
NIALA
LE BAISER
PAR
RENE CHAR
Massive lenteur, lenteur martelée;
Humaine lenteur, lenteur débattue;
Déserte lenteur, reviens sur tes feux;
Sublime lenteur, monte de l’amour:
La chouette est de retour.
René Char

NIALA
LE BAISER
PAR
RENE CHAR
Massive lenteur, lenteur martelée;
Humaine lenteur, lenteur débattue;
Déserte lenteur, reviens sur tes feux;
Sublime lenteur, monte de l’amour:
La chouette est de retour.
René Char

RENE CHAR
LES COMPAGNONS DANS LE JARDIN
L’homme n’est qu’une fleur de l’air tenue par la terre, maudite par les astres, respirée par la mort; le souffle et l’ombre de cette coalition, certaines fou, le
surélèvent.
Notre amitié est le nuage blanc préféré du soleil.
Notre amitié est une écorce libre. Elle ne se détache pas des prouesses de notre cœur.
Où l’esprit ne déracine plus mais replante et soigne, je nais. Où commence l’enfance du peuple, j’aime.
xxe siècle : l’homme fut au plus bas. Les femmes s’éclairaient et se déplaçaient vite, sur un surplomb où seuls nos yeux avaient accès.
À une rose je me lie.
Nous sommes ingouvernables. Le seul maître qui nous soit propice, c’est l’Éclair, qui tantôt nous illumine et tantôt nous pourfend.
Éclair et rose, en nous, dans leur fugacité, pour nous accomplir, s’ajoutent.
Je suis d’herbe dans ta main, ma pyramide adolescente. Je t’aime sur tes mille fleurs refermées.
Prête au bourgeon, en lui laissant l’avenir, tout l’éclat de la fleur profonde. Ton dur second regard le peut. De la sorte, le gel ne le détruira pas.
Ne permettons pas qu’on nous enlève la part de la nature que nous renfermons. N’en perdons pas une éta-mine, n’en cédons pas un gravier d’eau.
Après le départ des moissonneurs, sur les plateaux de l’Ile-de-France, ce menu silex taillé qui sort de terre, à peine dans notre main, fait surgir de notre mémoire un
noyau équivalent, noyau d’une aurore dont nous ne verrons pas, croyons-nous, l’altération ni la fin; seulement la rougeur sublime et le visage levé.
Leur crime : un enragé vouloir de nous apprendre à mépriser les dieux que nous avons en nous.
Ce sont les pessimistes que l’avenir élève. Ils voient de leur vivant l’objet de leur appréhension se réaliser. Pourtant la grappe, qui a suivi la moisson, au-dessus de son
cep, boucle; et les enfants des saisons, qui ne sont pas selon l’ordinaire réunis, au plus vite affermissent le sable au bord de la vague. Cela, les pessimistes le perçoivent
aussi.
Ah! le pouvoir de se lever autrement.
Dites, ce que nous sommes nous fera jaillir en bouquet?
Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.
Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir? Mourir, c’est devenir, mais nulle part, vivant?
Le réel quelquefois désaltère l’espérance. C’est pourquoi, contre toute attente, l’espérance survit.
Toucher de son ombre un fumier, tant notre flanc renferme de maux et notre cœur de pensées folles, se peut; mais avoir en soi un sacré.
Lorsque je rêve et que j’avance, lorsque je retiens l’ineffable, m’éveillant, je suis à genoux.
L’Histoire n’est que le revers de la tenue des maîtres. Aussi une terre d’effroi où chasse le lycaon et que racle la vipère. La détresse est dans le regard des
sociétés humaines et du Temps, avec des victoires qui montent.
Luire et s’élancer – prompt couteau, lente étoile.
Dans l’éclatement de l’univers que nous éprouvons, prodige! les morceaux qui s’abattent sont vivants.
Ma toute terre, comme un oiseau changé en fruit dans un arbre éternel, je suis à toi.
Ce que vos hivers nous demandent, c’est d’enlever-dans les airs ce qui ne serait sans cela que limaille et souffre-douleur. Ce que vos hivers nous demandent, c’est de préluder pour vous
à la saveur : une saveur égale à celle que chante sous sa rondeur ailée la civilisation du fruit.
Ce qui me console, lorsque je serai mort, c’est que je serai là — disloqué, hideux — pour me voir poème.
Il ne faut pas que ma lyre me devine, que mon vers se trouve ce que j’aurais pu écrire.
Le merveilleux chez cet être : toute source, en lui, donne le jour à un ruisseau. Avec le moindre de ses dons descend une averse de colombes.
Dans nos jardins se préparent des forêts.
Les oiseaux libres ne souffrent pas qu’on les regarde. Demeurons obscurs, renonçons à nous, près d’eux.
O survie encore, toujours meilleure!
René Char

MODIGLIANI – JEANNE HALBUQUERQUE
COMPLAINTE DU LEZARD AMOUREUX RENE CHAR
N’égraine pas le tournesol,
Tes cyprès auraient de la peine,
Chardonneret, reprends ton vol
Et reviens à ton nid de laine.
Tu n’es pas un caillou du ciel
Pour que le vent te tienne quitte.
Oiseau rural ; l’arc-en-ciel
S’unifie dans la marguerite.
L’homme fusille, cache-toi;
Le tournesol est son complice.
Seules les herbes sont pour toi,
Les herbes des champs qui se plissent.
Le serpent ne te connaît pas.
Et la sauterelle est bougonne;
La taupe, elle, n’y voit pas;
Le papillon ne hait personne.
Il est midi, chardonneret.
Attarde-toi, va, sans danger :
L’homme est rentré dans sa famille!
L’écho de ce pays est sûr.
J’observe, je suis bon prophète;
Je vois tout de mon petit mur,
Même tituber la chouette.
Qui, mieux qu’un lézard amoureux,
Peut dire les secrets terrestres? Ô léger gentil roi des cieux.
Que n’as-tu ton nid dans ma pierre !
René Char
Poèmes d’amour

HOMME-OISEAU MORT ET BISON MOURANT
PAR RENE CHAR
Long corps qui eut l’enthousiasme exigeant,
A présent perpendiculaire à la
Brute blessée.
O tué sans entrailles!
Tué par celle qui fut tout et, réconciliée, se meurt;
Lui, danseur d’abîme, esprit, toujours à naître,
Oiseau et fruit pervers des magies cruellement sauvé.
René Char

Pioche! enjoignait la virole.
Saigne! répétait le couteau.
Et l’on m’arrachait la mémoire,
On martyrisait mon chaos.
Ceux qui m’avaient aimé,
Puis détesté, puis oublié.
Se penchaient à nouveau sur moi.
Certains pleuraient, d’autres étaient contents.
Soeur froide, herbe de l’hiver.
En marchant, je t’ai vue grandir.
Plus haute que mes ennemis,
Plus verte que mes souvenirs.
René Char

DANS LA MARCHE PAR RENE CHAR
Ces incessantes et phosphorescentes traînées de la mort sur soi que nous lisons dans les yeux de ceux qui nous aiment, sans désirer les leur dissimuler.
Faut-il distinguer entre une mort hideuse et une mort préparée de la main des génies? Entre une mort à visage de bête et une mort à visage de mort?
*
n Nous ne pouvons vivre que dans l’entrouvert, exactement sur la ligne hermétique de partage de l’ombre et de la lumière. Mais nous sommes irrésistiblement jetés en avant.
Toute notre personne prête aide et vertige à cette poussée.
*
La poésie est à la fois parole et provocation silencieuse, désespérée de notre être-exigeant pour la venue d’une réalité qui sera sans concurrente.
Imputrescible celle-là. Impérissable, non; car elle court les dangers de tous. Mais la seule qui visiblement triomphe de la mort matérielle. Telle est la Beauté, la
Beauté hauturière, apparue dès les premiers temps de notre coeur, tantôt dérisoirement conscient, tantôt lumineusement averti.
• Ce qui gonfle ma sympathie, ce que j’aime, me cause bientôt presque autant de souffrance que ce dont je me détourne, en résistant, dans le mystère de mon cœur :
apprêts voilés d’une larme.
La seule signature au bas de la vie blanche, c’est la poésie qui la dessine. Et toujours entre notre cœur éclaté et la cascade apparue.
Pour l’aurore, la disgrâce c’est le jour qui va venir; pour le crépuscule c’est la nuit qui engloutit. Il se trouva jadis des gens d’aurore. À cette heure de tombée,
peut-être, nous voici. Mais pourquoi huppés comme des alouettes?
René Char

Les civilisations sont des graisses.
L’Histoire échoue,
Dieu faute de
Dieu n’enjambe plus nos murs soupçonneux, l’homme feule à l’oreille de l’homme, le
Temps se fourvoie, la fission est en cours.
Quoi encore ?
La science ne peut fournir à l’homme dévasté qu’un phare aveugle, une arme de détresse, des outils sans légende.
Au plus dément : le sifflet de manœuvres.
Ceux qui ont installé l’éternel compensateur, comme finalité triomphale du temporel, n’étaient que des geôliers de passage.
Ils n’avaient pas surpris la nature tragique, intervallaire, saccageuse, comme en suspens, des humains.
Lumière pourrissante, l’obscurité ne serait pas la pire condition.
Il n’y avait qu’une demi-liberté.
Tel était l’octroi extrême.
Demi-liberté pour l’homme en mouvement.
Demi-liberté pour l’insecte qui dort et attend dans la chrysalide.
Fantôme, tout juste souvenir, la liberté dans l’émeute.
La liberté était au sommet d’une masse d’obéissances dissimulées et de conventions acceptées sous les traits d’un leurre irréprochable.
La liberté se trouve dans le cœur de celui qui n’a cessé de la vouloir, de la rêver, l’a obtenue contre le crime.
René Char

Regarder la nuit battue à mort; continuer à nous suffire en elle.
Dans la nuit, le poète, le drame et la nature ne font qu’un, mais en montée et s’aspirant.
La nuit porte nourriture, le soleil affine la partie nourrie.
Dans la nuit se tiennent nos apprentissages en état de servir à d’autres, après nous. Fertile est la fraîcheur de cette gardienne!
L’infini attaque mais un nuage sauve.
La nuit s’affilie à n’importe quelle instance de la vie disposée à finir en printemps, à voler par tempête.
La nuit se colore de rouille quand elle consent à nous entrouvrir les grilles de ses jardins.
Au regard de la nuit vivante, le rêve n’est parfois qu’un lichen spectral.
Il ne fallait pas embraser le cœur de la nuit. Il fallait que l’obscur fui maître où se cisèle la rosée du matin.
La nuit ne succède qu’à elle. Le beffroi solaire n’est qu’une tolérance intéressée de la nuit.
La reconduction de notre mystère, c’est la nuit qui en prend soin : la toilette des élus, c’est la nuit qui l’exécute.
La nuit déniaise notre passé d’homme, incline sa psyché devant le présent, met de l’indécision dans notre avenir.
Je m’emplirai d’une terre céleste.
Nuit plénière où le rêve malgracieux ne clignote plus, garde-moi vivant ce que j’aime.
René Char

Combien confondent révolte et humeur, filiation et inflorescence du sentiment.
Mais aussitôt que la vérité trouve un ennemi à sa taille, elle dépose l’armure de l’ubiquité et se bat avec les ressources mêmes de sa condition. Elle est indicible
la sensation de cette profondeur qui se volatilise en se concrétisant.
René Char, Feuillets d’Hypnos 189

Nous nous sommes soudain trop approchés de quelque chose dont on nous tenait à une distance mystérieusement favorable et mesurée.
Depuis lors, c’est le rangement.
Notre appui-tête a disparu.
Il est insupportable de se sentir part solidaire et impuissante d’une beauté en train de mourir par la faute d’autrui.
Solidaire dans sa poitrine et impuissant dans le mouvement de son esprit.
Si ce que je te montre et ce que je te donne te semblent moindres que ce que je te cache, ma balance est pauvre, ma glane est sans vertu.
Tu es reposoir d’obscurité sur ma face trop offerte, poème.
Ma splendeur et ma souffrance se sont glissées entre les deux.
Jeter bas l’existence laidement accumulée et retrouver le regard qui l’aima assez à son début pour en étaler le fondement.
Ce qui me reste à vivre est dans cet assaut, dans ce frisson.
René Char
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