Keblout et neimma – Poéme


Keblout et neimma – Poéme

 

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Nedjma chaque automne reparue Non sans m’avoir arraché Mes larmes et mon Khandjar Nedjma chaque automne disparue.

Et moi, pâle et terrassé.

De la douce ennemie

À jamais séparé ;

Les silences de mes pères poètes

Et de ma mère folle

Les sévères regards ;

Les pleurs de mes aïeules amazones

Ont enfoui dans ma poitrine

Un cœur de paysan sans terre

Ou de fauve mal abattu.

Bergères taciturnes À vos chevilles désormais je veille Avec les doux serpents de Sfahli : mon chant est parvenu ! Bergères taciturnes, Dites qui vous a attristées Dites qui vous a poursuivies Qui me sépare de Nedjma ?

Dites

Qui livra Alger aux bellâtres

Qui exposa le front des cireurs

Aux gangsters efféminés de Chicago

Qui transforma en femmes de ménage

Les descendantes de la Kahéna ?

Et vous natifs d’Alger dont le sang

Craint toujours de se mêler au nôtre

Vous qui n’avez de l’Europe que la honte

De ses oppresseurs

Vous hordes petites bourgeoises

Vous courtisanes racistes

Gouverneurs affairistes

Et vous démagogues en prières

Sous le buste de Rila Hayworth

Qui ne retenez d’Omar Bradley

Que le prénom — et le subtil

Parfum du dollar —

Ne croyez pas avoir étouffé la Casbah Ne croyez pas bâtir sur nos dépouilles votre Nouveau Monde

Nous étions deux à sangloter

Sous la pluie d’automne

Je ne pouvais fuir

Tu ne pouvais me suivre

Et quand je parvins aux côtes de France

Je te crus enfin oubliée

Je me dis elle ne remue plus

C’est qu’elle m’a senti

Vagabond

Ennemi

Sauvage et de prunelle andalouse

Ne sachant quel époux fuir

Et quel amant égarer

De langue et de silence

Sœur de quelque vipère

Tombée dans mon sommeil

Et mon dard à sa gorge

M’emplit d’ivresse au sortir de la prison

J’apportais l’ardeur des Sétifiens

Et de Guelma m’attendait

La fille solitaire de Kebiout

Je me croyais sans sœur ni vengeance Nedjma ton baiser fit le tour de mon sar Comme une balle au front éveille le guerrier Mon premier amour fut ma première chevauchée (Nedjma nous eûmes le même ancêtre)

Kebiout défiguré franchit sans se retourner

Le jardin des vierges et l’une lui jeta au front

Un coquelicot

Kebiout traversa la mer Rouge

Et fuma le narguilé du Soudan

Kebiout revint à lui ; il s’agita dans sa poitrine

Une lame brisée entre le cœur et la garde ;

Avec le mal du pays

Il leva les yeux vers une colombe :

«Je ne suis pas natif de ces contrées

Comme toi colombe, je voudrais revenir

A la main qui m’a lâché ! »

Kebiout marchait les yeux fermés

Il sentit les bourreaux en riant s’éloigner

«Où est ma potence, que je jette

Un dernier regard sur l’avenir?

— Les colombes blessées sont insaisissables ».

Kebiout suivit un mendiant rêveur

Ils s’endormirent la main dans la main

Rue de la Lyre

Et l’aveugle lui montra le chemin

À Moscou Kebiout s’éveilla Nedjma vivait Sur un tracteur De kolkhozienne

Kebiout se perdit dans un parc

Et comme un Coréen

Reprit sa route dans les ruines

J’emporte dans ma course Un astre : Nedjma m’attend Aimez si vous en avez

Le courage !

Voyez la lune au baiser glacé

Nedjma voyage

Sur ce coursier céleste

Et Kebiout ronge son frein

Rejoindra-t-il Nedjma ou l’astre ?

Le paysan attend Kebiout s’étend sur une tombe Non pour mourir mais pour aiguiser Son couteau

Kateb Yacine
Naissance: Constantine, Algérie, le 2 août 1929
Décès: Grenoble le 28 octobre 1989

Yacine Kateb (Kateb de son nom, Yacine de son prénom) est un écrivain algérien, il est enterré au cimetière d’Al Alia à Alger.

Kateb est né vraisemblablement le 2 août 1929 (peut-être le 6 août). Il est issu d’une famille berbère chaouis lettrée de Nadhor, actuellement dans la wilaya de Guelma, appelée Kheltiya (ou Keblout). Son grand-père maternel est bach adel, juge suppléant du cadi, à Condé Smendou (Zighoud Youcef), son père avocat et la famille le suivent dans ses successives mutations. Le jeune Kateb (nom qui signifie « écrivain ») entre en 1934 à l’école coranique de Sedrata, en 1935 à l’école française à Lafayette (Bougaa en basse Kabylie, actuelle wilaya de Sétif) où sa famille s’est installée, puis en 1941, comme interne, au lycée de Sétif : le lycée Albertini devenu lycée Kerouani après l’indépendance.

Romancier et dramaturge visionnaire, considéré grâce à son roman Nedjma comme le fondateur de la littérature algérienne moderne, Kateb Yacine était avant tout un poète rebelle. Vingt ans après sa disparition, il occupe en Algérie « la place du mythe ; comme dans toutes les sociétés, on ne connaît pas forcément son œuvre, mais il est inscrit dans les mentalités et le discours social ». Il reste aussi l’une des figures les plus importantes et révélatrices de l’histoire franco-algérienne.

Témoin de la répression sanglante des manifestations du 8 mai 1945 à Sétif, il publie ses premiers poèmes l’année suivante : Soliloques. Dix ans plus tard paraît son roman Nedjma (1981), livre fondateur pour la littérature moderne du Maghreb. À partir de 1959, il écrit surtout pour le théâtre : Le cercle des représailles (1959), L’homme aux sandales de caoutchouc (1970), Mohammed, prends ta valise (1971), La guerre de 2000 ans (1974), Palestine trahie (1978)… Parmi ses livres majeurs, il faut encore citer Le polygone étoile (1966) et L’œuvre en fragments ( 1986).

En 1962, après un séjour au Caire, Kateb est de retour en Algérie peu après les fêtes de l’Indépendance, reprend sa collaboration à Alger républicain, mais effectue entre 1963 et 1967 de nombreux séjours à Moscou, en Allemagne et en France tandis que La femme sauvage, qu’il écrit entre 1954 et 1959, est représentée à Paris en 1963. Les Ancêtres redoublent de férocité et La Poudre d’intelligence sont représentés à Paris en 1967 (en arabe dialectal à Alger en 1969). Il publie en 1964 dans Alger républicain six textes sur Nos frères les Indiens et raconte dans Jeune Afrique sa rencontre avec Jean-Paul Sartre, tandis que sa mère est internée à l’hôpital psychiatrique de Blida (« La Rose de Blida », dans Révolution Africaine, juillet 1965). En 1967 il part au Viêt Nam, abandonne complètement la forme romanesque et écrit L’homme aux sandales de caoutchouc, pièce publiée, représentée et traduite en arabe en 1970.

Bibliographie

Soliloques, poèmes, Bône, Ancienne imprimerie Thomas, 1946. Réédition (avec une introduction de Yacine Kateb), Alger, Bouchène, 1991, 64p.
Abdelkader et l’indépendance algérienne, Alger, En Nahda, 1948, 47p.
Nedjma, roman, Paris, Editions du Seuil, 1956, 256p.
Le Cercle des représailles, théâtre, Paris, Éditions du Seuil, 1959, 169p [contient Le Cadavre encerclé, La Poudre d’intelligence, Les Ancêtres redoublent de férocité, Le Vautour, introduction d’Edouard Glissant : Le Chant profond de Kateb Yacine].
Le Polygone étoilé, roman, Paris, Éditions du Seuil, 1966, 182p.
Les Ancêtres redoublent de férocité, [avec la fin modifiée], Paris, collection TNP, 1967.
L’Homme aux sandales de caoutchouc [hommages au Vietnam et à Ho Chi Minh], théâtre, Paris, Éditions du Seuil, 1970, 288p.
L’Œuvre en fragments, Inédits littéraires et textes retrouvés, rassemblés et présentés par Jacqueline Arnaud, Paris, Sindbad 1986, 448p (ISBN 2727401299).
Le Poète comme un boxeur, entretiens 1958-1989, Paris, Éditions du Seuil, 1994.
Boucherie de l’espérance, œuvres théâtrales, [quatre pièces, contient notamment Mohammed prends ta valise, Boucherie de l’espérance, La Guerre de deux mille ans »,et Le Bourgeois sans culotte, œuvres écrites entre 1972 et 1988], Paris, Éditions du Seuil, 1999, 570p. Textes réunis et traduits par Zebeïda Chergui.
Minuit passée de douze heures, écrits journalistiques 1947-1989, textes réunis par Amazigh Kateb, Paris, Éditions du Seuil, 1999, 360p.
Kateb Yacine, un théâtre et trois langues, Catalogue de l’exposition littéraire du même nom, Editions du Seuil, 2003, 75p.
Parce que c’est une femme, textes réunis par Zebeïda Chergui, théâtre, [contient un entretien de Yacine Kateb avec El Hanar Benali, 1972, La Kahina ou Dihya; Saout Ennissa, 1972; La Voix des femmes et Louise Michel et la Nouvelle Calédonie], Paris, Éditions des Femmes – Antoinette Fouque, 2004, 174p.

Préfaces

Les Fruits de la colère, préface à Aît Djaffar, Complainte de la petite Yasmina
Les mille et une nuit de la révolution, préface à Abdelhamid Benzine, La Plaine et la montagne
Les Ancêtres redoublent de férocité, préface à Tassadit Yacine, « Lounis Aït Menguellet chante… »

Les œuvres de Kateb Yacine

Soliloques, poèmes. Bône, Imprimerie du « Réveil bônois », 1946. Réédité : Paris, La Découverte, 1991, Alger, Bouchène, 1990.

Nedjma, roman Paris, Seuil, 1956 . Le cercle des représailles, recueil de théâtre comprenant : « Le cadavre encerclé », « Les ancêtres redoublent de férocité », « Le vautour », « La poudre d’intelligence ». Paris, Edition du Seuil, 1959.

Le Polygone étoilé, roman Paris, Edition du Seuil, 1966.

L’homme aux sandales de caoutchouc, Théâtre, Paris, Edition du Seuil,1970.

L’œuvre en fragments : inédits rassemblés par Jacqueline Arnaud. Paris, Edition Sindbad, 1986.

Le poète comme un boxeur : entretien de l’auteur, 1958-1989, rassemblés par Gilles Carpentier. Paris, Edition du Seuil, 1994.

Minuit passé de douze heures : écrits journalistiques, 1949-1989, textes réunis par Amazigh Kateb Paris, Edition du Seuil, 1999.

Boucherie de l’espérance : œuvres théâtrale, textes établis et traduits par Zebeïda Chergui. « Mohamed prends ta valise », « La guerre de 2000 ans ou Palestine trahie », « La guerre de 2000 ans ou le Roi de l’Ouest », « Le bourgeois sans culotte ou le spectre du parc Monceau ». Paris, Edition du Seuil, 1999.

Prix littéraires

1963 : Prix Jean Amrouche, décerné par la ville de Florence, Italie.

1975 : Prix Lotus décerné par les écrivains afro-asiatiques dont les œuvres embrassent les luttes des peuples du Tiers-Monde.

1980 : premier prix du Lion pour le théâtre, Académie Simba et Corriere Africano.

1987 : Grand Prix national des Lettres décerné par le ministère de la Culture en France.

1991 : Médaille d’honneur décernée à titre posthume par le Jury du Festival international du Théâtre Expérimental, le Caire.

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Kateb Yacine
(1929 – 1989)

TRACES


 

 

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TRACES

 

Je t’ai vu surgir au terme d’un Autan le dire plutôt que d’y rester seule puisque des Corbières tu me fis venir à Toi comme l’aube vient avec son soleil.

Sido

« Car j’aimais tant l’aube, déjà, que ma mère me l’accordait en récompense. J’obtenais qu’elle m’éveillât à trois heures et demis, et je m’en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraise, les cassis et les groseilles barbues.
À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d’abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… J’allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion…
Ma mère me laissait partir, après m’avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle regardait courir et décroître sur la pente son oeuvre, – « chef-d’oeuvre », disait-elle. J’étais peut-être jolie ; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d’accord… Je l’étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu’à mon retour, et de ma supériorité d’enfant éveillé sur les autres enfants endormis.
Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d’avoir mangé mon soûl, pas avant d’avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l’eau de deux sources perdues, que je révérais. L’une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L’autre source, presque invisible, froissait l’herbe comme un serpent, s’étalait secrète au centre d’un pré où des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe… Rien qu’à parler d’elles je souhaite que leur saveur m’emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j’emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire…» Colette

Et vînt L’EPOQUE 2018, fertile comme pas une jachère imaginerait se fire engrosser.

T’y voilà

Saches ô combien ta main a l’empan de la fée de l’écriture et comme je la serre et t’aube en récompense.

 

Niala-Loisobleu – 22/10/18

MAIN MISE 2 – Henry Bauchau


MAIN MISE 2 – Henry Bauchau

Bauchau

 

« J’écris pour me parcourir »

Henri Michaux

 

Henry Bauchau aura aussi écrit pour se parcourir et parcourir la peau du monde et nous parcourir aussi. Ses routes sont les routes de la réalisation de soi-même.

Henry Bauchau est sur la route comme ses chers amis Œdipe, de sa fille Antigone, et de la lumineuse jeune persane Diotime. Depuis qu’il est entré en écriture, il promène à la face du monde la torche éclairante des mythes grecs. Il est devenu lui-même psychanalyste et la thérapeutique des jeunes enfants modèle aussi sa vie. Et il marchera aux côtés d’ Œdipe sur les voies tenant à la fois le journal d’Antigone, celui des humains et le bâton de l’aveugle.

Il n’est pas enfermé dans le monde grec, ni prisonnier des mythes, mais attentif aux rumeurs du monde, ceux de la Chine en particulier, de la lutte contre le sida et plus encore aux mouvements intérieurs de la conscience et de l’inconscience. Il aura vécu en Belgique, à Paris, puis en Suisse et maintenant à Paris dans ce lieu prédestiné nommé le Passage de la Bonne Graine, dans le onzième arrondissement.

 

Bauchau aux multiples vies

 

Il est temps de parler de ses multiples vies, lui qui les cache jalousement ; lui le survivant. Conteur prodigieux des errances il sait ce dont il parle. Longue est sa route jonchée de poussières d‘humanité entrelacées à celle des étoiles, longue est sa route depuis sa naissance en Belgique, à Malines le 22 janvier 1913. Après une petite enfance marquée par l’invasion allemande, l’incendie de sa maison, il fait des études de droit à Louvain. Avant d’être mobilisé en 1939, il exerce des activités dans le journalisme et milite dans des mouvements de jeunesse chrétiens. Pendant la guerre, il fait partie de la Résistance armée. À la libération, il aurait dû rester dans les grimoires du droit, lui le docteur en droit. Mais ce mal-être profond qui un jour nous pousse soit sur les routes soit nous ensevelit dans nos puits fermés. Cet étrange besoin de pouvoir enfin dire « je », et non pas « moi, on », le met en marche. Il y fonde une maison de distribution et d’édition, qu’il implante en 1946 à Paris. Après avoir suivi une psychanalyse de 1947 à 1951 avec Blanche Reverchon-Jouve, l’épouse du poète Pierre-Jean Jouve, il est devenu psychothérapeute. Mais surtout obéissant au conseil de la confiance en l’écriture qui devait le construire, et de la foi en la force de l’art pour parler au monde, il deviendra véritablement écrivain à 45 ans. Formateur à Gstaad en Suisse de 1951 à 1975, dans son institut pour jeunes filles qu’il a fondé, il aura à la fois la révélation des souffrances d’autrui et la présence de la montagne.

À la fermeture de son école, il fait l’hôpital de jour à Paris depuis 1975. Il sera non plus un passeur mais un acteur psychothérapeute avec la douleur du quotidien, la culpabilité de n’avoir su comprendre à temps le patient souvent impatient. Cette non-assistance à quelqu’un qui se noie dans toutes ses personnalités si nombreuses dans sa tête. Et les difficultés financières également qui reviennent plusieurs fois par semaines. Il a une illumination en 1983 et commence à écrire son triptyque (Œdipe, Antigone, Diotime), qui lui apportera une renommée tardive.

Comme son compatriote Henri Michaux il est un écrivain en marge, mais lui aura dû attendre très tard pour être lu puis reconnu.

 

 

Ses chemins de traverse nombreux entre psychanalyse et invention romanesque ont pu déconcerter.

Des lieux de passage existent bien sûr entre son expérience de psychothérapeute et sa création littéraire, surtout dans son dernier roman l’enfant bleu. Raconté du point de vue de la jeune femme qui l’analyse, il raconte la lente et laborieuse avancée d’un enfant perturbé vers l’art.

L’écrivain sera surtout ici mentionné dans sa mise en art de la tragédie des origines dans sa recréation des récits mythiques sans oublier que Bauchau se penche surtout dans son métier et sa vie d’homme sur les blessures de l’être.

« C’est en travaillant son passé qu’on prépare l’avenir.

Nous avons en nous une mémoire du futur. Ça peut

paraître étrange, mais c’est cette mémoire du futur qui

peut nous guider vers un monde qui ne sera pas, je

pense, sans convulsions ; il est impossible de naître sans

déchirure. (…) Il n’y aura pas de lendemains qui chantent

(…) La difficulté d’être au monde est continue.

Comme on parle maintenant de formation continue, je parlerais de « naissance continue ».

 

La clarté d’une colonne grecque en plein soleil

 

Son écriture est claire comme une colonne grecque en plein soleil sans aucune absence ni aucune présence. Sa prose est orale, musicale, balancée, aérienne et pour cela il aura souvent été mis en théâtre ou en opéra. Les déchirures sont tapies comme les oracles et ses textes des récits d’initiation, celle du jet de pierre dans la rivière pour Antigone la jeune mendiante, celle du combat avec les lions pour Diotime, de sa transgression. La violence et le sacré montrés par René Girard se trouvent ici en plein jour. Depuis les victimes prédestinées, boucs émissaires de la condition humaine jusqu’à l’exaltation des rebelles le mythe convulsif est là, éclairé par la psychanalyse. Mais la liberté de la chose littéraire oblige à une mise en art. Et ses romans sont en même temps bien autre chose qu’une relecture psychanalytique de deux grands mythes. Il ne revisite pas les classiques mais se situe dans leur présence charnelle. Antigone danse, se cogne sur les pierres, a soif, a faim, a peur surtout.

 

« Depuis la mort d’ Œdipe, mes yeux et ma pensée sont orientés vers la mer et c’est près d’elle que je me réfugie toujours. À l’ombre d’un rocher, j’écoute la rumeur du port et des hommes et les cris des oiseaux de mer. Je me souviens du jour où Jocaste m’a dit : « N’oublie jamais, Antigone, que ton père est d’abord un marin. »

C’est ce marin qui m’a emmenée dans son vertigineux voyage jusqu’au lieu qui me faisait si peur. Ce lieu qui, après dix ans sur la route, est devenu Athènes, où je suis seule maintenant, en deuil, sur le bord de la mer. Je contemple dans le ciel un oiseau […] Œdipe, un jour, s’est brusquement tourné vers moi et a dit : « Tu n’as jamais été sur la mer, Antigone, et pourtant tu es un vrai marin. Sans voiles, sans gouvernail, voici des années que tu navigues, sans chavirer, dans mon aveuglement, mes vertiges, la folie de Clios et la tienne. ».

Je retrouve en moi cet instant de bonheur sur la route invisible où nous ne cessions de nous perdre.

 

Et Bauchau pose cette question fondamentale :

Est-ce que bonheur et malheur peuvent exister en dehors de la danse ? 

 

Les paysages de la Grèce sont là avec les oliviers, les ronces, le midi accablant, la blancheur des habitations. Et Bauchau s’en va dans les pas des ombres des mythes pour rencontrer l’autre et aussi lui-même. « Ainsi dans cette inconnaissance où nous sommes, nous continuons parfois à nous découvrir l’un l’autre. » Pour avancer il fallait soi-même être rebelle à un ordre établi, à un destin clos. Diotime et sa condition de femme, Antigone et sa rédemption aux lois. Elle refuse « d’obéir comme une plante qui sort de la terre, comme un ruisseau qui s’écoule ». Et elle proclamera ce cri qui doit être le nôtre : « Est-ce qu’il ne faut pas être rejeté pour devenir soi-même ? »

Diotime sait qu’un jour pour être reconnue autrement par sa féminité il lui faudra affronter les tabous et les règles de son clan. Elle s’y prépare :

«J’étais seule un matin avec une jeune servante. Cambyse est survenu. Étincelant, sur son cheval couvert d’écume dont il n’avait pas daigné descendre, il nous observait d’un œil sévère. J’étais toute petite, j’ai été éblouie, j’ai couru vers lui en demandant : « À cheval, à cheval avec toi ! » Ma confiance a fait rire cet homme sauvage, elle l’a peut-être touché. Il m’a saisie par le cou et juchée devant lui sur sa selle. Nous sommes partis au galop, entourés par ses gardes et ce qui n’était pour lui qu’une chasse après tant d’autres a été pour moi l’ivresse, l’invention de la vie. J’ai découvert alors la joie de la vitesse dans l’air brûlant et l’odeur des chevaux. Je n’ai retrouvé pareil plaisir qu’en haute mer, par grand vent, quand Arsès gouvernait le navire.

Cambyse m’a gardée avec lui tout le jour, et c’est endormie dans ses bras qu’il m’a ramenée chez mes parents. En me tendant à lui il a dit à Kyros : « Ta fille sera bonne cavalière, je lui apprendrai à monter et à chasser moi-même. » Il a tenu parole, il est venu souvent, puis presque chaque jour, pour m’emmener avec lui. Il m’a donné très vite un joli poulain et a commencé à m’initier à l’art de la fauconnerie qui était, de ses nombreuses passions, la plus vive.»

 

Voici tracé le destin d’une jeune fille adoubée par l’autre et qui va se fondre dans les règles coutumières par l’initiation du combat des lions :

«La lutte avec les lions ne durait qu’une partie de l’année et on ne pouvait s’attaquer qu’à un fauve à la fois. Une fois par an, avait lieu entre eux et nous une guerre rituelle qui durait deux jours et une nuit. C’était la plus grande fête de l’année, il y avait toujours plusieurs morts et de nombreux blessés, mais il n’y avait pas, pour les chasseurs du clan et des tribus voisines, de plus grand honneur que d’y être admis par Cambyse. En grandissant, j’éprouvais un désir croissant de participer à cette fête, j’en ai parlé à ma mère, elle m’a suppliée d’y renoncer en me disant que ce n’était pas la place d’une jeune fille et que la tradition ne le permettait pas. Je pensais au contraire qu’à l’origine de notre clan il y avait eu des déesses lionnes aussi terribles, aussi puissantes que les lions. Je descendais sûrement de l’une d’elles et si, pour des raisons évidentes, il était dans notre guerre interdit de tuer les lionnes et leurs lionceaux, elles prenaient au combat une part redoutable et provoquaient parmi nous autant de morts et de blessures que les mâles.

Je ne pouvais pas renoncer à ce désir. J’en ai parlé à mon père, Kyros immédiatement m’a comprise. Ce n’était pas, m’a-t-il dit, l’esprit ni le cœur qui s’exprimaient dans mon désir, mais le sang. Et le sang est mouvement, mouvement de la vie elle-même qui ne peut s’arrêter qu’à la mort. Je n’étais pas d’âge alors à le comprendre mais, quand il m’a permis de demander à Cambyse l’autorisation de participer à la guerre des lions, je me suis précipitée chez mon grand-père. Je lui ai dit qu’étant déjà le meilleur fauconnier du clan, je pouvais aussi rivaliser à la chasse avec nos meilleurs chasseurs. Je n’avais pourtant jamais combattu ni tué un lion et il était temps que je m’affronte, comme lui et mon père, aux êtres de mon sang. Tant que je n’aurais pas participé au combat rituel avec eux, je ne connaîtrais plus la paix et ne pourrais pas être heureuse

 

Des constellations mystérieuses

 

Bauchau trace des constellations « impérieuses », où le destin se fige face au partage et à l’écoute de l’autre : Il y a une fidélité à la vie qui est au-delà de toutes les fidélités. Cette fidélité de Bauchau écrivain, cette foi en l’autre se sont longtemps retrouvées en Bauchau psychothérapeute auprès des enfants saccagés ou dans ses actions de formateur. Entre le côtoiement pendant toute une vie de la folie, du désordre et des hallucinations et la recréation des mythes la liaison est évidente. Ceci s’appelle l’espérance en l’homme, la signification d’exister : cette part, infinie un peu, infirme sûrement, qui m’a été donnée dans l’acte d’exister.

Face à un monde démuselé, où la banalité et la violence triomphent, Bauchau ne questionne pas trop l’espérance, il en fait un sens de vie : Exister me suffit.

Il donne chair à des personnages hasardés dans les rêves, vivant les drames humains de tous les temps. Il nous apprend à résister au monde. Depuis les attentats du 11 septembre, Henri Bauchau dit qu’il repense beaucoup à son Antigone. Pour Henri Bauchau, « la tâche du poète est de planter une objection dans le champ du malheur ». Il s’y emploie encore aujourd’hui.

 

Il est notre prochain solidaire qui refuse la cruauté : un mal des mots semble-t-il nous dire :

Bauchau

 

J’ai été enseignant, je me suis ensuite occupé longuement d’adolescents handicapés.

Je me suis alors rendu compte des problèmes qui se sont aggravés depuis.

J’ai 91 ans, je mène une vie retirée, toute consacrée, selon mes forces, à l’écriture. Si vous croyez que je puis vous aider encore, je le ferai volontiers. Faites-moi signe. Henri Bauchau

 

Homme de solidarité autant que passeur de mots Henri Bauchau veut tout dire du dedans et ses romans sont dans la lumière du soleil révélateur. Dans un espace des mythes passent les caravanes des rêves, les coffres de l’art et l’histoire des hommes. Il définit ainsi son écriture :

« L’inspiration est toujours délirante, dionysiaque pour reprendre l’expression de Nietzsche. Elle a besoin de la conscience ordonnée, musicale, apollinienne. C’est un équilibre. Quand Alexandre le Grand brûle le palais de Persépolis, il fait basculer la Grèce sous la suprématie de Dionysos. Elle ne s’en est jamais relevée. »

 

Il faut se souvenir des Falaises de marbre d’Ernst Jünger pour comprendre Bauchau. Son enthousiasme mystique pour l’existence se nourrit autant de chrétienté que de bouddhisme, ou de mythes grecs. Pour lui l’écriture est une activité spirituelle. Et humains, trop humains sont ses héros consumés par la peur et la crainte d’un destin caché et funeste. Il trace une route entre folie et roman, une route inconnue, celle de la conscience entre doutes et angoisses. Il dit « l’écriture est mon moteur » et il avance encore et encore. Art et thérapie sont valeurs jumelles pour lui qui conçoit l’art comme une transmission, une révélation libératoire qui seul permet de ranimer « les trésors perdus de la mémoire ». Il ne les confond pas, car si la révélation des pulsions se fait par l’art, il a retenu de sa pratique qu’il ne faut pas pousser l’autre, ni peser sur le destin de l’autre. Il nous dit qu’il ne suffit pas d’aider l’autre à mieux vivre, mais lui apprendre à décider de sa vie, à pouvoir dire » je ».

L’art permet de garder hallucinations et délires derrière la porte. Il aide à vivre dans une vie à la banalité insupportable, dans une société dévolue à la vitesse, à l’efficacité, à la rapidité, à l’effet de masse.

L’art est alors thérapie. Il permet de réenchanter le monde, car vivre sans enchantement est pour lui impossible.

Ses personnages se fondent totalement dans l’art depuis le dessin pour Orion (l’enfant bleu), jusqu’à la peinture, la danse et la musique pour les autres. Ainsi Œdipe devient sculpteur et aède.

 

Il aura lutté contre le temps, mais élaboré une œuvre patiente et profonde. Son œuvre l’aura maintenu en vie par le long cheminement du destin.

Au moment de ce portrait Henry Bauchau nous sourit du haut de ses 91 ans, étonné d’être un survivant, d’avoir encore son regard sur le monde et sa banalité, après qu’il lui fut donné d’achever Antigone en 1997, à 84 ans. Son œuvre d’écoute et d’attention à la souffrance, chante les regrets de l’amour, l’apaisement des blessures, l’ambivalence des désirs. Elle nous interroge sur l’individu et son destin. Tous les voyages décrits sont des voyages intérieurs.

Nous avons tous croisé Œdipe sur la route, nous ne sommes plus pareils. Tous les textes de Bauchau sont des voyages en Ithaque, des initiations, des contes moraux. Bauchau a une manière haute de vous rendre simplement humain et rebelle aux temps oppressants.
Grâce à lui nous resterons insoumis et nous serons toujours sur la route.

 

 

Gil Pressnitzer

 


 

Choix de textes

 

Les promeneuses du soir

Éloge

Éloge des sommeils d’amies

 

Éloge d’épouses de doges

Et de stratèges villes grèges

Ocrées de ceinturons de briques

 

Éloge à pas de somnambule

Des noctambules promeneuses

Noires cavales de bijoux

Plus grandes, couples sans époux

Que des reines prostituées

 

 

Éloge de la mélancolie

 

 

Femme pour un temps d’avène

Femme pour un temps d’exil

Est-ce que l’enfance était plus claire

Était plus sombre que mémoire

Que les pas

les palais

les pavés du hasard

La Mer est proche, Dix poèmes inédits sur des tableaux de Paul Delvaux (1972-1973), dans Poésie 1950-1986, Actes Sud, 1986  (Source Esprits Nomades)

 

 

MADAME COLETTE


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MADAME COLETTE

On a des phrases qui vous hantent
Machinales
Et que l’on dit à tout bout de champ n’importe où
On vieillit
C’est un peu comme un tic une toux
On dit
Comment ça va
Pas mal et vous
Pas mal
On dit
Mon
Dieu Ça ne veut rien dire du tout

Mon
Dieu faites mon
Dieu que je meure en silence

Je ne crois pas en vous
Pourtant si vous étiez

Et de qui donc prier au plus cette pitié

Qu’on se taise sur moi quand l’ombre à ma semblance

Aura vu se fermer les branches du sentier

J’écoutais à l’instant parler pour une morte
On l’aimait
Elle était touchante comme un chant
Et ceux-là qui tâchaient aussi d’être touchants
Faisaient à cette tombe ouverte un bruit de porte
Importun et pourtant tellement pas méchant

Ah j’imagine comme à l’entendre confuse
Ou le feignant peut-être elle leur eût paru
L’écolière qu’effarouchait un mot trop cru
Refusant de l’épaule un compliment par ruse
Pour fuir la fausseté des hommes par les rues

Vous avez bien souffert
Madame mais personne
Aujourd’hui n’aura dit ce lent apaisement
Et que vos yeux ont vu tomber tout doucement
Le voile du bonheur muet enfin que donne
Cette nuit éternelle où personne ne ment

Quand c’était trop affreux vous regardiez les arbres
Ils ont aussi des nœuds à leur tronc comme nous
Nous parfois
Je soleil s’approche et nous dénoue
Tout ce qu’on lui disait la laissait bien de marbre
Auprès de la cheville atroce et du genou

Elle faisait semblant cette femme sensible
On ne sait trop de quoi mais en tout cas semblant
J’étais allant la voir toujours
Renaud tremblant
Aux parterres d’Armide où marcher n’est possible
Sans lever à ses pas les passereaux d’antan

C’était qu’elle devait plus ou moins se défendre
Autour d’elle opposant comme un chat familier
Quelque ancien souvenir à ce que vous alliez
Dire ou faire peut-être et qu’il faudrait entendre
Faute de fuir sur la rampe de l’escalier

Armide et son bonheur abandonnant l’Oronte

Que les soldats du
Christ y meurent donc sans eux

Ont gagné ce rivage aussi bleu que les cieux

Où les enchantements neige et soleil affrontent

Où l’on vit sans armure un printemps merveilleux

Armide et son bonheur ignorent la croisade

Ignorent l’homme en proie à des difficultés

Tout leur art n’est qu’amour à ces bords enchantés

Retourne si tu veux par la mer de
Grenade

A
Carthage ou
Damiette
Eux vont ici rester

Armide est ce détour volontaire
L’exil

En plein cœur
Une soif ardente au lac lointain

Cette consomption des plaisirs mal éteints

Cet émerveillement égoïste des îles

Dont la mer d’émeraude entoure les matins

Cette île
Fortunée était bien la dernière

Qu’un désir souverain berçât de ses accents

Les fleurs et les parfums y paraissaient puissants

Comme aux primes lueurs des aubes printanières

Quand tout avait le trouble et la chaleur du sang

Où le jour de naguère uniquement pénètre
Où la pierre et le ciel à ses rêves se plient
Armide des douleurs je la vois sur ce lit
Magicienne imaginaire à sa fenêtre
Mélange singulier de mémoire et d’oubli

Elle semblait parmi ses livres couleur
Parme
Telle qu’elle a voulu que le monde la vît
Mettant le nom de la violette à la vie
Comme un songe embaumé prisonnière d’un charme
Etrangère à l’histoire et par tout asservie

Lorsque je l’ai connue elle avait l’air d’un faune
Encore il m’en souvient au
Boulevard
Suchet 11 en restait sa voix de syrinx où perchait
Avec toutes les variations d’un
Beaune
Le roulement des r comme un vin dans le chai

L’avenir qu’il y puise
Et dans son héritage
Décompte les raisins comme il faut grain à grain
Décante du tanin ce soleil souterrain
Dépouille l’amertume et prenne en son partage
Ces doux regards qu’à l’ombre accorde un romarin

Elle n’avait choisi ni le temps ni le monde

Qui lui furent donnés pour croître et pour aimer

Et non plus le rosier le brasier allumé

N’ont choisi le bois mort ou cette terre immonde

Pour la flamme et la fleur l’épine et la fumée

Armide chère
Armide
Armide trop humaine
Les jours d’après la pluie en elle trouveront
Le plaisir d’oublier une ride à son front
Comme les sous tintant au bout de la semaine À la fin de l’hiver la tiédeur des marrons

Ces derniers temps tout n’était plus que silhouette
Estompement du mal et que fatigue au fond
Je me souviens de cette générale où l’on
Montra l’intimité de
Madame
Colette
Sur les petits écrans de la télévision

Qu’est-ce que c’est que ces lumières d’acrobates
Ces lampes d’Aladin cette sorcellerie
D’abord on entendait â peine et puis ça crie
Du moins était-il seul au château des
Carpathes
Cet étrange héros dont
Jules
Verne écrit

Rongeant au creux des rnonts un amour sans pâture
Pour une femme absente avec ses bras abstraits
Et cette voix trop belle et ce mouvant portrait
Du moins était-il seul assis à sa torture
Et ce n’était que lui-même qu’il torturait

Jeunesse ma jeunesse est-ce donc ton image

On survit longuement à l’avril des baisers

Déjà midi s’étonne et cherche la rosée

Même un beau crépuscule est encore un dommage

Le cœur qui se souvient n’est jamais apaisé

Jeunesse ma jeunesse il n’est plus de dimanches
Si tu t’en es allée en changeant mes cheveux
Jeunesse ma jeunesse assise à tous les feux
Où donc est le tapis vert et bleu des pervenches
Où sont les champs fleuris où tu disais je veux

Laisse là tes regrets vieil homme et ta jeunesse
Dimanche ou pas impatients dès le lundi
D’autres adolescents ouvrent le paradis
Ils ont cette splendeur des choses qui renaissent
Ne reconnais-tu pas ta propre mélodie

Laisse laisse la place à ce grand bal physique
Ne triomphes-tu pas tant qu’il est des amants
Regarde-les danser avec emportement
O jeunesse
Ancienne et nouvelle musique
Colette (‘écoutait de son appartement

On avait inventé ce spectacle pour elle
Elle était sur la scène et les acteurs jouaient
Dans ce chez elle où la souffrance la clouait
On l’appelait d’ici
Son chant de tourterelle
Dans les pick-up épars en retour s’enrouait

Elle avait
Cette idée accepté de le faire
Et tandis que la salle où le rideau rougit
Dans son
Palais-Royal avait soudain surgi
La voilà qui s’allume à la rampe d’enfer
Comment s’y refuser
Et répond à
Gigi

Cela prenait une atmosphère de collège
Elle répondait vite et peut-être à côté
Ses yeux avaient gardé leur fard et leur beauté
Qui nous donnaient le sentiment d’un sacrilège
En raison de cet enjouement prémédité

La pudeur du langage est un dernier orgueil

Les examinateurs dans le théâtre assis

En suivaient le détour et la péripétie

Nous étions enfoncés comme eux dans nos fauteuils

Qui tentions de comprendre à quoi bon tout ceci

Mais pour des papillons dont les gens lui parlèrent
Elle eut l’expression de la biche blessée
Quelle était cette plaie où saignait sa pensée
Quelque chose un moment avait dû lui déplaire
Rien qu’un moment Ça c’est tout de suite passé

Nous n’entrerons jamais au vrai jardin d’Armide
On avait beau l’avoir prise au piège et traînée
Dans l’éclat des sunlights comme une fleur fanée
C’était nous qui restions pareils au sol aride
Au long été de ses quatre-vingt-une années

Elle aura trop bien su ce que c’est que mourir
Comme aux indifférents la bouche s’y confie

On n’a plus le secours des yeux ni leur défi
Ni les éclairs furtifs la feinte du sourire
Elle n’a pas voulu qu’on la photographie

Elle n’a pas permis de fixer à son ombre
La narine immobile et la tempe sans bruit
Ce traître instantané cet effroi cette nuit
Elle n’a pas voulu demeurer ce décombre
Le masque abandonné d’où l’âme s’est enfuie

Nous ne la suivrons plus par les secrets méandres
Où seule et vainement elle eut un long succès
L’allée est solitaire où
Colette passait
Dans le vent retombé toute poussière est cendre
Une aile va manquer au murmure français

Adieu reine des prés adieu l’enchanteresse
Qui fis d’aimer ta loi ton souffle et ton credo À ta fenêtre encore il palpite un rideau
La nuit d’août est pleine encore de caresses
Claudine vit encore ô fille de
Sido

Demain dans ses bras prend tes belles créatures
Je ne sais pas vraiment pour lui ce qu’elles sont
La morsure s’oublie et reste le frisson
O folklore des temps ô nouvelle aventure
C’est la lèvre qui fait l’eau pure et la chanson

Tout meurt et refleurit tout se métamorphose
Vois-les vois-les grandir ces enfants de tes mains
Aux astres inventés d’un univers humain
Ton sauvage églantier va se couvrir de roses
Une odeur d’innocence envahit tes chemins

Août 1954

Louis Aragon

Accidents de toilette


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Jacques Réda

Accidents de toilette

Dessins d’Anne-Marie Soulcié.

2017 ‒ 96 pages ‒ 14 x 22 cm

(…) petite phénoménologie dont je me suis proposé de tracer une ébauche au sujet du vêtement. Elle peut paraître à l’excès subjective mais, relevant directement d’une expérience particulière, il me semble qu’elle peut apporter une modeste contribution à une étude plus approfondie du phénomène.

L’un des buts de cet ouvrage fut de rendre plus prudents, sans qu’ils en prennent ombrage, tous ceux que des accidents – nommément ceux de toilette (Car le sort est sibyllin comme un sphinx et plus malin et plus vif qu’une belette) – risquent de frapper un jour dans leur chair ou dans leur âme : un lacet qui traîne (on court) pourrait provoquer un drame ; une fermeture éclair bâille ou tout à coup se bloque, et vite on vous trouve l’air d’un personnage équivoque. Mais mon thème englobe aussi, plus largement, il me semble, tout ce qui maintient ensemble, pour le dire en raccourci, l’Univers – qui multiplie les accrocs dans son trajet vers le terme qu’il oublie, comme si l’anomalie, part d’un plus vaste projet, en naissant se corrigeait.

De fil en aiguille, il est question de ce qui nous caparaçonne, de ce que la défroque met à nu ou revêt dans ses incarnations.

  • 700 exemplaires sur vélin / ISBN : 978.2.85194.985.1
    16 euros.
1937-001-171003112019

Jean d’Ormesson est mort


Exclusif - Jean d'Ormesson était présent à Bruxelles pour la présentation de son nouveau livre "Comme un chant d'espérance". Après une courte intervieuw, il a rencontré de nombreux lecteurs pour des dédicaces. Le 27 novembre 2014, Bruxelles.

Jean d’Ormesson est mort

 L’écrivain a rendu son dernier souffle dans la nuit.

Jean d’Ormesson est mort, vient de confirmer sa famille à l’AFP. L’Académicien et écrivain de 92 ans a fait une crise cardiaque à son domicile de Neuilly (Hauts-de-Seine), selon les précisions de sa fille éditrice, Héloïse d’Ormesson, dans la nuit de lundi à mardi 5 décembre 2017.

Dans un court communiqué, elle écrit à propos de son père : « Il a toujours dit qu’il partirait sans avoir tout dit et c’est aujourd’hui. Il nous laisse de merveilleux livres. » Jean d’Ormesson est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages. Il était entré à l’Académie française en 1973 et a été publié de son vivant dans la prestigieuse collection La Pléiade des éditions Gallimard.

Cette vie fut belle

Jean d’Ormesson est né à Paris le 16 juin 1925. Fils d’ambassadeur, il est agrégé de philosophie et normalien. Il est d’abord haut fonctionnaire avant de devenir en parallèle le journaliste et l’écrivain que l’on connaît. Il est, par exemple, secrétaire général de l’Unesco de 1950 à 1992 mais il fut aussi le collaborateur de plusieurs cabinets ministériels de 1958 à 1965.

 

Dès 1949, il collabore à de nombreux journaux comme Paris Match, Ouest-France, Nice Matin, mais aussi Diogène, une revue philosophique dont il est le rédacteur en chef adjoint de 1952 à 1971, puis le directeur général en 1976. Mais la grande aventure de Jean d’Ormesson restera celle du Figaro, qui a célébré son 70e anniversaire en octobre, qu’il dirige dès 1974 et auquel il restera très attaché.

Son premier roman porte un titre qui lui ressemble : L’amour est un plaisir, lui qui parlait tant du plaisir qu’il trouvait dans les grandes et les petites choses de la vie, est paru en 1956. C’est au début des années 1970 que cette carrière d’écrivain explose. Jean d’Ormesson reçoit le Grand Prix de l’Académie française pour La Gloire de l’Empire. Le succès d’Au plaisir de Dieu en 1974, adapté par la suite pour le petit écran, continue d’asseoir sa popularité.

Jean d’Ormesson a signé une quarantaine d’ouvrages qui lui ont ouvert non seulement les portes de l’Académie française mais aussi celle du coeur des Français dont il était l’écrivain préféré. Nombre de ses livres étaient autobiographiques comme Le Rapport Gabriel (1999), C’était bien (2003), le bien-nommé cité par sa fille Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit (2013). En 2016, il reçoit même le Jean-Jacques Rousseau de l’autobiographie pour Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.

L’amour est un plaisir

Cette vie, Jean d’Ormesson l’a passée aux côtés de Françoise Beghin (79 ans), benjamine de l’industriel et homme d’affaires Ferdinand Beghin (le sucre Beghin-Say), qu’il épouse le 2 avril 1962. Dans les pages de Gala en 2015, l’écrivain confiait avec malice : « [Mon épouse] est merveilleuse, elle a été formidable pendant ma maladie [un cancer de la vessie en 2013, ndlr]. Elle n’est jamais sur le devant de la scène et a toujours été d’une grande patience. Pour le reste, le mariage, c’est quarante mauvaises années à passer, puis après, c’est épatant. La vie devient délicieuse à partir de 60 ans. »

Le couple n’a qu’un enfant : Héloïse d’Ormesson, née le 10 octobre 1962, à propos de laquelle il avouait regretter de s’en être peu occupée. Bien inspirée cependant par l’érudition de son père, cette dernière devient éditrice et sa ouvre sa propre maison d’édition. Avec son premier époux, l’éditeur Manuel Carcassonne, Héloïse a une petite fille : Marie-Sarah.

Le mariage, c’est quarante mauvaises années à passer, puis après, c’est épatant.

En 2012, Jean d’Ormesson soutient Nicolas Sakorzy lors de l’élection présidentielle. L’année suivante, il tient son premier rôle au cinéma, celui d’un président très inspiré de François Mitterrand dans Les Saveurs du palais de Christian Vincent. En 2014, retour à l’Élysée où il est fait grand-croix de la légion d’Honneur par le tombeur de Sarkozy, François Hollande. Cette année-là, Jean d’Ormesson revit après s’être remis d’un cancer de la vessie qui lui a valu huit mois d’hospitalisation en 2013.

En janvier 2015, les éditions Gallimard annoncent que l’oeuvre de Jean d’Ormesson sera éditée dans la prestigieuse collection La Pléiade. C’est un immense honneur d’autant qu’il n’est que le 16e auteur (et toujours antépénultième à ce jour depuis l’arrivée de Mario Vargas Llosa et Philip Roth) à le recevoir de son vivant comme d’autres géants de la littérature que sont, par exemple, Milan Kundera, Nathalie Sarraute, Marguerite Yourcenar et André Malraux… Ce ne sont que des statistiques dont ne s’encombrait probablement guère le premier intéressé. N’avait-il pas déclaré « Les honneurs, je les méprise, mais je ne déteste pas forcément ce que je méprise » ?

Un dernier ouvrage autobiographique de Jean d’Ormesson sera publié en début d’année 2018 par Gallimard. Son titre ? Et moi, je vis toujours.

 

Source Purepeople
Depuis quelques jours le temps glacial préparait à ce coup de gel immesurable….perdu lui-même, l’air manque, il est en retrait,
Trop immense, pour dire ce que cet homme d’humilité représente. Pour moi, comme pour d’autres il est la main courante qui m’a tenu et m’a empêché de tomber durant des années.
Quelle Lumière, toute entière dans son regard!
Il avait eu peur de partir sous Hollande, déclarant que l’idée de savoir que ce serait lui qui lui ferait l’Hommage funèbre…Sans doute sera-t-il quelque peu rassuré….mais en totalité, certainement pas, il sait trop où se trouve la Vérité.
Monsieur, vous demeurerez « Comme un chant d’espérance ». Dormez en paix.
Niala-Loisobleu – 5 Décembre 2017

FLUX DE PAN


 Alexandre de Riquer - Vita sine literis morts est

FLUX DE PAN

Ce trou de fenêtre par lequel tu entres, nue de tout rideau, ruisselante comme ce que l’on fait de soie à soi pour le doux de l’aspect sauvage. Comme tu coules ! Pas le temps de t’écoper, nous sommes en voie de large. J’avais il me semble sans rien manquer, l’armement gréé, alors qu’à penne tu volais bord à bord, Capitaine en main. Ce canot-tapis, surfe comme une oie sauvage en bande, t’esclaffais-tu en dandinant des hanches comme un serpent que la musique désenvenime du pépin pour le plaisir de la paume. Faut-dire que côté fruit tu manques pas de pulpe d’un côté comme de l’autre. Le bâton de verger c’est zeppelin pour les transhumances avant que les estives courent les plages dans la cohue destructive du brin d’herbe téméraire. Souviens-toi, il y avait une clairière au milieu d’un bois alors que le monde touffu se cherchait en pleine dérive. On a rapproché les arbres à les greffer, si bien que la forêt devint vite enceinte. L’abri fait pas le moi no, rions-nous sans tissu à culpabiliser. Le naturiste le plus libéré a toujours un problème de rangement avec son porte-monnaie, pas nous, on range pas de ce pin là en suivant le tracé des aiguilles sur la côte sans péages. Le pigeon bleu, la tourterelle grise, la belette fauve, le lapin agile et le chat noir savent que du loup les grandes oreilles ça se vante d’avoir le beurre et les intérêts sans  le frisson harmonique de l’instrument à cordes libéré d’esprit comme de corps. A tendre que des idées, un jour où l’autre, ça fond que le sel quotidien pour le goût de vivre. Ah que j’aime te lyre !

Niala-Loisobleu – 11 Mai 2017

(Vita sine literis morts est – Peinture d’Alexandre de Riquer)

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REFLETS D’ESTRANS 5 / Le Grand A d’Amour mis à flot /


2015-02-04 15.07.38

REFLETS D’ESTRANS 5 / Le Grand A d’Amour mis à flot /Sonia Delaunay et Blaise Cendrars / Formes chromatiques de la Poésie

« J’annonçais la ruine de la haute-couture

je disais que la seule chose intéressante

c’était le prêt-à-porter »

Sonia Delaunay

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Quel fil !

Sonia-Ariane mine au tord

ondule

arc-en-ciel

quelques sleepings plus loin

jusqu’au Blaise

J’en pêche au retiré de la mer

des trésors de la prose du Transsibérien

Niala-Loisobleu

2 Janvier 2016

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REFLETS D’ESTRANS 5
2015
NIALA
Acrylique et collages s/toile 65×54

Adresse de mon site officiel : http://www.niala-galeries.com/

https://www.youtube.com/watch?v=OvUjqy3EOqU