
ETOUFFEMENT
J’ai cherché la mer pour rafraîchir mes idées
rien trouvé sous le buvard remis en place
tout est brûlé de chaleur qui asphyxie
Becker
est venu seul me tenir compagnie
je me range
Rien à vivre…
.
Niala-Loisobleu.
3 Septembre 2023

ETOUFFEMENT
J’ai cherché la mer pour rafraîchir mes idées
rien trouvé sous le buvard remis en place
tout est brûlé de chaleur qui asphyxie
Becker
est venu seul me tenir compagnie
je me range
Rien à vivre…
.
Niala-Loisobleu.
3 Septembre 2023

ME REPRENDRE A JUSTE TITRE
POUR SIGNER A MA FENÊTRE
De cette saison qui s’achève sans avoir montré d’elle que d’hétéroclites images sans rapport autre qu’un penchant pour la mort, je me place face à la porte de l’automne. L’esprit tout enfoncé au symbole. Conscient d’un nécessaire changement de renaissance, non pour refaire le monde, mais en sauver la nature pour moi-même et revenir aux fondamentaux
Des Marguerite en brasse
et du vain répandu
Becker avance sa clairvoyance et délivre
La fenêtre est tendre comme un couteau
Le miroir est profond d’épaules noires
on voit des pieds nus sous le rideau
et la route est très loin dans le mur
la tête coupée
est sur le lit
Je me rappelle ou je rêve
que ton front est comme ces belles journées
où il n’y a pas un signe de mort
où la lumière se rassemble sur les sources
le pont monte de l’herbe
et fait une grande blessure au-dessus de l’eau
le dormeur est toujours couvert
de ses paupières collées
comme des fruits privés d’air
les ombres sortent et laissent longtemps
leurs tempes contre les murs.
Lucien Becker
Ainsi du dessin naîtra la peinture, chair fraîche de la couleur de soie qui racine l’arbre, du cheval qui va au labour sans regarder d’abord l’âge et de l’oiseau qui du vent aspire la poussée sans chercher de renfort
L’enfant du mordant de Marthe et de l’Art de Louis
qui joint les seins pleins aux creux des mains et poile pour empêcher l’appeau de s’exhiber
Des maisons sur le pore la mère pour horizon
sans masque
le fruit mis aux claies pour le goût d’apprendre à éradiquer l’intolérance dans tous ses exercices.
Niala- Loisobleu – 28 Août 2021

« TERRE Ô »
NIALA
2021
ACRYLIQUE S/TOILE 46X38
Le vent frappe les herbes comme une monture qui doit gagner les ruisseaux à marches forcées.
Aucun vivant ne peut se soustraire à la mort qui l’enferme dans sa toile de rues et de veines.
Il est vain de courir la terre d’île en île, de continent en continent, de ville en ville, puisque toute l’histoire de l’être se passe d’une tempe à un poignet battant d’un
seul sang.
Le soleil ne sait rien de la peine de l’homme
sur lequel par hasard il jette une lueur
qui l’enfièvre un instant de tout l’amour d’un monde
auquel il ne tient que par un filet d’air.
Malgré sa belle architecture de lumière, le jour n’est rien qu’un morceau de papier dans la nuit où les lampes veillent de très hautes bâtisses n’ayant pour défaut
que le trou d’une serrure.
Pour répondre au franc sourire de la clarté, il reste la source et ses prunelles de gravier, il reste un tesson de bouteille qui regarde l’espace entier à travers un buisson
d’orties.
II
Tout est si calme et si fragile dans le village qu’il suffirait sans doute d’un éclat de voix pour que se fendent certaines tuiles des toits et pour que naisse l’unique enfant de
l’année.
La forêt n’ose pas s’avancer vers les blés de peur de briser une seule de leurs tiges et chaque épi tient à venir à la rencontre des champs rêvant de jour et de
nuit sous la luzerne.
Les fleurs essaient de garder un peu de soleil pour que le soir ne soit pas tout à fait obscur et les oiseaux dont l’ombre courait sur le sol se posent sur le premier arbre
retrouvé.
Le pont qui veut peser sans heurt sur la rivière n’est qu’un petit tas de pierres pour le chemin jouant avec la distance à la façon d’un chat dont la proie se tue
d’elle-même dans ses griffes.
La plaine s’élargit en bousculant les routes de toute la force de plusieurs millions d’herbes qui font de chaque source une clairière où le monde sauve le plus de jour qu’il
peut.
III
On gagne en hâte l’été pour ne plus voir la ville que les vitres font briller comme une armure et où les maisons dominent de leur stature l’homme dont rues et chambres
comptent les pas.
Il suffit d’un coteau pour courber l’horizon, d’un peu d’eau pour que des yeux regardent dans l’herbe, d’un coup de vent pour que les plus larges forêts prennent peur au bord du paysage
resté calme.
Le raisin qui mûrit au beau milieu des guêpes n’est plus rien qu’un orage griffé par la foudre et la gerbe qui se délie pour la batteuse ne sait pas que l’été va
finir avec elle.
On cherche en vain le poids d’une abeille mourant
tôt le matin en pleine fête de rosée
et il faudrait bâtir des greniers jusqu’au ciel
pour garder les fruits donnant naissance au printemps.
IV
Le destin du soir se joue dans le fond d’un verre où se reforme le couchant tombé des toits.
Des hommes qui doivent mourir avant demain le garderont comme un signet sous leurs paupières.
Un rayon presque chaud rend vivante une armoire qui n’a aucune chance de franchir la pièce parce que, lourde des bois où elle a vécu, elle ne peut aller bien loin sur le
palier.
Les maisons ont l’air de se serrer, plus secrètes au-dessus de leurs dormeurs, au-dessus des tables où du reflux du jour ne reste qu’une assiette comme un abîme ouvert à
l’aplomb de la nuit.
Le soleil voudrait ne pas quitter une feuille que la terre avare retient comme un peu d’or, mais très loin un miroir ou peut-être un carreau lui ordonne de s’en aller par-delà
les arbres.
C’est l’heure où la ville se sépare des rues dans le bruit de la dernière porte fermée, où le village éprouve un moment de bonheur parce que ses fumées vont
très haut dans le ciel.
V
L’oiseau perd son chemin pour avoir pris en chasse un peu de soleil trouvé dormant sur un toit et qui s’est soudain rétracté par-dessus les champs comme s’il n’était que la
branche d’un éventail.
On découvrira ses plumes le long d’un bois contre lequel il s’est jeté, déçu de voir si proches la prairie et l’immense forge des blés et si lointain l’horizon
couronnant la terre.
Il y a des rameaux qui s’échappent des arbres pour remettre au couchant tous les fruits de l’été.
II y a des moissons qui vont en plein village mourir, épis trop lourds, au pied des fontaines.
Le soir s’enfonce de plus en plus dans la campagne où l’on entend mieux le bruit que fait une taupe
devenue sans le vouloir le pouls de la plaine
loin de la ville, réduite à quelques terriers de clarté.
VI
La terre veut voir de quel côté vont les hommes qui somnolent en plein midi contre ses flancs le corps allongé en travers des céréales où fermes et clochers
coulent sans un regard.
L’arbre de la route ne cache pas son plaisir d’avoir quitté la grande cité des forêts où, jeune plant, il a vécu plusieurs années sans savoir que le monde a pour
source le ciel.
Il est le premier à faire signe au village
pour qu’il éveille le matin tuile par tuile
et, quand le soleil est sur le point de se coucher,
il se met sans raison à briller comme un lustre.
Un oiseau s’élance par moment de sa cime ainsi qu’un bouquet de feuilles vivantes qui reprendra bientôt sa place sur les branches pour se fermer le soir comme un simple
bourgeon.
Près des murs qui se retiennent de respirer, la nuit se concerte pour traverser des vitres où viennent aboutir comme des rails perdus les dernières lueurs qui dévalent du
jour.
VII
La forêt compte une à une les gouttes de pluie d’une voix qui à la longue endort les oiseaux.
Pourtant il lui arrive d’applaudir le vent qui a insisté pour qu’elle danse avec lui.
La verdure va d’arbre en arbre jusqu’aux routes contre quoi elle s’écrase, herbe mutilée où souvent une abeille épinglée de fraîcheur demande au soleil de lui
rapprendre à voler.
La pluie bourdonne longtemps d’un village à l’autre sur ses hautes et fragiles pattes d’insecte pour trébucher ensuite dans l’espace clair sans laisser d’autres traces qu’un peu de
rosée.
Le ruisseau donne le même coup d’épaule au pont
pour rejeter au fond des graminées rieuses
un chemin qui s’arrête à perte de vue
près d’une ferme où le soir est plus large qu’ailleurs.
VIII
Voulant parler au soleil auquel tout l’unit et qui se tient là-bas comme en haut d’une rampe, la moisson cherche en vain les mots que ses épis ne savent dire qu’au vent lorsqu’il les
renverse.
Dans le silence autour duquel les pierres montent comme un puits, seul bat le cœur trop grand d’une ville où se lèvent à la même heure cent mille hommes se ressemblant
pour une fois comme des frères.
Le jour commence à sortir avec pour reflet celui de leur sang qui se tord à peine aux tempes ou qui éclaire si mal l’herbier du poignet quand le soleil débouche des chemins
vicinaux.
Le matin surgit d’entre les buissons sachant que rien ne peut le cacher à mes yeux trop pauvres si ce n’est l’ombre que ma main fait sur le ciel ou celle d’un arbre coupant le monde en
deux.
IX
Le soleil ne cesse de dévaler le long des rails en avant du train qui ne le rattrape qu’au soir.
Le soleil relie entre elles les petites gares parmi les bourdons ricochant comme des balles.
Le paysan n’avance plus dans les avoines tant l’espace semble le serrer de toutes parts et quand il tourne son visage vers le ciel il sent qu’il n’est pas seul à regarder la terre.
Lorsqu’il est parvenu au sommet de la colline, il reconnaît dans le lointain quelques fenêtres d’où doit sortir comme d’une source un paysage de vergers trop blancs
abandonnés aux abeilles.
Sa tête vogue sans effort sur les moissons comme un simple bouchon au niveau d’une mer où le village entrevu n’est plus qu’un îlot auquel on n’accède qu’à la marée
basse du soir.
X
Dans l’été qui vacille en touchant les labours, l’oiseau n’entend plus l’appel d’un ruisseau avec alentour le pré veillant sur son nid.
Seul, l’espace est attentif au bruit de son vol.
Mais le bleu du ciel fond brutalement sur lui, l’obligeant sans manière à rejoindre le sol où sur un caillou trouant le jour et les herbes il retrouve le poignet nu de la
campagne.
Deux ou trois insectes quittent d’un trait la terre avec, à chaque aile, presque toute la clarté que contient la forêt, un moment entrebâillée sur la source née
d’une étoile en pleine pierre.
Un rideau fait respirer toute une maison et, lorsque se taisent les enfants de l’école, le silence est si grand partout qu’on se demande si quelqu’un pourra y prendre encore la
parole.
XI
Je m’enfonce très fort les ongles dans la peau pour me rappeler que je suis encore en vie à l’heure où mes doigts craignent de se refermer sur des os prêts à jouer le
jeu de la mort.
Que me reste-t-il de quarante ans de regards, sinon le souvenir de deux ou trois couchants au-dessus de soirs presque sans date ni lieu, de blés marchant la tête haute vers la
nuit?
Le soleil fait semblant de ne pouvoir sortir d’un filet d’eau traversant pierres et chemins ou des yeux d’une amoureuse pour qui se lève le jour irremplaçable d’un visage
d’homme.
Elle avance sans savoir que les murs s’éclairent à l’approche d’un corps aussi bouleversant
que celui d’un navire en route vers la terre, foudre vivante à quoi se brûle l’horizon.
La lumière éparse n’a plus d’autre support
qu’une main tendue venant tout droit de la nuit
et par laquelle ma chair rayonne et s’étend
très loin de ce point trop gris qu’est toujours le cœur.
XII
Un paysan, gerbe parmi les gerbes qu’il dresse, se sent maître des moindres gestes du soleil qu’il force à rester un tant soit peu sur les blés d’où le matin naîtra,
simplement ravivé.
Ils iront au village comme un troupeau sonnant avec, derrière eux, un carré de ciel vide dans lequel s’élèveront bientôt des batteuses dont la voix n’arrive pas, le
soir, à mourir.
La terre s’endort sans crainte entre les racines puisque rivières et vitres veillent pour elle jusqu’au jour où, montant à la cime des arbres, elle reverra tout le printemps
à ses pieds.
Les champs les plus reculés apprennent le nom dont la charrue les appelle, en le répétant, d’un bout à l’autre d’un été sans fin, à l’air qui l’oublie dans la
première ville traversée.
La vallée est vite remplie de nuits trop larges, descellées de temps en temps par de rares lampes, seules à tenir compagnie à la solitude quand les portes cessent de tourner
dans les murs.
XIII
LE ciel est sur les blés qui dorment à midi sans que le vent fasse parler un seul épi.
Rien ne brise leur chaîne si ce n’est la ville dont le front bat le soir à la première lampe.
Quand ils ont fait et refait le tour de leur champ, ils s’arrêtent quelquefois devant une fleur qui se penche avec des grâces de danseuse sur eux, conquérants des chemins durs de
l’été.
Lorsque l’éclair n’est plus qu’une bielle folle
au creux d’un orage que soutient la colline,
ils s’écartent pour faire un nid à l’alouette
qui, dans la pluie, tombe fermée comme un couteau.
Ils vont au-devant des chars tournant dans les chaumes afin qu’on les porte en triomphe jusqu’à la grange.
Nuit et jour, les tuiles vont veiller sur eux, croyant les soustraire à l’appel des batteuses.
Le sentier enfin libre erre toute la nuit, revenant sur ses pas s’il aborde la route qui va vers la ville où il n’y a de couchant que celui fait par les vitres se regardant.
XIV
Les céréales qui montent vers la colline pour la contraindre à s’échouer comme une barque dans l’été sans profondeur se jettent en vain contre la route qui dort
à l’ombre des arbres.
Le jour peut s’enfoncer dans le plus bel orage, devenir d’un seul coup une nuit sans couture, le soleil revient pour rougir les derniers ceps ou pour se mesurer à l’éclair le plus
fort.
Il apprend aux pierres à se laver de grand matin dans la rosée qu’on rencontre au bord des chemins, mais les champs peuvent sans lui se mettre à marcher au pas même du
paysan et de ses chevaux.
Le soir, quand le ciel pèse sur lui comme un pont, il a encore assez de force pour briller en toute hâte dans l’œil d’un oiseau mal caché parmi les fruits que l’on voit
soudain de très près.
XV
Au pied d’un arbre, un dormeur qui n’a pas de nom s’allonge en travers du monde où rien ne remue si ce n’est de temps à autre une touffe d’herbe à la recherche d’un peu d’air
à respirer.
On peut voir les pierres sortir de leur cachette, visages tendus vers l’imprenable clarté qui va et vient d’un épi de blé à l’autre sans jamais se poser en entier sur l’un
d’eux.
L’horizon n’est plus qu’une mince ligne de feu qui vacille lorsqu’on la regarde trop longtemps et d’où la campagne, douce et embrasée, part vers le toit dont, chaque soir, le soleil
tombe.
Hors du village où les murs se sont assoupis, on trouve une route qu’on ne peut pas oublier
quand un jour d’été on l’a suivie, d’arbre en arbre, comme une passerelle jetée sur le monde.
XVI
Le vent fraternel des premiers moments du jour a dû s’arrêter sur la place du village parce que les toits sont de très hautes montagnes dans la nuit qui circule à un
mètre du sol.
Sur la terre, la route est blanche jusqu’au ciel et pas un seul oiseau n’ose s’aventurer dans l’espace où rien ne bouge, tant il fait chaud, sinon, sans motif, une feuille au fond d’un
bois.
Un peu de lumière jetée sur les cailloux
met à nu les articulations du chemin
qui, d’ornière en ornière, conduit à la trouée
d’où le couchant déboule comme une roue perdue.
La campagne se laisse prendre dans la nasse que la forêt pose à la sortie des vallées et les plantes se délassent de leur journée en berçant un insecte
épuisé de soleil.
XVII
Les moissons font un rempart au bord des chemins où ne vont, comme s’ils étaient seuls sur la terre, que les habitants d’un village dont chaque mur est un heu de repos pour
l’été venant des villes.
On ne peut y trouver une pierre de plus qu’à l’âge fort lointain où il voyait le jour,
en se faisant un peu de place au milieu d’arbres qui n’ont point voulu depuis reculer d’un pas.
La source fait mine de jaillir à l’instant même où le soleil a besoin de quelques cailloux sur lesquels il s’appuiera pour la traverser, mais l’eau se brisera d’un coup comme une
vitre.
Un peu de cendre persiste des feux qu’on allume sous les fanes d’où doit monter un printemps toujours aussi propre avec son herbe et ses feuilles, capables de couvrir la surface du
monde.
XVIII
Les blés vont guetter l’homme qui, vers le couchant, mène l’orage sourd d’un troupeau, d’une voix déclinant peu à peu sans jamais disparaître puisqu’à leur tour
ils se parleront jusqu’au matin.
L’homme est sans nouvelles d’un village quitté chaque jour avant que ne partent les étoiles et redécouvert à l’instant où quelques lampes éclairent les murs comme
s’ils étaient en ruines.
Pareil aux ruisseaux talonnés par les nuages dans leur fuite vers le soir, l’automne ou la mer, il court vers une porte encadrée de lumière, l’ouvre et respire, ayant
retrouvé son ombre.
Par la fenêtre, il écoute un instant le bruit que fait un peuplier quand il s’ébat dans l’air, puis le sommeil le couche ainsi qu’une statue sur le haut où sont nés et
morts tous ses ancêtres.
Lucien Becker

Entre le jour et la nuit il y a l’épaisseur d’un carreau dans lequel la lumière se dresse comme autant de hautes fougères.
Au ras du sol, les feuilles les plus lisses se préparent à recevoir le soleil qui va passer de l’une à l’autre en allumant les fanaux de la rosée.
Les sources se contractent de tout leur ventre
à mesure que le matin marche sur elles
et les herbes fumantes d’aube se séparent
pour mieux sentir le poids de chaque éclat de clarté.
Soudain les oiseaux font une pause
parce que leur cœur bat plus fort que leur chant,
les trains sortent de la nuit
comme de la plus grande gare du monde.
Et c’est le jour porté de hauteur en hauteur, renversé dans les lits de la verdure.
Le monde est enfin clair comme une goutte où la lumière tombe, frappée de vertige.
La campagne s’abandonne au premier ruisseau venu.
C’est contre ses berges, c’est par-dessus son eau qu’elle arrondit sa pleine poitrine d’herbes, c’est en lui qu’elle se sent la plus nue.
On passerait sa vie à rester immobile
loin des villages caillés, loin des routes trop sûres,
avec la respiration du jour sur le visage,
avec le bleu du ciel dans la bouche entr’ouverte.
On voudrait mourir ici
avec le soleil soudé aux yeux comme une applique, avec la tête prise dans la grande maille de l’espace, avec au cou le collier des moissons.
Mais je reste tout entier dans la pierre que le silence a jetée du haut du monde, retenu seulement par le fil que mon cœur tend à mon poignet.
Lucien Becker

EROTIC MARKET / BOREDOMS & THE HEARTSTRINGS ENSEMBLE
C’est le pas cadencé sur les dalles éternelles
c’est le cri sans écho vers l’étoile de glace
qui oppresse l’hiver de sa langue de fiel
c’est le cri vissé dans les gorges écarlates
la nuit ses chemins effacés jusqu’à la mer
ses chemins sans poussière ses arbres jusqu’au ciel
ne blanchiront pas du jour des femmes nues
touffes de lune au creux de la lumière
terre brisée de vagues terre sans vol d’oiseaux
le continent de ton cœur bat comme un filet d’eau
tu tournes moins vite autour du piège de ton cœur
pris lui-même dans la soie des étoiles
tu ne fais plus bouger le feuillage de l’espace
depuis que la lumière a courbé tous les soirs
sous ses arches mises sur le monde comme une impasse
à l’étage le plus haut de la terre
l’éventail d’une femme s’ouvre sur un lit
froissé par mille mains urgentes une hanche comme un sillon un soupir retenu des bouches se nouent roulent sur leurs bords avec le son que fait la nuit pour tomber les paroles seules comme
des îles la lumière épuisée fait des bulles dans la nuit une aventure terminée par une part de plaisir toute cette peau gercée de baisers discordants cette
paupière sirupeuse ce regard végétal cette main dissolvante cette mémoire infidèle je me contente de vos tendresses malaisées et vous visages visités de tant
d’audace pure je mérite mieux que vos regards sommaires.
Lucien Becker

Passé le genou où la main se croise
comme une semence qui germe
en soulevant un peu la terre,
je vais vers ton ventre comme vers une ruche endormie.
Plus haut ta peau est si claire
que les jambes en sont nues pour tout le corps
et mon regard s’y use
comme au plus tranchant d’un éclat de soleil.
Au-delà, il y a ta lingerie qui sert à t’offrir
et à colorer mon désir.
Tes cuisses, lisibles de toute leur soie, se desserrent
et je vois la ligne de partage de ta chair.
Géants de la sensation,
mes doigts vont se fermer
sur le seul point du monde
où se carbonisent des hauteurs entières de jour.
Et c’est enfin la pleine rivière que te remonte sans effort, parce que tes seins s y élèvent comme deux cailloux à fleur d’eau.
Dès que tu entres dans ma chambre tu la fais se tourner vers le soleil.
Le front sur toi de la plus faible lueur et c’est tout le ciel qui t’enjambe.
Pour que mes mains puissent te toucher
il faut qu’elles se fraient un passage
à travers les blés dans lesquels tu te tiens,
avec toute une journée de pollen sur la bouche.
Nue, tu te jettes dans ma nudité comme par une fenêtre au-delà de laquelle le monde n’est plus qu’une affiche qui se débat dans le vent.
Tu ne peux pas aller plus loin que mon corps qui est contre toi comme un mur.
Tu fermes les yeux pour mieux suivre les chemins que ma caresse trace sous ta peau.
Le couple que nous formons ne naît bien que dans l’ombre et, nus, nous allons à la conquête des eaux dormantes d’où le désir surgit comme un continent toujours nouveau,
à celle des orages qui tombent en nous, lourds et chauds,
à celle de tous les végétaux dont il nous faut, lèvres à lèvres, briser l’écorce tendue, à celle des fenêtres dans lesquelles ta chair dérive
comme une jetée qui a rompu son point d’attache.
Parce qu’ils sont les yeux de la terre, les carreaux se tournent vers ta gorge qui brille comme un peu de foudre en regagnant les fonds marins de la ville.
Flanc contre flanc, nous descendons tous deux dans les souterrains où l’on perd corps et où les baisers que tu me donnes, que je te donne sont autant de pas que nous faisons l’un dans
l’autre.
Il me faut inventer d’incroyables pièges de chair pour prendre le monde dans un baiser, il me faut abattre les murailles dont tu t’entoures pour que le plaisir puisse te couper en
deux.
C’est alors que l’air est dans ma bouche la racine même de l’espace et des fruits que, pour me laisser passer de ma vie à ta vie, tu te fais arche des épaules aux pieds.
Partout sur les murs, sur les visages
la lumière se dévêt de sa lingerie
et montre son beau ventre de femme
d’où l’ombre tombe comme une fourmilière écrasée.
Car il y a vraiment de quoi vivre sur la terre, mais il faut avoir la force des arbres pour pouvoir repousser le ciel bas que la mort fait peser sur les paupières.
L’espace est pris entre nos regards et nous n’avons que quelques gestes à ébaucher pour qu’il tombe à nos pieds sans faire plus de bruit que la dernière goutte d’eau d’un
orage sur la forêt.
Tu es plus nue sous mes mains que la pluie sur les tuiles, qu’un feuillage dans le matin, que les dents ensoleillant la bouche.
Des insectes s’écrasent en plein vol sous notre peau, mes doigts ne cherchent pas à se protéger de la lumière qui s’élève du fond de tes yeux pour faire se lever
dans les miens un jour insoutenable.
Le reste de notre vie se fige autour de nous en hautes statues qui ne peuvent entrer dans le cercle de silence et de joie qui nous serre aux reins.
Enlacés par l’herbe que l’air fait monter jusqu’à nos lèvres,
nous oublions dans notre chambre les paysages
qui venaient vers nous au pas de la terre,
les beaux paysages qui nous prenaient pour des statues.
Vagues s’en allant à la rencontre l’une de l’autre, nos corps n’ont que la flaque des draps pour apprendre que l’amour est une montagne qui s’élève à chaque coup de
reins.
Nous n’avons que nos bras et nos jambes pour serrer un instant les forêts qu’un éclat de soleil enfonce dans notre chair et fait flamber jusqu’au dernier arbre.
Nos dernières paroles se sont arrêtées loin de nous, enfin coupées de leur tronc de sang.
Nous entrons seuls dans un monde ouvert sur nos visages comme sur son propre noyau.
J e cherche dans ta bouche la source du fleuve souterrain qui te parcourt en rejetant en haut des cuisses son écume de plante fraîchement coupée.
Quand tu écrases ton ventre contre moi,
quand mes doigts aiguisent ta gorge,
tu as des mots doux comme la salive,
des mots qui auraient poussé après un orage.
De ton corps je fais un pont
qui me conduit dans un monde
où nos dents se cognent contre le même verre d’air,
où nos regards à force d’être proches font la nuit entre eux.
Je ne vis plus au jour le jour puisque tes baisers font partie de mon avenir et nous allons jusqu’au bout de la lueur que la foudre trace en remontant nos veines.
Il me suffit de quelques gestes pour retrouver, enfouie sous ta peau, la plante nue que tu es et, vacillant de tout le soleil conquis par les ruisseaux, tu entres dans la nuit avec le jour
devant toi.
Je n’ai qu’à toucher la pointe de tes seins
pour que soient soudain rompues les mille écluses
qui retiennent entre nous un poids d’eau égal à celui de la mer,
pour que toutes les lumières s’allument en nous.
Et quand dans la clarté du drap,
tu n’es plus qu’un éventail de chair,
j’ai hâte de le faire se refermer sur mon corps
par une caresse que je jette en toi comme une pierre.
En te renversant sur le
Ut,
tu donnes à la clarté la forme même de tes seins
et le jour use toute sa lumière
à vouloir ouvrir tes genoux.
Tu prends ta source dans le miroir qui coule du mur, tu as du soleil jusqu’au fond de la gorge, tu es neuve comme une goutte de rosée que personne n’a vue, que personne n’a bue.
Tu as le cou fragile de ces oiseaux
qu’on voit rarement se poser sur la terre
et quand tu es dans la rue le regard des hommes
monte autour de toi comme une marée.
Derrière tes dents, ta chair commence avec ses aubépines de fièvre et de sang.
Tu sais qu’elle est une prison dont mon désir te délivre.
La caresse fait son bruit de poumon en cherchant dans tes cuisses le papillon qui s’y est posé, presque fermé en toi de ses ailes.
Avec l’aveuglement d’une taupe, tu creuses l’air de tes seins.
Autour d’eux mes mains s’élèvent comme une montagne coupée en deux.
Tu m’accueilles dans un pays au centre duquel ton corps se dresse comme un feu de joie, simplement posé sur la fraîcheur de tes lèvres au point où l’espace se jette en
toi.
Tu es l’impasse vers laquelle j’accours
avec la force des marées,
avec la liberté des moissons
qu’un coup de faux sépare du soleil.
Nous ne parlons pas de l’amour qui nous lie
parce qu’il est entre nous comme une bouteille sur une table
et qu’il court de mes doigts à tes doigts
avec la vitesse de l’éclair.
Si je veux t’aimer sans rien perdre de ta clarté,
je suis contraint de m’enfermer avec toi dans les pierres.
Le jour écarte de temps en temps les rideaux,
tache ton épaule et retombe dans la rue.
Le silence même est fait de minéral et prend la forme des chambres qui le contiennent.
Pour qu’il n’y entre point, c’est mille armoires qu’il aurait fallu pousser contre les portes.
Notre nuit est imperméable et nos corps, se suffisant de l’air contenu dans un baiser, descendent jusqu’aux racines de l’arbre qui a nos têtes pour sommet.
En plein front, en plein flanc,
j’entends les pas que mon sang fait
pour s’avancer de sommet en sommet
jusqu’à celui dont il me faut dominer ton corps.
Je lui en veux de me tenir enfermé dans un visage avec lequel je reste si seul lorsque mes épaules n’ont plus le tien à porter et que je te cherche en vain dans les
miroirs.
C’est pourtant par lui que je t’ai reconnue dans la rue
dans un moment qui reste comme une source en pleine mémoire.
C’est lui qui me permet à chaque instant
de reconnaître ma vérité dans tes yeux.
Tu ouvres la nuit la plus pleine
de la pointe de tes seins.
Tu viens vers moi dans le tournoiement d’une ville
qui ne s’éclaire plus qu’à la clarté du désir.
Je ne saurai jamais la distance à parcourir entre la lampe sourde de ton ventre et mon corps.
Je sais que je te rejoins dans un baiser qui ne laisse point passer le jour.
Sous ma main ensablée dans les caresses, il reste les hauteurs de ta gorge, vers lesquelles j’avance, la bouche pleine de soleil.
A force d’avoir mon visage contre ton visage, j’oublie que le monde commence au-delà de ton regard.
A jeter l’un dans l’autre nos plus sûrs filets, nous ramenons tous les poissons de la joie.
.Le soleil se couche dans les flaques pour rester plus longtemps sur la terre.
Tu ne peux plus t’en aller de ma chambre parce que je suis debout sur tes derniers pas.
J’essaie de conquérir
l’insecte que tu respires.
Mais il s’échappe de mes lèvres
pour aller se poser sur mon sang.
Tu ne peux plus sortir du filet que mes mains tendent sur toi, tu es au centre de l’étoile de mes pas, tu es l’unique réponse de ma vie.
A nos regards pris dans la même pierre de présence,
le monde arrive par une fenêtre
où nous nous penchons parfois
de nos corps, hauts comme des promontoires.
La ville est au pied de la chambre où tu te tiens
avec pour horizon celui de tes épaules
et nous touchons jusqu’en son fond
le vivier de feu qui donne sa mesure à l’été.
Tu te refermes sans cesse sur moi
comme deux vagues sur un rocher
et nous n’avons qu’à nous laisser porter par la
qui s’étend très loin autour de nos visages.
Perdus dans un pays de chair et de caresses, nous vivons les quelques miniers d’années dont notre amour a besoin pour que naisse une étreinte de chaque goutte de notre sang.
Je suis prisonnier de ton visage
à la façon dont un mur l’est du miroir.
Pesé par ton regard,
le monde perd son poids de pierres.
Le chant de ton sang sous la peau est aussi doux à entendre que celui des graminées poursuivies par le vent.
Je sais que la mort ne peut rien me faire tant que tu restes entre elle et moi, tant que s’allume dans ta chair le ver luisant du plaisir.
Le couchant tournoie sur chacun de tes ongles
avant d’aller grossir la terre d’une dernière montagne de clarté
….
et je peux voir a ton poignet les pas
que ta vie fait pour venir jusqu’à moi.
Au -delà de mes mains refermées sur toi, au-delà de ce baiser qui nous dénude, au-delà du dernier mot que tu viens de dire, il y a le désir que nous tenons vivant
contre nous.
Il y a la vie des autres qui remonte de la ville sans pouvoir aller plus loin que la porte derrière laquelle les murs écoutent à notre place le bruit que le cœur des hommes
fait dans la rue.
Tu dépasses les herbes
de quelques hauteurs de soleil.
Je te sens à peine bien que je sois sur toi
comme sur la pointe la plus aiguë d’une montagne.
Tu es entière contre chacune de mes mains, tu es entière sous mes paupières,
tu es entière de mes pieds à ma tête, tu es seule entre le monde et moi.
Le soleil reste sur ta bouche à la place où miroite encore un baiser.
Ton visage lui appartient mais il me le rend pour des nuits plus longues que ma vie.
Ton corps pour lequel je m’éveille s’éclaire plus vite que le jour parce que le soleil surgit à toutes les places où il y a des cailloux à pétrir.
Les forêts se dénudent pour lui dans le secret de leurs clairières mais c’est sur ta gorge qu’il fait pousser ses plus beaux fruits.
La terre lui présente une à une
ses vallées les plus riches,
mais c’est sur ton ventre qu’il s’arrête,
simple bouquet de flammes.
Le toit des villages est posé sur la terre et les prés fuient de toutes parts autour des murs blancs qui avancent d’une maison par siècle.
Je pense à l’étonnement de ton ventre qui regarde toujours mon désir pour la première
Je pense aux forêts que nous faisons tomber quand ma chair mûrit dans la tienne.
Je pense à la hauteur de l’été
sur la poussière des routes,
au ruisseau qui s’arrête un instant de couler
pour mieux s’éblouir de la nudité de la lumière.
A rester debout dans ce pays démesuré de clarté, je sens que je n’ai pas asse de poumons pour retenir la vie qui vient vers moi à la façon dont ton corps vient vers le
mien.
Lucien Becker

MAGIE QUOTIDIENNE
Entre le jour et la nuit il y a l’épaisseur d’un carreau dans lequel la lumière se dresse comme autant de hautes fougères.
Au ras du sol, les feuilles les plus lisses se préparent à recevoir le soleil qui va passer de l’une à l’autre en allumant les fanaux de la rosée.
Les sources se contractent de tout leur ventre
à mesure que le matin marche sur elles
et les herbes fumantes d’aube se séparent
pour mieux sentir le poids de chaque éclat de clarté.
Soudain les oiseaux font une pause
parce que leur cœur bat plus fort que leur chant,
les trains sortent de la nuit
comme de la plus grande gare du monde.
Et c’est le jour porté de hauteur en hauteur, renversé dans les lits de la verdure.
Le monde est enfin clair comme une goutte où la lumière tombe, frappée de vertige.
La campagne s’abandonne au premier ruisseau venu.
C’est contre ses berges, c’est par-dessus son eau qu’elle arrondit sa pleine poitrine d’herbes, c’est en lui qu’elle se sent la plus nue.
On passerait sa vie à rester immobile
loin des villages caillés, loin des routes trop sûres,
avec la respiration du jour sur le visage,
avec le bleu du ciel dans la bouche entr’ouverte.
On voudrait mourir ici
avec le soleil soudé aux yeux comme une applique, avec la tête prise dans la grande maille de l’espace, avec au cou le collier des moissons.
Mais je reste tout entier dans la pierre que le silence a jetée du haut du monde, retenu seulement par le fil que mon cœur tend à mon poignet.
Lucien Becker

comme une semence qui germe
en soulevant un peu la terre,
je vais vers ton ventre comme vers une ruche endormie.
Plus haut ta peau est si claire
que les jambes en sont nues pour tout le corps
et mon regard s’y use
comme au plus tranchant d’un éclat de soleil.
Au-delà, il y a ta lingerie qui sert à t’offrir
et à colorer mon désir.
Tes cuisses, lisibles de toute leur soie, se desserrent
et je vois la ligne de partage de ta chair.
Géants de la sensation,
mes doigts vont se fermer
sur le seul point du monde
où se carbonisent des hauteurs entières de jour.
Et c’est enfin la pleine rivière que e remonte sans effort, parce que tes seins s y élèvent comme deux cailloux à fleur d’eau.
Dès que tu entres dans ma chambre tu la fais se tourner vers le soleil.
Le front sur toi de la plus faible lueur et c’est tout le ciel qui t’enjambe.
Pour que mes mains puissent te toucher
il faut qu’elles se fraient un passage
à travers les blés dans lesquels tu te tiens,
avec toute une journée de pollen sur la bouche.
Nue, tu te jettes dans ma nudité comme par une fenêtre au-delà de laquelle le monde n’est plus qu’une affiche qui se débat dans le vent.
Tu ne peux pas aller plus loin que mon corps qui est contre toi comme un mur.
Tu fermes les yeux pour mieux suivre les chemins que ma caresse trace sous ta peau.
LE couple que nous formons ne naît bien que dans l’ombre et, nus, nous allons à la conquête des eaux dormantes d’où le désir surgit comme un continent toujours nouveau,
à celle des orages qui tombent en nous, lourds et chauds,
à celle de tous les végétaux dont il nous faut, lèvres à lèvres, briser l’écorce tendue, à celle des fenêtres dans lesquelles ta chair dérive
comme une jetée qui a rompu son point d’attache.
Parce qu’ils sont les yeux de la terre, les carreaux se tournent vers ta gorge qui brille comme un peu de foudre en regagnant les fonds marins de la ville.
Flanc contre flanc, nous descendons tous deux dans les souterrains où l’on perd corps et où les baisers que tu me donnes, que je te donne sont autant de pas que nous faisons l’un dans
l’autre.
Il me faut inventer d’incroyables pièges de chair pour prendre le monde dans un baiser, il me faut abattre les murailles dont tu t’entoures pour que le plaisir puisse te couper en
deux.
C’est alors que l’air est dans ma bouche la racine même de l’espace et des fruits que, pour me laisser passer de ma vie à ta vie, tu te fais arche des épaules aux pieds.
Partout sur les murs, sur les visages
la lumière se dévêt de sa lingerie
et montre son beau ventre de femme
d’où l’ombre tombe comme une fourmilière écrasée.
Car il y a vraiment de quoi vivre sur la terre, mais il faut avoir la force des arbres pour pouvoir repousser le ciel bas que la mort fait peser sur les paupières.
L’espace est pris entre nos regards et nous n’avons que quelques gestes à ébaucher pour qu’il tombe à nos pieds sans faire plus de bruit que la dernière goutte d’eau d’un
orage sur la forêt.
Tu es plus nue sous mes mains que la pluie sur les tuiles, qu’un feuillage dans le matin, que les dents ensoleillant la bouche.
Des insectes s’écrasent en plein vol sous notre peau, mes doigts ne cherchent pas à se protéger de la lumière qui s’élève du fond de tes yeux pour faire se lever
dans les miens un jour insoutenable.
Le reste de notre vie se fige autour de nous en hautes statues qui ne peuvent entrer dans le cercle de silence et de joie qui nous serre aux reins.
Enlacés par l’herbe que l’air fait monter jusqu’à nos lèvres,
nous oublions dans notre chambre les paysages
qui venaient vers nous au pas de la terre,
les beaux paysages qui nous prenaient pour des statues.
Vagues s’en allant à la rencontre l’une de l’autre, nos corps n’ont que la flaque des draps pour apprendre que l’amour est une montagne qui s’élève à chaque coup de
reins.
Nous n’avons que nos bras et nos jambes pour serrer un instant les forêts qu’un éclat de soleil enfonce dans notre chair et fait flamber jusqu’au dernier arbre.
Nos dernières paroles se sont arrêtées loin de nous, enfin coupées de leur tronc de sang.
Nous entrons seuls dans un monde ouvert sur nos visages comme sur son propre noyau.
J e cherche dans ta bouche la source du fleuve souterrain qui te parcourt en rejetant en haut des cuisses son écume de plante fraîchement coupée.
Quand tu écrases ton ventre contre moi,
quand mes doigts aiguisent ta gorge,
tu as des mots doux comme la salive,
des mots qui auraient poussé après un orage.
De ton corps je fais un pont
qui me conduit dans un monde
où nos dents se cognent contre le même verre d’air,
où nos regards à force d’être proches font la nuit entre eux.
Je ne vis plus au jour le jour puisque tes baisers font partie de mon avenir et nous allons jusqu’au bout de la lueur que la foudre trace en remontant nos veines.
Il me suffit de quelques gestes pour retrouver, enfouie sous ta peau, la plante nue que tu es et, vacillant de tout le soleil conquis par les ruisseaux, tu entres dans la nuit avec le jour
devant toi.
Je n’ai qu’à toucher la pointe de tes seins
pour que soient soudain rompues les mille écluses
qui retiennent entre nous un poids d’eau égal à celui de la mer,
pour que toutes les lumières s’allument en nous.
Et quand dans la clarté du drap,
tu n’es plus qu’un éventail de chair,
j’ai hâte de le faire se refermer sur mon corps
par une caresse que je jette en toi comme une pierre.
En te renversant sur le
Ut,
tu donnes à la clarté la forme même de tes seins
et le jour use toute sa lumière
à vouloir ouvrir tes genoux.
Tu prends ta source dans le miroir qui coule du mur, tu as du soleil jusqu’au fond de la gorge, tu es neuve comme une goutte de rosée que personne n’a vue, que personne n’a bue.
Tu as le cou fragile de ces oiseaux
qu’on voit rarement se poser sur la terre
et quand tu es dans la rue le regard des hommes
monte autour de toi comme une marée.
Derrière tes dents, ta chair commence avec ses aubépines de fièvre et de sang.
Tu sais qu’elle est une prison dont mon désir te délivre.
La caresse fait son bruit de poumon en cherchant dans tes cuisses le papillon qui s’y est posé, presque fermé en toi de ses ailes.
Avec l’aveuglement d’une taupe, tu creuses l’air de tes seins.
Autour d’eux mes mains s’élèvent comme une montagne coupée en deux.
Tu m’accueilles dans un pays au centre duquel ton corps se dresse comme un feu de joie, simplement posé sur la fraîcheur de tes lèvres au point où l’espace se jette en
toi.
Tu es l’impasse vers laquelle j’accours
avec la force des marées,
avec la liberté des moissons
qu’un coup de faux sépare du soleil.
Nous ne parlons pas de l’amour qui nous lie
parce qu’il est entre nous comme une bouteille sur une table
et qu’il court de mes doigts à tes doigts
avec la vitesse de l’éclair.
Si je veux t’aimer sans rien perdre de ta clarté,
je suis contraint de m’enfermer avec toi dans les pierres.
Le jour écarte de temps en temps les rideaux,
tache ton épaule et retombe dans la rue.
Le silence même est fait de minéral et prend la forme des chambres qui le contiennent.
Pour qu’il n’y entre point, c’est mille armoires qu’il aurait fallu pousser contre les portes.
Notre nuit est imperméable et nos corps, se suffisant de l’air contenu dans un baiser, descendent jusqu’aux racines de l’arbre qui a nos têtes pour sommet.
En plein front, en plein flanc,
j’entends les pas que mon sang fait
pour s’avancer de sommet en sommet
jusqu’à celui dont il me faut dominer ton corps.
Je lui en veux de me tenir enfermé dans un visage avec lequel je reste si seul lorsque mes épaules n’ont plus le tien à porter et que je te cherche en vain dans les
miroirs.
C’est pourtant par lui que je t’ai reconnue dans la rue
dans un moment qui reste comme une source en pleine mémoire.
C’est lui qui me permet à chaque instant
de reconnaître ma vérité dans tes yeux.
Tu ouvres la nuit la plus pleine
de la pointe de tes seins.
Tu viens vers moi dans le tournoiement d’une ville
qui ne s’éclaire plus qu’à la clarté du désir.
Je ne saurai jamais la distance à parcourir entre la lampe sourde de ton ventre et mon corps.
Je sais que je te rejoins dans un baiser qui ne laisse point passer le jour.
Sous ma main ensablée dans les caresses, il reste les hauteurs de ta gorge, vers lesquelles j’avance, la bouche pleine de soleil.
A force d’avoir mon visage contre ton visage, j’oublie que le monde commence au-delà de ton regard.
A jeter l’un dans l’autre nos plus sûrs filets, nous ramenons tous les poissons de la joie.
.Le soleil se couche dans les flaques pour rester plus longtemps sur la terre.
Tu ne peux plus t’en aller de ma chambre parce que je suis debout sur tes derniers pas.
J’essaie de conquérir
l’insecte que tu respires.
Mais il s’échappe de mes lèvres
pour aller se poser sur mon sang.
Tu ne peux plus sortir du filet que mes mains tendent sur toi, tu es au centre de l’étoile de mes pas, tu es l’unique réponse de ma vie.
A nos regards pris dans la même pierre de présence,
le monde arrive par une fenêtre
où nous nous penchons parfois
de nos corps, hauts comme des promontoires.
La ville est au pied de la chambre où tu te tiens
avec pour horizon celui de tes épaules
et nous touchons jusqu’en son fond
le vivier de feu qui donne sa mesure à l’été.
Tu te refermes sans cesse sur moi
comme deux vagues sur un rocher
et nous n’avons qu’à nous laisser porter par la
qui s’étend très loin autour de nos visages.
Perdus dans un pays de chair et de caresses, nous vivons les quelques miniers d’années dont notre amour a besoin pour que naisse une étreinte de chaque goutte de notre sang.
Je suis prisonnier de ton visage
à la façon dont un mur l’est du miroir.
Pesé par ton regard,
le monde perd son poids de pierres.
Le chant de ton sang sous la peau est aussi doux à entendre que celui des graminées poursuivies par le vent.
Je sais que la mort ne peut rien me faire tant que tu restes entre elle et moi, tant que s’allume dans ta chair le ver luisant du plaisir.
Le couchant tournoie sur chacun de tes ongles
avant d’aller grossir la terre d’une dernière montagne de clarté
….
et je peux voir a ton poignet les pas
que ta vie fait pour venir jusqu’à moi.
Au -delà de mes mains refermées sur toi, au-delà de ce baiser qui nous dénude, au-delà du dernier mot que tu viens de dire, il y a le désir que nous tenons vivant
contre nous.
Il y a la vie des autres qui remonte de la ville sans pouvoir aller plus loin que la porte derrière laquelle les murs écoutent à notre place le bruit que le cœur des hommes
fait dans la rue.
Tu dépasses les herbes
de quelques hauteurs de soleil.
Je te sens à peine bien que je sois sur toi
comme sur la pointe la plus aiguë d’une montagne.
Tu es entière contre chacune de mes mains, tu es entière sous mes paupières,
tu es entière de mes pieds à ma tête, tu es seule entre le monde et moi.
Le soleil reste sur ta bouche à la place où miroite encore un baiser.
Ton visage lui appartient mais il me le rend pour des nuits plus longues que ma vie.
Ton corps pour lequel je m’éveille s’éclaire plus vite que le jour parce que le soleil surgit à toutes les places où il y a des cailloux à pétrir.
Les forêts se dénudent pour lui dans le secret de leurs clairières mais c’est sur ta gorge qu’il fait pousser ses plus beaux fruits.
La terre lui présente une à une
ses vallées les plus riches,
mais c’est sur ton ventre qu’il s’arrête,
simple bouquet de flammes.
Le toit des villages est posé sur la terre et les prés fuient de toutes parts autour des murs blancs qui avancent d’une maison par siècle.
Je pense à l’étonnement de ton ventre qui regarde toujours mon désir pour la première
Je pense aux forêts que nous faisons tomber quand ma chair mûrit dans la tienne.
Je pense à la hauteur de l’été
sur la poussière des routes,
au ruisseau qui s’arrête un instant de couler
pour mieux s’éblouir de la nudité de la lumière.
A rester debout dans ce pays démesuré de clarté, je sens que je n’ai pas asse de poumons pour retenir la vie qui vient vers moi à la façon dont ton corps vient vers le
mien.
Lucien Becker

Quand le vent force les fenêtres,
annoncé par tant de portes, tant de forêts battantes,
et que le soir passe sa tête
dans ce qui reste, immobile et défiguré,
Quand la rue s’accroche aux lumières qui, d’un seul coup, tirent à elles tout le ciel, lourdes du feu qui s’écoule des carreaux, étranges prisonniers au long des
villes,
il faut dominer l’amour, le dénuder
du sang qui en fait une soif sans remède,
le jeter aux gueules du sexe
comme un vivant qui s’éveille en plein incendie,
il faut oublier les mots trop tendres
qui tremblent dans la bouche comme des feuilles
et, crispé sur la chair comme les racines autour de la terre,
il faut fermer la femme à la clarté du jour.
Dans la ville, que le soir rassemble en hâte autour des murs, autour des lampes livides, la pluie tombe, transpercée de vent et le monde comme un tunnel rampe dans la nuit.
Lucien Becker
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