La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Je vis …tout un calendrier au fond de ma mémoire, qui culbute le temps et se fait dérisoire Je vis …un assaisonnement à l ‘entrée de l’oreille, qui picore mon tympan et pénètre quand même je vis … un peu comme on trimbale une envie de pisser, le long des pissotières, et qu’on ne pisse pas Je vis … une enfance larguée sous le projecteur tendre d’un soleil inventé qui brûle au dedans Je vis… en sachant que des hommes vivent comme moi avec cette rage au ventre et les yeux qui se ferment Je vis… me sachant observé et n’observant plus rien Je vis… des choses vraiment obscènes des trucs dégueulasses des merdes familières et qui se normalisent Je vis… dans votre crasse ambiante faite en raison majeure contre les minorités qui empêchent les rots Je vis… dedans des deux chevaux des parcours célestes moteur dans le cerveau et flics au réveil Je vis… des impuissances dingues dans des villes séniles où je chante toujours mes rations d’utopie Je vis… en chantant des chansons maladives et saumâtres pour des publics d’élite qui se comptent toujours Je vis… me sachant observé et n’observant plus rien
Au bord de ce qui s’espère, que de pluie déborde, emportant au torrent l’embarcadère
Les plots ignoreraient-ils les cordes qui libèrent par leur pouvoir d’attache ?
Qui n’a pas son chemin de croix au travers de l’oliveraie échappe au sens intrinsèque de la verticalité d’un simple glissement des yeux
Tellement sûr de son amour qu’elle tend sa joue pour amortir le coup
Devant le rétrécissement de l’air l’oiseau lui-même doit sortir la godille et venir à la fenêtre accrocher le drapeau d’un exemple de vie sans retenir l’esprit dilué d’un système informatique propre à dissoudre
Dans le respect de toute croyance et l’énoncé de ma laïcité je ne retiens du voile que le moyen de locomotion par traversée
Je salue les pierres à écrire bordées des charpentes de ma première ardoise où la craie à musique a posé tes initiales avant de me permettre de te rencontrer
Je fais de toi ma dernière chanson.
Niala-Loisobleu – 17 Octobre 2019
René Guy Cadou – A chaque vie d’être vécue (1951)
Devant cet arbre immense et calme
Tellement sûr de son amour
Devant cet homme qui regarde
Ses mains voltiger tout autour
De sa maison et de sa femme
Devant la mer et ses calèches
Devant le ciel épaule nue
Devant le mur devant l’affiche
Devant cette tombe encor fraîche
Devant tous ceux qui se réveillent
Devant tous ceux qui vont mourir
Devant la porte grande ouverte
A la lumière et à la peur
Devant Dieu et devant les hommes
A chaque vie d’être vécue.
L’orage roule à tomber des paquets de mer assez forts pour noyer ce qui reste de grands moments d’amour de ce temps. Hélène et René Guy Cadou sur mon échelle je crois vous voir tout en ô. A l’image de la grandeur qui s’efface vous êtes vivants. Le moins qu’on puisse dire c’est que la vie n’a pas été à la hauteur de votre amour. C’est ça la grandeur. Rien du cinéma Dali, ni de la chanson tournée d’Elsa et de Louis, mais d’une autre manière avec les douleurs d’Eluard. Bretagne battue au sang, Hélène, le large dans les yeux tu l’as mis en Brocéliande et à longueur de landes votre amour absolu.
Au regard d’Hélène je suis pris d’un sentiment à me transpercer, il y a la pierre bâtie du premier jour au dernier, un Roman au tympan sur ses colonnes qui retourne toujours à sa promesse, comme l’estran que rien n’arrête.
Niala-Loisobleu – 15 Octobre 2019
Biographie
Les parents d’Hélène Laurent sont instituteurs, comme ceux de René Guy Cadou, qu’ils connaissent.
Elle nait à Mesquer le ; la famille s’installe à Pornichet en 1925, et à Nantes à partir de 1929. Elle fait ses études secondaires au lycée Gabriel-Guist’hau, puis poursuit des études de lettres et philosophie. La tuberculose, contractée dès 1938, perturbe ses études. Elle s’intéresse à la poésie, lit Brancardiers de l’aube de René Guy Cadou à leur parution en 1937, et participe en 1943 avec un petit groupe d’étudiants à l’édition d’un recueil, Sillages, sous la houlette de Julien Lanoë : elle y écrit sous le pseudonyme de Claire Jordanne3. C’est en allant avec ce petit groupe d’amis rencontrer le jeune poète pour lui demander le parrainage du recueil qu’elle fait la connaissance de René Guy Cadou, le , sur le quai de la gare de ClissonN 1. Dès le lendemain, une correspondance littéraire et amoureuse s’établit entre eux, rapidement suivie de nouvelles rencontres et de longues fiançailles. Elle passe quelques mois de l’hiver 1943-1944 à Bordeaux, où sa sœur Jeanne vient d’être nommée professeur de philosophie. René Guy Cadou vient la voir : on trouve la trace de ces trois jours de ferveur amoureuse dans l’œuvre de Cadou (« Lormont », et « Rue du Sang » in La Vie rêvée). Ils se marient le , alors que René Guy est devenu à la rentrée 1945 instituteur titulaire à Louisfert, près de Châteaubriant. Ils vivent dans la maison d’école du village. L’été, ils font quelques voyages : à Paris chez Michel Manoll, à Orléans chez le peintre Roger Toulouse, à Saint-Benoît-sur-Loire sur la tombe de Max Jacob, dans le Puy de Dôme. Elle participe intensément à la vie d’amitiés et de correspondances poétiques de René Guy Cadou, notamment avec les amis de l’école de Rochefort : Yanette Delétang-Tardif, Michel Manoll, Jean Rousselot, Jean Bouhier, Luc Bérimont, Marcel Béalu, Lucien Becker, le peintre Pierre Penon, entre autres. Elle écrit peu durant cette période (« Trois poèmes d’Hélène », P.A.B. (Pierre-André Benoit) Alès, 1949, 49 ex. HC).
Après la mort de son époux, le , elle quitte Louisfert pour exercer le métier de bibliothécaire à Orléans jusqu’en 1987, où elle est accueillie par des amis de René Guy Cadou, notamment, le maire, Roger Secrétain, le conservateur de la bibliothèque Georges Bataille et le peintre Roger Toulouse dont elle reprend d’ailleurs l’atelier du quai Saint Laurent pour y résider de 1952 à 1954. Elle travaille avec Georges Bataille jusqu’à la mort de celui-ci en 1962, puis avec François Hauchecorne qui lui succède, et devient conservateur.
Elle développe à Orléans une activité culturelle intense, notamment en tant que présidente du Centre d’action culturelle d’Orléans et du Loiret, puis de la Maison de la culture (MCO – Carré Saint-Vincent) de 1967 à 1975. Elle collabore notamment pour ce projet avec Louis Guilloux. Elle est nommée Chevalier dans l’ordre du Mérite en 1975, et reçoit le Prix Verlaine en 1990.
Elle écrit à Orléans une grande partie de son œuvre poétique : ses deux premiers recueils paraissent chez Seghers en 1956 et 1958, mais c’est à partir de 1977 que paraît l’essentiel de son œuvre, chez Rougerie et chez Jacques Brémond : 23 recueils entre 1977 et 2003. Elle termine les études de philosophie qu’elle avait dû interrompre en 1944 pour des raisons de santé, et soutient pour sa maîtrise un mémoire intitulé « Méditation sur le thème de la mort dans “Poésie la vie entière” de René Guy Cadou ». Elle prend sa retraite en 1987, ce qui lui permet de consacrer beaucoup de temps, outre sa propre écriture, à la popularisation de l’œuvre de René Guy Cadou en intervenant dans de nombreux lieux à travers la France, souvent avec les chanteurs qui ont interprété la poésie de René (Martine Caplanne, Éric Hollande). Elle revient habiter Nantes en 1993, pour y créer avec l’aide de la Ville et dans des locaux prêtés par elle dans l’immeuble de la Médiathèque le « Centre René-Guy-Cadou ».
« La Demeure René-Guy-Cadou » à Louisfert photographiée en 2011.
Jusqu’en 2008, elle partage son temps, entre l’école de Louisfert, l’été, et Nantes, l’hiver. L’école de Louisfert est devenue « La Demeure René-Guy-Cadou », musée maison d’écrivain, pour laquelle elle avait entrepris des démarches auprès de la commune de Louisfert jusqu’à obtenir l’accord de la municipalité pour en faire un lieu de mémoire du poète ; elle en a été la conservatrice. La Demeure, propriété de la commune de Louisfert, est gérée par la communauté de communes du Castelbriantais et une association de gestionN 2. À Nantes, le fonds René-Guy-Cadou est géré par la bibliothèque municipale de Nantes. Hélène Cadou a fait don de l’ensemble des manuscrits et correspondances de René Guy Cadou à la ville de Nantes. Ses propres manuscrits y sont aussi déposés.
Benoît Auffret, thèse de doctorat « Mort et vie en poésie : l’expérience poétique d’Hélène Cadou »5
Benoît Auffret, Hélène Cadou « La Signature d’une herbe : Hélène Cadou poète », l’Harmattan 2001 (texte remanié de la thèse de doctorat)6
Un numéro spécial de la revue À contre-silence lui est consacré en 1990, ainsi que le numéro 12-13 de la revue « Signes : René Guy et Hélène Cadou » (éditions du Petit véhicule, Nantes) et « Itinérances (Hélène et René Guy Cadou) » (conseil général de la Loire-Atlantique)
Sous le signe d’Hélène Cadou, 2010, éditions du Traict. Ce livre, conçu par Christian Renaut, est placé sous le signe de l’amitié et de la poésie ; il réunit des écrivains, poètes, chanteurs, artistes et amis d’Hélène Cadou, « une des plus belles voix poétiques de notre époque »7
Article dans le Dictionnaire des Écrivains Bretons du xxe siècle (direction de Marc Gontard, Presses Universitaires de Rennes, 2002)
Avons-nous vieilli selon nos désirs ?
Sommes-nous plus beaux que notre jeunesse ?
Avons-nous choisi la vie que l’on mène ?
Dormons-nous le soir sur nos deux oreilles ?
Sommes-nous fidèles à nos utopies ?
Avons-nous gardé nos jardins secrets ?
Reconnaissons-nous nos vieilles erreurs ?
Chantons-nous les mêmes chansons qu’autrefois ?
Être fidèle, à son poids d’hirondelle
Être la sentinelle, à chaque nuit nouvelle
Rester sensible à ce monde terrible
Être encore accessible à des amours possibles
Avons-nous gagné nos châteaux d’Espagne ?
Pleurons-nous encore pleurons-nous souvent ?
Avons-nous gardé des doutes amers
Sur l’amour des autres des dieux incertains ?
Cherchons-nous encore le soleil des hommes ?
Avons-nous la haine de l’indifférence ?
Avons-nous le poids de nos idées folles ?
Sommes-nous encore debout dans la nuit ?
Être fidèle, à son poids d’hirondelle
Être la sentinelle, à chaque nuit nouvelle
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.