chez ma Tante
Posés sur la cheminée avec son chien empaillé
Ses aboiements gardés dans des bocaux avec les corps nichons
Les boîtes à chaussures des photos qui parcouraient les mers à cheval
Au galop des marées d’équinoxe où le pied se prend tant il pêche
La vie comme un conte de faits du temps qu’idiot
Je continue d’être un imbécile heureux bien que pris pour un con

Loisobleu
27 Février 2016

 

Catherine Alexandre (27)