LA MORT MORTE


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LA MORT MORTE

C’est avec une extrême volupté mentale et dans un état d’excitation affective et physique ininterrompu que je poursuis en moi et hors de moi ce numéro d’acrobatie
infinie

Ces sauts contemplatifs actifs et lubriques

que j’exécute

simultanément allongé et debout

jusque dans ma façon déroutante

ou ignoble ou profondément aphrodisiaque

ou parfaitement inintelligible

de saluer de loin mes semblables

de toucher ou de déplacer

avec une indifférence feinte

un couteau, un fruit

ou la chevelure d’une femme

ces sauts convulsifs que je provoque à l’intérieur de mon être convulsivement intégré â la grandiose convulsion universelle

et dont la dialectique dominante m’était toujours accessible même si je n’en saisissais que les rapports travestis

ont commencé ces derniers temps

à m’opposer leur figure impénétrable

comme si

tout à la tentation de rencontrer

plus que moi-même

sur la surface d’un miroir

j’en grattais impatiemment le tain

pour assister

stupéfait

à ma propre disparition

Il ne s’agit pas ici d’une maladresse

sur le plan de la connaissance

ni de la pieuse manœuvre de l’homme

qui avoue orgueilleusement son ignorance

Je ne me connais aucune curiosité intellectuelle

et supporte sans le moindre scrupule mon peu d’intérêt

pour les quelques questions fondamentales que se posent mes semblables

Je pourrais mourir mille fois

sans qu’un problème fondamental

comme celui de la mort

se pose à moi

dans sa dimension philosophique

cette manière de se laisser inquiéter

par le mystère qui nous entoure

m’a toujours paru relever

d’un idéalisme implicite

que l’approche soit matérialiste ou non

La mort en tant qu’obstacle oppression, tyrannie, limite angoisse universelle

en tant qu’ennemie réelle, quotidienne

insupportable, inadmissible et inintelligible

doit, pour devenir vraiment vulnérable

et, partant, soluble

m’apparaître dans les relations dialectiques

minuscules et gigantesques

que j’entretiens continuellement avec elle

indépendamment de la place qu’elle occupe

sur la ridicule échelle des valeurs

En regard de la mort

un parapluie trouvé dans la rue

me semble aussi inquiétant

que le sombre diagnostic d’un médecin

Dans mes rapports avec la mort

(avec les gants, le feu, le destin

les battements de cœur, les fleurs…)

prononcer fortuitement

le mot moribonde

au lieu de bien-aimée

suffit pour alarmer ma médiumnité

et le danger de mort

qui menace ma bien-aimée

et dont je prends connaissance

par ce lapsus de prémonition subjective

(je désire sa mort)

et objective (elle est en danger de mort)

m’inspire une contre-attaque

d’envoûtement subjectif

(je ne désire pas sa mort

– ambivalence intérieure, culpabilité)

et objectif (elle n’est pas en danger de mort

– ambivalence extérieures, hasard favorable)

Je fabrique un talisman-simulacre

d’après un procédé automatique

de mon invention (l’Œil magnétique)

la fabrication de ce talisman intégrée aux autres surdéterminantes prémonitoires, angoissantes, accidentelles

nécessaires, mécaniques et erotiques

qui délimitent ensemble

un comportement envers la mort

étant la seule expression praticable

d’un contact dialectique avec la mort

la seule à poser réellement

le problème de la mort

en vue de sa solution (de sa dissolution)

L’état de désolation-panique

et de catalepsie morale

auquel m’a réduit la récente incompréhension

de mes propres sauts dialectiques

n’a aucun rapport avec une attitude

intellectuelle

devant le problème de la connaissance

Le fait que ces trente derniers jours aient été plus obscurs que jamais aurait pu me troubler comme un existant inconnu comme un nouveau dérèglement

D’ailleurs, c’est systématiquement

que j’entretiens autour de moi

un climat de brume continuelle

de mystères puérils, simulés, insolubles

intentionnellement et voluptueusement

déroutantes

On sait que l’analyse

comme n’importe quelle autre méthode

d’interprétation rationnelle ou irrationnelle

n’est qu’une possibilité partielle

de dévoiler le mystère

dans la mesure où chaque vérité découverte

ne fait que le voiler davantage

et lui confère une attraction théorique

à la manière de ces femmes irrésistibles

et hystérisantes du début du siècle

que l’amour couvrait de plusieurs enveloppes

de dentelles, de parfum et de vertige

Ce n’est donc pas l’échec de mes interprétations au cours de ces trente derniers jours qui me fait désespérer

Ce qui provoque mon désespoir, ma perplexité

le chaos de ma pensée et une douleur atroce

au creux de ma poitrine

c’est l’échec de ma singulière

apparition au monde au début de cette année

menacée de se dissoudre

d’une manière lamentable

c’est la grande, la monstrueuse déception

que me cause mon propre personnage

drogué à l’idée d’évoluer

avec une agilité jamais atteinte

à la frontière de la veille et du sommeil

entre le oui et le non

le possible et l’impossible

pour se trouver soudain

devant l’envers du décor

dans un monde d’illusions

et d’erreurs fondamentales

qui ne pardonnent pas et qui transforment

mon inégalable et inimaginable existence

en blessure

Dans ce monde latéral où je me sens jeté sans savoir quelle erreur j’ai commise

(même sur le plan précaire de la culpabilité) sans savoir ce qui m’est arrivé, ni pourquoi je ne ressens que les effets catastrophiques de l’erreur, l’avalanche d’agressions
et de cruautés, probablement nécessaire que le monde extérieur déclenche contre moi

Toutes les personnes qui m’entourent me trahissent, sans exception

Tous les objets, toutes les femmes

et tous les amis, le climat, les chats

le paysage, la misère, absolument

tout ce qui me guette avec amour ou haine

profite de mon immense faiblesse

(conséquence d’une erreur théorique

qui m’échappe)

pour me frapper de plein fouet

avec une lâcheté dégoûtante

mais sans doute d’autant plus nécessaire

D’un coup, je me trouve dans une chambre

glacée, affamé, seul, sale

la trahison oedipienne tapie

dans toutes mes ombres malade, oublié, misérable tremblant de froid et de peur dans des draps mouillés de fièvre et de larmes

A la lumière

de ces agressions atroces et subites

(véritables signaux d’alarme)

les étreintes suaves qui les accompagnent

me paraissent tout à coup suspectes

et j’éprouve la nécessité brûlante

de créer autour de moi un vide correspondant

au vide théorique qui paralyse

toute mon activité mentale

écartant par cette projection

pour insupportable qu’elle soit

le mélange douceâtre de bien et de mal

que le monde extérieur m’impose

image du double oedipien

et masque le plus sinistre de l’erreur

Après ce coup inattendu

je ne supporte pas la pensée

de chercher refuge dans les bras de l’aimée

en vertu d’un instinct

de conservation machinal

les bras de l’aimée

participent, eux aussi, à cette violence

et leur complicité invisible jusqu’ici

apparaît nettement si nous y cherchons refuge

si nous commettons l’erreur impardonnable

de réduire la réalité objective de l’amour

aux réalités les plus apparentes

et confusionnelles du monde extérieur

Pour éviter cette fuite

dans une illusion consolante

je préfère démasquer la complicité partielle

de l’aimée que d’idéaliser

ses charmes compensateurs

je préfère pousser mon désespoir

jusqu’à sa dernière conséquence

(qui doit comporter

une issue dialectique favorable)

plutôt que de chercher un abri

où faire panser mes blessures et nettoyer

mes plaies, à moins que par un adorable lapsus

l’aimée ne confonde avec candeur

le flacon de poison avec la teinture d’iode

Il me suffit de bouger dans une pièce obscure à la recherche d’une photo ou d’un mouchoir et de me cogner ou de me piquer à une aiguille pour engager dans le mystère de
cette goutte de sang au bout de mon doigt les causalités erotiques les plus lointaines et les conjonctions astrales, sociales et universelles les plus invraisemblables

Je sais dans quelle mesure

mon désespoir projeté sur la totalité

des personnes qui m’entourent

est susceptible de suggérer

la manie de la persécution

dans sa phase aiguë, mais cet aspect

de mon comportement ne saurait abolir

la signification objective

que j’attribue à la paranoïa

d’autant que pour dénoncer les gens que j’aime

je dispose d’un matériel analytique

convaincant par lui-même

sans qu’il soit besoin

de l’appui maniaque de ma personne

D’ailleurs, peu importe que mes accusations soient légitimes ou non

Ce qui m’intéresse, ce que je ressens comme une nécessité irrésistible c’est de soutenir par mes actes jusque dans leurs conséquences les plus absurdes le vide
théorique qui me remplit indépendamment de la douleur passagère que je m’inflige et de la catégorie masochiste dans laquelle apparemment je tombe

Pour moi, le seul plaisir objectivement désirable, celui qui n’a jamais été éprouvé, ne peut être suscité que par une euphorie mentale concomitante jamais
imaginée, jamais pensée

Les erreurs théoriques que j’ai dû commettre

et qui m’ont rendu ces derniers temps

si vulnérable au sadisme permanent

du monde extérieur

ne peuvent trouver d’issue

que si je me maintiens dans l’équilibre

instable de la négation

et de la négation de la négation

seule façon d’être toujours en accord

avec soi-même

Le vide théorique que je ressens

comme si je vivais jour et nuit

sous une machine pneumatique

m’oblige à envoyer à tous les gens qui m’aiment

des lettres de rupture où je dénonce leur haine

leur amour ayant pour moi tous les caractères

latents de la haine générale

L’éloignement physique de ces personnes est non seulement une mise en pratique de mon vide théorique mais aussi une élémentaire mesure de sécurité

Depuis quelques jours

je ne vois plus personne

et si l’absence de la femme aimée

de la voix et de la chaleur humaine

me cause parfois une peur assez excitante

par contre ma solitude forcée, systématique

cynégétique, aggrave au-delà de toute limite

mon immense, mon incommensurable désespoir

Je ne sais plus quoi faire

Après avoir tout fait

pour être d’accord avec moi-même

(comme est d’accord la balle

avec le sang qu’elle répand)

après avoir évité tous les pièges douillets

que me tendait le monde extérieur

pour compenser, dans sa perfidie œdipienne

le mal immense qu’il me faisait

après avoir réfléchi mon vide théorique comme dans le miroir d’un miroir

ur ma vie déserte, sur mes gestes interrompus r mes insomnies torturantes et prolongées

ur mon agonie perpétuelle

je ne vois pas ce que je pourrais faire

de mon personnage pétrifié par tant de désespoir

sinon le mettre face à face avec la mort

car seule la mort peut exprimer

dans son langage obscurantiste et fatal

la mort réelle qui me consume

me traverse et m’obscurcit

jusqu’à l’anéantissement

En me dirigeant vers la mort

comme vers la conclusion presque logique

de ma négation

je bute contre un obstacle quantitatif

dans lequel je reconnais

comme dans les viscères pourris d’un porc

toute la trivialité du
Créateur

son imagination élémentaire

utilitaire et ignoble

Cette mort grossière, naturelle, traumatique encore plus castrante que la naissance qu’elle réfléchit et complète me paraît insupportable non seulement parce qu’elle
pousse l’idée de castration

jusqu’au monstrueux anéantissement physique mais parce que cette mort unidimensionnelle ne correspond pas aux sauts dialectiques qui nous y mènent

son opposition fixe, mécanique, absolue rend impossible l’expression libre des nécessités, là où les causes et les effets sont empêchés d’échanger leurs
destins

La présence permanente de la mort

dans la nuit funéraire de mon être

ne prendra jamais, en tant que nécessité

les aspects paralysants de la mort

inventée par le
Créateur

cette mort (cette vie) structurellement

religieuse disparaîtra avec la dernière

répression

La mort que je contiens comme une nécessité comme la soupape du désespoir comme une réplique de l’amour et de la haine comme un prolongement de mon être

à l’intérieur de ses propres contradictions

cette mort, je la reconnais

dans certains aspects angoissants

et lubriques du rêve, dans la toxicomanie

dans la catalepsie, dans l’automatisme

ambulatoire

toujours à l’intersection de l’homme et de l’ombre de l’ombre et de la flamme

je la reconnais dans ma nécrophiiie masquée quand j’oblige mon aimée à garder pendant l’amour une passivité de glace

je la reconnais même dans l’acte mécanique du sommeil, dans l’évanouissement ou l’épilepsie

mais je ne reconnaîtrai jamais même dans mes rêveries les plus auto-flagellantes

l’objectivité de ce phénomène sinistre

qui nous monotonise

nous répète et nous extermine

comme si nous étions la victime

mille fois millénaire

d’un monomane sénile et cynique

Le prolongement de cette mort nécessaire

qui ne s’opposerait plus traumatiquement

à la vie et qui la résoudrait

dans le sens d’une négation ininterrompue

où soient perpétuellement possibles

la réciprocité et l’inversion causale

le prolongement de cette mort objective

comme une réplique à ma vie objective

à travers laquelle passe

à une tension toujours extrême

l’objectivité incandescente de mes amours

m’oblige aujourd’hui

dans un état de désolation panique

sans limite, de catalepsie morale

poussée jusqu’au vide théorique

et de désespoir insoluble, macabre

et symptomatiquement révolutionnaire

à aggraver cet état d’irritation aiguë en l’exaspérant jusqu’à sa négation impossible, et jusqu’à la négation exaspérante de l’impossible là
où la mort

pour être dévorée comme une femme quitte ses quantités traumatiques et s’embrase qualitativement thaumaturgiquement et adorablement dans l’humour

En utilisant les signes chiffrés

de notre tatouage intérieur

en faisant de nouveau appel

à l’Irrespirable
Triangle de l’artifice

à la
Femme aux mille
Fourrures

de l’automatisme

au
Cœur
Double du somnambulisme provoqué

et à la
Grande, à l’Inégalable
Baleine

du simulacre

Je fais plusieurs jours de suite des tentatives de suicide qui ne sont pas seulement

une conséquence logique

de mes déceptions, de ma saturation

et de mon désespoir subjectif

mais la première victoire réelle

et virtuelle

sur ce
Paralytique
Général
Absolu

qu’est la mort.

Ghérasim Luca

 

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Collages de Max Ernst

Bon Jour là


Bon Jour là

On sait mieux que jamais où l’on habite quand on a perdu la clef. Ce bruit qu’à la source , nul n’a pareil. Vois la lumière à l’heure des fenêtres.

Que le sens de circulation entre en travaux de dérivation, ne peut couper le sens du fleuve. Ainsi demeure la vie dans la mort croyant passer maître.

Mon père me survit

D’une touche de sa couleur, il précède de quoi je pourrais parler. Tais-toi l’entends-je et j’ouvre la porte. Dehors ce n’est pluie qu’à redresser le soleil dans sa racine.

Niala-Loisobleu – 14 Septembre 2017

 

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Matthieu Gosztola : Nous sommes à peine écrits. Chemin vers Egon Schiele


Matthieu Gosztola : Nous sommes à peine écrits. Chemin vers Egon Schiele

par Michel Ménaché

Pianiste, photographe, poète et critique littéraire, Matthieu Gosztola rassemble dans son dernier recueil de courts poèmes écrits après un deuil intime. Les figures de l’absence engendrent d’infinies variations, attisent la brûlure intime du vide : « Le visage / Est un départ sur place. » Le pouvoir de l’infime peut être immense quand l’émotion survit en multiples échos, par la seule présence d’une photographie ou d’une image enfouie. Le regard ne se contente pas de voir, il scrute au-delà : « Il suffit d’un tout petit visage / Pour faire sur l’eau des / Souvenirs / Les plus beaux ricochets. » La mémoire est inséparable de la mort. Si oublier c’est faire mourir en soi, se souvenir c’est invoquer ce qui n’est plus mais qui résiste : « Ton visage / A fait un enfant au silence. » Écrire alors, c’est la rage consciente ou non de féconder le déni du manque par le poème, jeter un pont entre la réalité rejetée et l’envol de l’imagination : « Gabrielle traverse / cette mort inventée. » L’auteur exprime avec une grande délicatesse d’images les sentiments fraternels du « tremblement de vivre. » Le temps retrouvé de l’enfance lui permet de retisser le lien rompu, de revivre la fusion ardente : « Tout ce qui nous relie / c’est l’évidence des sources. » Si Egon Schiele, le peintre des morsures du désir et de la douleur, a cultivé un lien fusionnel avec sa sœur Gerti, son double féminin, le poète quant à lui n’a pas franchi les limites de la pudeur. Il continue d’être en chemin : « peut-être est-ce impossible / de venir à bout d’un visage. »

 

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Je reste

essuie

à ta Base

iso-selle

Re-naissant

N-L – 24/07/17

 

 

FRAGMENTS ET LOUANGES


Fragments et louanges

Partout l’air nous appelle, de l’horizon

aussi bien que de la poitrine. L’avons-nous vivifié

à notre tour, lui apportant une forme lucide

avec des mots comme parmi les arbres ?

Seraient-ils nus et noirs, isolés en hiver,

pour eux le jardin sans clôture, l’océan proche,

la marée haute, ils font mieux que s’ouvrir,

ils livrent un passage. Ces lèvres minces, durcies,

après tant de refus, que craignons-nous de perdre ?

Plutôt murmurer, plutôt balbutier :

quelques syllabes prononcées lorsque nous avançons,

les mots justes, généreux, se découvrent d’eux-mêmes,

ils n’ont pas à parler de nous, ils ne demandent pas

qui habite le seuil.

Pierre Dhainaut

Un bout de chemin s’il s’arrête, cogne du pied, en appel à la racine. Le bandeau d’une murette peut soudain masquer le devant soi. Les mains s’agitent, le corps tourne et nage dans ce premier bassin noir où pourtant jamais ailleurs eau ne sera plus claire. Etrange, nous sommes issus de ténèbres chauds que nous appelons toujours comme la Lumière Originelle à laquelle nous fier. Le mystère de la Mère est plus vaste que le plus grand des ô séant. La corde est à noeuds. Ancestral ombilic, coupé de génération en génération où toute notre vie avance en cordée sur la paroi lisse qui ne cesse de monter. La verticale est l’épreuve la plus noble de notre temporelle traversée, sorte de souffle intime auquel nous sommes raccordés. Les paysages où nous pensions n’avoir jamais posé le pied surgissent au centre des clairières de notre pèlerinage à la fontaine. La marque des chevaux humidifie toujours le sillon de son haleine, soc enfoncé dans la chair qui s’entrouve. Le premier souffle appelle la graine de la perpétuelle récolte..

Niala-Loisobleu – 4 Avril 2017.

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CE PEINT TEMPS


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CE PEINT TEMPS

Le livre de la pauvreté et de la mort

(Paris, 1902)

Je suis peut-être enfoui au sein des montagnes

solitaire comme une veine de métal pur;

je suis perdu dans un abîme illimité,

dans une nuit profonde et sans horizon.

Tout vient à moi, m’enserre et se fait pierre.

Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait,

et cette grande nuit me fait peur;

mais si c’est là ta nuit, qu’elle me soit pesante,

qu’elle m’écrase,

que toute ta main soit sur moi,

et que je me perde en toi dans un cri.

Toi, mont, seul immuable dans le chaos des montagnes,

pente sans refuge, sommet sans nom,

neige éternelle qui fait pâlir les étoiles,

toi qui portes à tes flancs de grandes vallées

où l’âme de la terre s’exhale en odeurs de fleurs.

Me suis-je enfin perdu en toi,

uni au basalte comme un métal inconnu?

Plein de vénération, je me confonds à ta roche,

et partout je me heurte à ta dureté.

Ou bien est-ce l’angoisse qui m’étreint,

l’angoisse profonde des trop grandes villes,

où tu m’as enfoncé jusqu’au cou?

Ah, si seulement un homme pouvait dire

toute leur insanité et toute leur horreur,

aussitôt tu te lèverais, première tempête de monde,

et les chasserais devant toi comme de la poussière_

Mais si tu veux que ce soit moi qui parle,

je ne le pourrai pas, car je ne comprends rien;

et ma bouche, comme une blessure,

ne demande qu’à se fermer,

et mes mains sont collées à mes côtés comme des chiens

qui restent sourds à tout appel.

Et pourtant, une fois, tu me feras parler.

Que je sois le veilleur de tous tes horizons

Permets à mon regard plus hardi et plus vaste

d’embrasser soudain l’étendue des mers.

Fais que je suive la marche des fleuves

afin qu’au delà des rumeurs de leurs rives

j’entende monter la voix silencieuse de la nuit.

Conduis-moi dans tes plaines battues de tous les vents

où d’âpres monastères ensevelissent entre leurs murs,

comme dans un linceul, des vies qui n’ont pas vécu

Car les grandes villes, Seigneur, sont maudites;

la panique des incendies couve dans leur sein

et elles n’ont pas de pardon à attendre

et leur temps leur est compté.

Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre

et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert;

et aucun d’eux n’a vu la pauvre grimace

qui s’est substituée au fond des nuits sans nom

au sourire heureux d’un peuple plein de foi.

Ils vont au hasard, avilis par l’effort

de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,

et leurs vêtements s’usent peu à peu,

et leurs belles mains vieillissent trop tôt.

La foule les bouscule et passe indifférente,

bien qu’ils soient hésitants et faibles,

seuls les chiens craintifs qui n’ont pas de gîte

les suivent un moment en silence.

Ils sont livrés à une multitude de bourreaux

et le coup de chaque heure leur fait mal;

ils rôdent, solitaires, autour des hopitaux

en attendant leur admission avec angoisse.

La mort est là. Non celle dont la voix

les a miraculeusement touchés dans leurs enfances,

mais la petite mort comme on la comprend là;

tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit

aigre, vert, et qui ne mûrit pas.

O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort,

donne à chacun la mort née de sa propre vie

où il connut l’amour et la misère.

Car nous ne sommes que l’écorce, que la feuille,

mais le fruit qui est au centre de tout

c’est la grande mort que chacun porte en soi.

C’est pour elle que les jeunes filles s’épanouissent,

et que les enfants rêvent d’être des hommes

et que les adolescents font des femmes leurs confidentes

d’une angoisse que personne d’autres n’accueille.

C’est pour elle que toutes les choses subsistent éternellement

même si le temps a effacé le souvenir,

et quiconque dans sa vie s’efforce de créer,

enclôt ce fruit d’un univers

qui tour à tour le gèle et le réchauffe.

Dans ce fruit peut entrer toute la chaleur

des coeurs et l’éclat blanc des pensées;

mais des anges sont venus comme une nuée d’oiseaux

et tous les fruits étaient encore verts.

Seigneur, nous sommes plus pauvres que les pauvres bêtes

qui, même aveugles, achèvent leur propre mort.

Oh, donne nous la force et la science

de lier notre vie en espalier

et le printemps autour d’elle commencera de bonne heure.

Rainer Maria Rilke

Présence contrecarrée, quelque chose d’inhabituel étouffe la raison profonde qui m’a jusqu’ici tenue là vif au combat. Il manque à ce magique avènement ce qui l’induit normalement par effet de cycle. En lui, est un élément contraire qui abolit sa nature même et l’entraîne au gouffre, s’est glissé . Je n’ose….et pourtant dans ce désordre ambiant qui anémie la terre entière, il se pourrait que l’annonce me soit plus personnelle… entends-je les trompettes, le dernier-faire part que ma révolte de vivre ne pourrait repousser des quatre fers ?

Ma richesse de la vie, certes, n’accepte pas la pauvreté de la mort mais quand c’est l’heurt c’est plus l’heur. Si la cloche a sonné le bout du couloir, il faut décrocher le manège du porte-manteaux et de l’aqueux du mickey.

Niala-Loisobleu – 20 Mars 2017

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