La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Si c’était à recommencer? Si je devais refaire ma vie? Je voudrais naître en Italie? Au mois de mai? Je voudrais être ce gamin? Qui courait pieds nus au soleil ?Parmi les chèvres et les abeilles Ne changez rien
Si c’était à recommencer Dans un monde à feu et à sang Je voudrais être l’émigrant Que j’ai été J’aim’rais repasser la frontière Et sans capuche ni manteau Redébarquer à Yvetot Un soir d’hiver
Si c’était à recommencer J’aim’rais un jour avoir vingt ans Etre con et perdre mon temps Dans les cafés J’aimerais traîner mes illusions Dans des décors de cinéma Même s’il faut avoir l’estomac Dans les talons
Si c’était à recommencer J’aim’rais revoir tous mes amis Même celui qui m’a trahi C’est oublié Je voudrais revivre ces heures D’espérance et de désespoir Ces nuits blanches et ces matins noirs Un vrai bonheur
Si c’était à recommencer J’aim’rais aimer les mêmes femmes Je ne veux pas saouler mon âme D’autres baisers Je voudrais qu’il ne manque pas Une larme, une déchirure Au revers de mes aventures Mea culpa
Si c’était à recommencer J’aim’rais habiter le Midi Y passer dix ans de ma vie À tes côtés Je voudrais avoir cinq enfants Pas un de plus, pas un de moins Et les revoir tous un à un Prendre le vent
Si c’était à recommencer Je suivrais le même chemin Je manquerais les mêmes trains Sans un regret Je voudrais ne rien effacer De mes joies, de mes solitudes Qu’on n’oublie pas une virgule À mon passé…
V’là trois millions d’années que j’dormais dans la tourbe Quand un méchant coup d’pioche me trancha net le col Et me fit effectuer une gracieuse courbe A la fin de laquelle je plongeai dans l’formol D’abord on a voulu m’consolider la face On se mit à m’brosser mâchoire et temporal Suivit un shampooing au bichromat’ de potasse Puis on noua un’ faveur autour d’mon pariétal
Du jour au lendemain je devins un’ vedette Journeaux télévision y’en avait que pour moi Tant et si bien du rest’ que les autres squelettes Se jugeant délaissés me battaient un peu froid Enfin les scientifiqu’s suivant coutumes et us Voulant me baptiser de par un nom latin M’ont appelé Pithécanthropus Erectus Erectus ça m’va bien moi qu’étais chaud lapin
Et ces messieurs savants à bottin’s et pince-nez Sur le vu d’un p’tit os ou d’une prémolaire Comprirent que j’possédais de sacrées facultés Qui me différenciaient des autres mammifères Ils ont dit que j’étais un virtuos’ du gourdin Qui assommait bisons aurochs et bonn’ fortune Que j’étais drôl’ment doué pour les petits dessins De Vénus callipyg’ aux tétons comm’ la lune
Ils ont dit que j’vivais jadis dans une grotte Ils ont dit tell’ment d’choses tell’ment de trucs curieux Qu’j’étais couvert de poils et qu’j’avais pas de culotte Alors que j’habitais un pavillon d’banlieue J’étais comm’ tout le mond’ pétri de bonn’s manières Tous les dimanch’ matins je jouais au tiercé Je portais des cols durs et des bandag’s herniaires C’était avant la guerr’ avant qu’tout ait sauté
C’était voilà maint’nant bien trois millions d’années Vous n’avez rien à craindre y a plus de retombées.
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