La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Loreena Mckennitt – The Mask and Mirror 1994 (remastered 2004)
Un rêve assombri par une nuit terrestre
S’accroche au croissant de lune Une chanson sans voix dans une lumière sans âge Chante à l’aube qui vient
Des oiseaux en vol appellent
Là où le cœur déplace les pierres C’est là que mon cœur se languit Tout pour l’amour de toi
A la peinture est accrochée à un mur de lierre Niché dans la mousse émeraude Les yeux déclarent une trêve de confiance Puis il m’entraîne au loin Où au fond du crépuscule du désert
Le sable fond dans les flaques du ciel L’ obscurité pose son manteau cramoisi Tes lampes m’appelleront à la maison
Et ainsi c’est là que mon hommage est dû, serré par le calme de la nuit maintenant je te sens bouger Et chaque souffle est plein Alors c’est là que mon hommage est dû Serré par le silence de la nuit Même la distance semble si proche Tout pour l’amour de toi
Un rêve obscurci sur une nuit terrestre Accroché au croissant de lune Une chanson sans voix dans une lumière sans âge Chante à l’aube qui vient
Des oiseaux en vol appellent
Là où le cœur déplace les pierres C’est là que mon cœur aspire Tout pour l’amour de toi
Un fermier là-bas vivait dans le pays du nord a hey ho bonny o Et il a eu des filles un, deux, trois Les cygnes nagent si bonny o Ces filles ils ont marché au bord de la rivière a hey ho bonny o L’aîné a poussé le plus jeune dans Les cygnes nagent si bon o
Oh soeur, oh soeur, priez, prêtez-moi votre main avec un hey ho a bonny o Et je vais vous donner une maison et atterrir les cygnes nagent si bon o Je ne vous donnerai ni l’un ni l’autre main ni gant avec un hey ho a bonny o A moins que tu ne me donnes ton propre véritable amour les cygnes nagent si bonny o
Parfois elle coulait, parfois elle nageait avec un hey ho et un bonny o Jusqu’à ce qu’elle arrive à un barrage de meunier les cygnes nagent ainsi bonny o
La fille du meunier, vêtue de rouge avec un hey ho et un bonny o Elle est allée chercher de l’eau pour faire du pain les cygnes nagent si bonny o
Oh père, oh papa, ici nage un cygne avec un hey ho et un bonny o C’est très comme une femme douce les cygnes nagent si bonny o Ils l’ont placée sur la rive pour sécher avec un hey ho et un bonny o Il est venu un harpiste en passant par les cygnes nagent si beau o
Il a fait des épingles de harpe de ses doigts juste avec un hey ho et un bonny o Il a fait des cordes de harpe de ses cheveux d’or les cygnes nagent si beau o Il a fait une harpe de son sternum avec un hey ho et un bonny o Et tout de suite, il a commencé à jouer seul les cygnes nagent si bonny o
Il l’a apporté à la salle de son père avec un hey ho et un bonny o Et il y avait la cour, réunis tous les cygnes nagent si bien o Il a posé la harpe sur une pierre avec un hey ho et un bonny o Et tout de suite il a commencé à jouer seul les cygnes nagent si beau o
Et là est assis mon père le roi avec un hey ho et un bonny o Et là-bas est assise ma mère la reine les cygnes nagent si bien o Et là est assis mon frère Hugh avec un hé ho et un bonny o Et par lui William, doux et vrai les cygnes nagent si bien o Et là est assis ma fausse sœur, Anne avec un hey ho et un bonny o Qui m’a noyé pour le bien d’un homme les cygnes nagent si bonny o Par
une nuit sombre la flamme de l’amour brûlait dans ma poitrine Et par une lanterne brillante, j’ai fui ma maison tandis que tout reposait tranquillement
Enveloppé par la nuit et par l’escalier secret, je me suis rapidement enfui Le voile cachait mes yeux tandis que tout à l’intérieur restait silencieux comme les morts
Oh nuit tu étais mon guide oh nuit plus aimante que le soleil levant Oh nuit qui a joint l’amant à l’être aimé transformant chacun d’eux en l’autre
Sur cette nuit brumeuse dans le secret, au-delà d’une vue si mortelle Sans guide ni lumière que celle qui brûlait si profondément dans mon cœur
Ce feu t’était m’a conduit et a brillé plus fort que le soleil de midi là où il attendait toujours c’était un endroit où personne d’autre ne pouvait venir
Dans mon cœur battant qui se réservait entièrement pour lui Il s’endormit sous les cèdres tout mon amour que j’ai donné Et par les murs de la forteresse le vent effleurait ses cheveux contre son front Et avec ses doux main caressait tous mes sens , il permettrait ,
je me suis perdu à lui et posai mon visage sur mes amants du sein et les soins et la douleur se troublèrent comme le matin brouillard est devenu la lumière Là , ils estompés parmi les lis juste Là , ils grisés parmi les lis juste Là, ils s’estompent parmi la foire aux lys
Ils sont rassemblés en cercles les lampes éclairent leurs visages Le croissant de lune se balance dans le ciel Les poètes du tambour maintiennent les battements de cœur suspendus La fumée tourbillonne puis meurt
Veux-tu mon masque ? veux-tu mon miroir ? s’écrie l’homme au capuchon d’ombre Tu peux te regarder tu peux te regarder ou tu peux regarder le visage, le visage de ton dieu
Les histoires se tissent et les fortunes se racontent La vérité se mesure au poids de ton or Le des mensonges magiques éparpillés sur des tapis au sol La foi est évoquée dans le son du marché nocturne
Veux-tu mon masque ? veux-tu mon miroir ? crie l’homme au capuchon d’ombre Tu peux te regarder tu peux te regarder ou tu peux regarder le visage, le visage de ton dieu
Les leçons sont écrites sur des parchemins de papier Elles sont portées à cheval depuis le Nil dit la voix ténébreuse Dans la lumière du feu, le cobra jette la flamme d’un sourire séduisant
Voudriez-vous mon masque ? veux-tu mon miroir ? s’écrie l’homme au capuchon de l’ombre Tu peux te regarder tu peux te regarder ou tu peux regarder le visage, le visage de ton dieu Les
étoiles tombaient profondément dans l’obscurité tandis que les prières montaient doucement, pétales à l’aube Et pendant que j’écoutais , ta voix semblait si claire si calmement tu appelais ton dieu
Quelque part le soleil s’est levé, sur les dunes dans le désert tel était le calme, je n’ai jamais ressenti avant Était-ce la wuestion, tirant, tirant, tirant dans ton cœur, dans ton âme, est-ce que tu y trouves la paix ?
Ailleurs une chute de neige, la première de l’hiver couvrait le sol tandis que les cloches remplissaient l’air Vous dans vos robes avez chanté, l’appelant, l’appelant, l’appelant dans votre cœur, dans votre âme, avez-vous trouvé la paix là-bas ? dans ton cœur, dans ton âme, y as-tu trouvé la paix ?
Bien-aimé, regarde dans ton propre cœur, L’arbre saint y pousse; De joie partent les branches sacrées, Et toutes les fleurs tremblantes qu’elles portent. Les couleurs changeantes de ses fruits ont embelli les étoiles d’une joyeuse lumière ; Le garant de sa racine cachée A planté tranquillement dans la nuit ; Le tremblement de sa tête feuillue A donné aux vagues leur mélodie, Et a fait épouser mes lèvres et ma musique, Murmurant pour toi une chanson de sorcier.
Là, les Amours vont en cercle, Le cercle enflammé de nos jours, Gyring, spirant de long en large Dans ces grands chemins feuillus ignorants ; Se souvenant de tous ces cheveux secoués Et comment les sandales ailées dardent, Tes yeux se remplissent de tendresse ; Bien-aimé, regarde dans ton propre cœur.
Ne regarde plus dans le verre amer Les démons, avec leur subtile ruse, Levez-vous devant nous quand ils passent, Ou ne regardez qu’un peu ; Car là grandit une image fatale Que la nuit orageuse reçoit, Racines à demi cachées sous les neiges, Branches brisées et feuilles noircies. Car toutes choses se transforment en stérilité Dans le verre sombre que tiennent les démons, Le verre de la lassitude extérieure, Fait quand Dieu dormait dans les temps anciens. Là, à travers les branches brisées, vont Les corbeaux de la pensée agitée; Volant, pleurant, allant et venant, Griffe cruelle et gorge affamée, Ou bien ils se dressent et raidissent le vent, Et secouent leurs ailes déchiquetées : hélas ! Tes yeux tendres deviennent tout méchants : Ne regarde plus dans le verre amer.
Bien-aimé, regarde dans ton propre cœur L’arbre saint y pousse; De joie partent les branches sacrées, Et toutes les fleurs tremblantes qu’elles portent. Se souvenant de tous ces cheveux secoués Et de la façon dont les sandales ailées s’élancent, Tes yeux s’emplissent de tendresse : Bien-aimé, regarde dans ton propre cœur.
Maintenant mes charmes sont tous jetés, Et quelle force j’ai est la mienne ; Quel est le plus faible ; maintenant c’est vrai, je dois ici être confiné par vous,
Ou envoyé à Naples. Ne me laisse pas, puisque j’ai mon duché obtenu et pardonné au trompeur, habiter dans cette île bar par ton charme ;
Mais libère-moi de mes bandes Avec l’aide de tes bonnes mains. Doux souffle de la vôtre mes voiles doivent se remplir, ou bien mon projet échoue,
Ce qui devait plaire. Maintenant je veux que les Esprits imposent, l’art enchante ; Et ma fin est le désespoir, À moins que je ne sois soulagé par la prière,
Qui transperce pour qu’elle s’attaque à la Miséricorde elle-même et libère toutes les fautes. Comme vous seriez pardonné de vos crimes, Que votre indulgence me libère.
Grasses et moites dans les plis. Pas d’autre issue
Que ces cuisses pour l’homme envasé dans la femme
Et qui s’endort sans sortir d’elle, avant qu’il ait
Joui parfois! L’argile ainsi baise l’argile
Pétrie de suint qui s’épaissit peau contre peau.
Nuit et sommeil alors également immenses
De nouveau régnent sur l’Informe. Horreur sacrée
Du sexe de la terre à ciel ouvert, lunaire
Qui bée d’angoisse d’avorter du premier Jour.
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Forcer la mère pour s’ouvrir l’accès du Vide, Pour se frayer vers soi un chemin sans retour! Que lui, Caïn, et tout partant de lui, commence ! Que le temps soit! Qu’il ait l’Ailleurs pour horizon Et non, centré autour du nombril de la terre, Tracé par cœur d’un œil absent, ce même rond !
Pourquoi la mère chaque nuit se refait-elle Grosse de ces jumeaux nés d’elle le matin? C’est que l’autre, qui tout le jour rêva du ventre Y retourne le soir ne l’ayant pas quitté… Caïn, Caïn ! si peu ménager de ta peine Que ton cœur est le fer labourant le sillon, Quand tu lèves les yeux vers l’étoile, à quoi bon Aux couleurs du couchant joncher l’autel de gerbes Si chaque soir la seule offrande est agréée Qu’enfante la brebis avec l’aube naissante Comme la mère chaque jour enfante Abel ? Pourquoi ce même effort de ravaler ton fiel Et de rejoindre à contrecœur les mêmes tentes Où l’autre dort déjà dans les plis maternels? Mais ce soir tu pressens déjà contre tes tempes L’énorme battement du Vide ! jamais plus Tu ne respireras le poil tiède des tentes Ni Abel ce relent de sang, ce flanc béant. Jamais plus ? Mais la Mère entre eux reste ce ventre Ce gouffre avide de s’emplir du même enfant.
Le rite veut que tout s’anéantisse en elle Qu’Abel y soit conçu chaque jour du néant. Lui, Abel, est l’agneau de son culte, le prêtre Qui s’immole au néant dans l’agneau sur l’autel. Voici que pour l’ultime fois brille la lame Du sacrifice entre ses doigts : Caïn, à toi ! Il n’a pas retiré le couteau de la bête Que ton poing l’a saisi en elle, retourné Vers ton frère et fiché en son cœur, et encore Une fois dans l’agneau dont bouillonne le sang… Plus qu’aucun des agneaux qu’il a offerts, ton frère N’est-il pas agréable à Dieu ? Son sang sur toi Te lave enfin des eaux maternelles, t’ondoie Né deux fois ! car le sein d’Abel est ta vraie mère.
Tuant Abel il a tué la Mère
Ainsi hors de la morte il s’est forcé
Il a poussé en avant de la tête
Aveugle qui le guide vers Tailleurs
Les cuisses d’Eve au couchant sont des collines
Entre elles vers l’horizon il a jailli
Soudainement il s’est trouvé en face
De Cela qui désormais n’est que par lui
Face à la gueule dont les mâchoires inlassables
Ciel et terre broient autophage toute vie
La Vie toute avalant sans cesse ce qui vit
Jusqu’à finir par se dévorer tout entière
Caln avide de Caïn commence donc
A se manger à peine s’est-il mis au monde
Il naît pour assouvir cette gueule la mort
A moins d’oser — comment? — défoncer passer outre
Forer son trou sans fond l’appétit du néant
Et d’avance y briser les dents cariées du temps
L’intérieur est scellé c’est le lieu de la mort
L’accès de la matrice maternelle
Est interdit au fils. Dorénavant
La loi stipule : après l’enfantement on recoudra
Le sexe encore meurtri des femmes. Car tout homme
Qui voudrait y rentrer comme l’enfant qu’il fut
Passerait sans retour en deçà de ce monde
Dans son inverse point par point qu’est la folie.
Qui, étant né, retourne à la femme, il s’avance
A la rencontre de la mort dont tout ce corps
Ces bras, ce ventre, ce regard lui sont la porte
Au seuil de quoi l’atteint la foudre ! C’est pourquoi
Caïn, premier législateur, fixe la loi
De séparation des femmes. Chose bonne
Pense-t-il. Désormais tout l’espace sera
Le vrai Dedans et la matrice universelle
Et le vrai mâle l’univers l’enfantera.
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La plaine à l’aube est une femelle qui se peigne Sa chevelure fait onduler les blés Le vent a des reflets d’argent dans la prairie Caïn. l’homme! jouit de cette nudité Car la terre plus que la femme est son épouse Il ne distingue pas entre leurs seins Si la femme en juillet se dore c’est que l’heure Est proche à perte de vue de la moisson Il a semé et retourné ses fils sont blonds comme les gerbes Si vaste que soit sa terre elle est toute autour du nombril Sa forme est d’un ventre bombé son flanc est parallèle aux collines Que faut-il à Cain de plus que l’étendue femelle et nue
Perdre pied une bonne fois pour éprouver la transparence
Pour que la verticale en lui se mesure à la profondeur
N’être plus soi passer outre son âme
Cesser d’avoir les paumes plus calleuses chaque soir
Car l’hiver vient la terre et la femme sont vieilles
Rien donc ne fait obstacle entre l’espace et lui
Il a toujours désiré cette fuite
C’est lui-même chassé qui se jette en avant
La malédiction le lance à la conquête
D’un monde qui ne soit que l’expansion de sa pensée
Jusqu’aux limites de laquelle l’horreur d’être maudit le pousse
Et qui invente ses confins pour les contraindre à lui céder
Caïn comme autant de bornes a écarté
Les femmes. C’est avec la terre qu’il copule
Cambrant le torse à la verticale des nuits
Pour voir jaillir là-haut sa semence d’étoiles.
D’avance sortent de son front comme d’une arche triomphale
Les générations se bousculant vers le néant
Les peuples convergeant jusqu’à s’entre-détruire
Dans leur hâte de l’enfermer dans une Idée :
Ainsi la Quête sans merci et sans espoir a commencé
Dans l’âme de Caïn qui fuit sans cesse devant elle
Et ne cesse de se creuser en tout homme de son sang
Pour qu’au-delà de toute Idée la Quête soit l’ordre des mondes
De ce qui le maudit Caïn a fait sa force : Qu’il aille! Il ne se veut fondé en rien. Ni terre Ni femme. Ni cet homme en lui nommé Caïn. Il lui suffit que le dévore sa distance L’avide ubiquité sans feu ni lieu que lui Ce Vide, n’être nulle part! c’est tout son être.
Ignorant de son propre nom comme de ceux derrière lui
Dont grossit sans mesure le nombre
Se piétinant s’escaladant s’entassant se précipitant
Montagne d’où l’homme se voit en abîme
Amas de morts matériau de Babel sur le corps d’Abel
Où Caïn tour centrale s’érige
O bâtisseur, te voici l’axe de la foudre !
Quand tu la vis dédaigner ton oblation
Pour les prémisses de ton frère, tu compris
Que c’est le feu qu’il faut voler l’assaut de Fempyrée tenter
En l’embrasant aux plus hautes flammes des villes
Ruées d’hommes qu’une hâte ardente a cimentées.
L’humanité bouillant comme au creuset la fonte
Tu la travailles par le feu et la pensée
Son alliage avec les métaux de la terre
Tu peux en faire toute chose absolument
Tout inventer à partir d’elle temps histoire
Idée de l’homme dont marquer tout homme au fer.
Où est la femme dans ce règne ? Inaudible. Soumise. Rusée.
Augmentant l’entropie du monde sa division sa cruauté.
Bonne seulement à reproduire des mâles.
Si l’homme s’attardait à la femme l’histoire ne serait pas
Ni rien de ce qui fait l’ordre des choses.
Les polices les tribunaux les armées le béton les prisons
Tout cela bien trop mâle pour que femelle s’en mêle
Bien trop roide pour les rondeurs de son corps.
La nature elle aussi est ronde et plus encore que la femme
Altérée par l’intellect et le fer
Vouée à n’être rien par le genre humain pour lui faire place
Au prix de génocides sans fin
L’essentiel est que nul n’échappe à l’abstraite nomenclature
Des mécanismes où chacun est emboîté bien qu’isolé
Pièce qui s’use ou se disjoint qui se remplace ou se rajuste
L’homme ingénieux forgeant de soi des machines pour s’inventer
Car ni lui tel qu’il fut créé ni le monde ne lui suffisent
Plus de modèle! il fut détruit par Caîn poignardant Abel.
L’homme et le monde désormais iront de prothèse en prothèse
Nulle limite à leur expansion!
La limite tranchée au couteau la liberté n’est plus personne
C’est l’énorme machinerie en avant
Caïn, l’Histoire. Et le progrès de la Raison
Intriquant aux siècles des siècles l’engrenage de ses raisons.
Ce même homme qui ne saura jamais rien de soi
Parfois s’étonne de fabriquer de l’homme à sa guise
Et qu’une substance lui échappe des mains
Qui soit lui bien qu’infiniment distante de lui
Or de tant d’artisans qui façonnent l’humain
Lequel irait jusqu’à se prendre pour matière?
Telle est bien cependant ta logique, Caïn
Que celui qui conçoit le robot dans sa tête
De lui-même robot accouche le premier.
Certes : mais l’herbe force partout les joints de l’homme
Le sang d’Abel engraisse le sol non les moteurs
L’ultime pièce du robot, son cœur! Quelqu’un y veille
Et le forme comme il en fut au premier jour
D’un peu de vent originel pétri de terre
Le même cœur qui bat dans tous les fils d’Adam.
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Désormais dit Caïn
Désormais les hommes ne se régleront plus au soleil Désormais ils ne ramperont plus la nuit venue sous les tentes utérines Ils ne sentiront plus la paille et le suint mais l’odeur uniforme du cuir Et les troupeaux qu’ils pousseront devant eux ne seront plus de moutons mais d’esclaves Et moi je marcherai seul à leur tête pour choisir où détruire et fonder Quand j’aurai fixé le lieu où bâtir chacun mille fois devra son poids
de pierre S’il ne veut que son corps soit cimenté dans les murs
Pour tracer des cercles et des carrés moi j’irai patiemment un pied contre l’autre
Et ferai creuser sous mes empreintes le sol
La terre est sensible plus que l’homme peut-être et autant que lui souffre d’être blessée
Mais la plaie que j’y ouvre est la fondation de la ville et la cicatrice en sera la cité
Bourrelet géant mesurant les jours à son ombre
Désormais les jours ne seront plus un seui jour sempiternellement identique à soi-même
J’apprendrai à l’homme à les computer selon les marées et les lunaisons
Et tout vieillira s’en ira vers la mort et d’abord moi-même si pressé de construire
Moi qui chaque matin me mire au fil de l’eau pour m’y voir dissembler davantage d’hier
Et y supputer le délai qui me reste
Je ne mourrai pas que je n’aie fait l’homme tout autre que Dieu l’avait cru modeler de ses mains
Que je n’en aie fait un seul Etre innombrable une masse unique immunisant tout destin
Contre son cancer toujours latent la personne
Je guérirai l’homme de sa liberté virus par lequel Dieu en eux s’insinue
j’exorciserai cet Esprit en eux qui se nomme Saint et les pousse en quête
D’une Vérité qui ne serait pas ce que moi je veux que leur esprit soit
Je les guérirai si entièrement que fût-ce une fois dans les siècles des siècles
Dieu pour naître homme ne trouvera point de sein parmi eux
Qui suis-je pourtant moi qui leur impose ce joug que je prends pour
ma volonté L’ingénieur athée d’un anti-Dieu mécanique dont chaque élément ait
pour joint la terreur Ou l’écho viscéral d’un instinct sans mémoire apparentant l’homme
au rat migrateur Si je fonde ou détruis le sais-je moi-même Je vais en avant je ruine des peuples j’établis des villes et j’étends
des réseaux Les masses d’hommes j’y noue ensemble des êtres Tel est dans le monde mon système nerveux qui déjà supplante celui
de chacun Et depuis longtemps a supplanté le mien propre Me livrant sans frein à la démence logique de l’homme fait par moi
qui me fait en retour Sous l’orbite là-haut dont l’Œil arraché laisse le ciel affreusement vide
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Un langage qui désintègre la Parole Un esprit qui tel un virus pourrit l’Esprit Un dieu qui chasse Dieu jusque de son absence Telle est la trinité à laquelle obéit Dès ce qui se nommait jadis son âge tendre Tout homme en ce qu’on voit entend pressent de lui. Il en apprend le code à l’école, grammaire D’un mensonge dont la logique se convainc Car il le faut. La moindre faille ou moins encore Le soupçon que le moindre trait pourrait bouger Sur le visage du menteur que tous ils guettent Avec l’acuité de leur mensonge à eux Le perdrait et eux tous avec lui si d’avance Ses amis ne le dénonçaient ne le vouaient Au bourreau qu’ils avaient subi ou subiraient. Où règne la terreur il n’est d’autre pensée Que d’échapper à la torture, étant certain D’être marqué un jour de cette loi d’airain. Vidé de l’âme l’homme ainsi n’est que viscères Sa vie longe le mur d’une prison derrière Lequel le précèdent sans fin ses propres cris.
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L’arrachement du moi secret est cet accouchement inverse Où le bourreau tient lieu de mère et le supplicié d’enfant Chacun sait ce que l’autre sait leurs rôles sont interchangeables Sans que leur zèle en diminue de torturer et de souffrir C’est même là ce qui les fait solidaires de cette masse Que sans que rien leur soit commun tous forment en coexistant Masse qui pèse en chacun d’eux et les recuit dans l’odeur rance D’une haine dont leur contact fait une froide intimité Haine ouverte bien contrôlée mais dont la feinte est un langage Où tous perçoivent leur sentence immédiate ou différée La masse entière n’est qu’un être un agrégat de haine pure Dont je ne sais qui me transmet le don de la communiquer Je ne puis concevoir le nom de la force qui me possède Sinon le mien mais du tréfonds d’un abîme où je perds mon nom Ce gouffre est ce qui reste en moi de ce qui fut naguère un homme Dont je me fis avorter seul par la blessure au flanc d’Abel De même suis-je devant Dieu le Seul et contre Lui le maître D’un Jeu cosmique point par point contraire et destructeur du sien Satan n’est donc autre que moi me haïssant jusqu’au martyre En tout homme que la terreur force d’être son propre mur Déformant ses cris dont il rit comme s’ils lui venaient d’un autre
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Dieu est Silence. Il faut que le bruit insensé Envahisse donc l’âme en écho de la foule Sans laisser intervalle aucun à la pensée Même s’il mime sur les lèvres des paroles. Non seulement s’interroger d’où vient le Nom (Fût-ce l’esprit vacant qu’il piégerait en rêve) Sera passible de la Loi : mais rester seul Et se taire un peu trop longtemps devant ces choses Réputées belles autrefois quand tout aimait. Les amoureux de la lumière vespérale Louange de l’automne au ciel immense et pur Seront flairés de loin par les chiens de police Comme autant d’évadés du vacarme intégral. Ramenée par leurs crocs au devoir d’être aphone Leur âme s’interdira d’être désormais Oubliant jusqu’au premier mot de la prière Jusqu’au regard levé vers la nuit bleue du sens. Mais moi Caïn foule hurlante les yeux vides Je veux qu’ils n’aient de sens que de hurler avec L’homme sans bords masse aveuglante assourdissante Qui pour moi et pour eux sera l’unique dieu.
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Naître n’est rien. Mourir n’est rien. Double décharge. Quand on met un enfant au monde, on le condamne A mourir à revivre à re-mourir sans cesse Un nombre illimité de fois qui n’en font pas A elles toutes une seule, un être unique : Être un, c’est transgresser absolument ma Loi. Mon anti-monde où l’Un et l’univers s’inversent Je l’ai conçu pour que l’homme s’annule en soi, Qu’il s’y égare en un dédale sans substance D’images dont l’incohérence est le vrai lien Éveillant un vague besoin dans sa cervelle D’objets pour lui inaccessibles, néant bleu. Qu’il vive protégé par cet écran de songes De l’intime douleur d’être homme qui pourrait L’instruire sur ce que j’ordonne qu’il ignore : Une origine, un sens, une fin — ce dessein Qui du moindre d’entre eux peut faire une personne. Mais s’il accède ainsi à l’être, s’il devient Libre ! je n’aurai pas de rigueurs assez noires Pour le punir de refuser de n’être rien Quand moi j’extirpe pour son bien l’homme de l’homme.
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Toute cause de pollution spirituelle
Sera détruite avant qu’elle ait eu le moindre effet
Décelée jusqu’au tréfonds de l’âme sous le masque
Uniforme qu’elle s’imagine la cacher
Dans l’océan brassant son écume de visages
Où mon œil distingue d’en haut chaque goutte d’eau.
Je leur ai voilé le soleil pour qu’elles ne brillent
J’aplatis l’âme sous la brume rase des mots
Si épais qu’ils en ont étouffé le bruit des vagues
Issu de lèvres cousues par moi, rumeur sans voix.
Bien au-dessus de la masse humaine qui vers moi
Regarde, non vers le ciel obtus front bas unique
De la foule dont il efface en lui tous les fronts,
Sur une immense estrade à distance se tiendront
Autour de moi sinistrement vêtus en symbole
De la solennité carcérale du jour gris
Ceux que je jugerai les plus aptes à réduire
Tout ce qui pense au pas de l’oie de mes liturgies
A moi, Pontife de mon omnipotence en armes !
Sacrilège seront réputés même l’idée
D’une prière, même un élan, un simple geste
Qui ne monteraient pas vers l’Étoile ensanglantée.
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Hurlant de joie comme la Loi le leur prescrit Pour que le cœur en soit abîmé de détresse Ils profanent pillent détruisent incendient Jusqu’à ce qu’il ne reste plus pierre sur pierre De lieux naguère vénérés. Que rien ainsi Pas même l’ombre sur le sol d’une brûlure Ne rappelle qu’ici fléchirent le genou Ces mêmes hommes qui vertigineux osèrent Lancer la flèche de leur âme vers le ciel. Je les ai étêtés, ces hommes ! Sur leurs crânes Écrasés par les roues de mes chars j’ai fondé Des temples à mon nom où s’engouffrent les foules Comme au moulin le grain pour y être broyé. Ou même laissant subsister les anciens temples J’en ai fait des musées de ma gloire où parfois Feignant de ne pas voir là-haut l’Étoile rouge Des vieilles viennent adorer le dieu chassé, Tas de loques, dont l’ordre est qu’on les brûle. J’ai Rendu enfin si dérisoire la prière Que je n’ai plus besoin de la croix ni du pal Mais le savoir suffit qui fait honte de croire.
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Empaler de grands vergers d’hommes dans les plaines Porte les fruits que j’attendais de la terreur. J’aime humer l’odeur sucrée des pestilences A la saison où les cadavres sont en fleur, Dit Caîn. J’ai cerné des nations entières Après leur avoir pris le bétail et le grain Pour que devenant fous de faim hommes et femmes S’entre-déchirent et dévorent leurs enfants : Puis j’ai fait des bûchers plus hauts que des volcans Où brûler ces charniers de peuples dont la cendre Me sert d’engrais pour mes moissons de morts vivants. Parfois j’ordonne de cruelles transhumances Troupeaux humains auxquels n’est laissée que la peau Vers des terres glacées où s’ils veulent survivre Ils devront dégeler de leur piètre chaleur Un sol presque aussi dur que ma toute-puissance Depuis que j’ai ravi la sienne à Dieu sur eux. Cependant les enfants chantent dans les écoles En vue de défilés joyeux le poing levé Et les plus gais dans cette joie sous surveillance Sont ceux dont les parents furent exécutés.
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Les enfants de ceux que je fis exterminer
Je crée pour les rééduquer des camps modèles
Ce seront de vrais fils et filles de Caïn
Les plus obtus les plus zélés de mes fidèles.
Ils apprendront de moi comment fouler aux pieds
Sous leurs bottes cloutées la face de leur père
Ils traqueront l’aïeul et l’aïeule, la sœur
Et le frère, que leur sang même crie coupables
De cette haute trahison : porter leur nom.
Cette pédagogie que j’invente est la seule
Qui puisse muer l’homme en cela que je veux :
Un bourreau qui enseigne à son tour ma méthode
En s’aidant de travaux pratiques pour lesquels
Ne lui feront défaut les sujets d’expérience
Ce matériau inexhaustible de tourment
Où l’élève choisit sa victime, étudie
Comment varient ses cris qu’il devra savamment
Doser pour être un jour son rival en martyre…
Qu’oubliée, renfoncée dans sa gorge à jamais
Sa souffrance il l’entende enfin qui sans mesure
Fasse de lui la chose humaine qu’il torture.
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Ceux dont les yeux restent fixés sur le Dedans Qui sans que bouge un cil de l’âme font silence Leur tourment ce sera le vacarme aveuglant Gesticulation du Dehors qui les cerne Les incarcère les oblige à la mimer Cadencés par les multitudes les machines. Rien ne m’inspire un tel courroux que leur regard Intime et vaste ainsi que ces beaux soirs d’automne Où le monde est en oraison, où des oiseaux Tracent vers la hauteur une pensée qui semble Issue du plus profond de moi qui ne veux pas ! Cest mon refus qui fait le crime de l’esclave Dont la prière suit le vol de ces oiseaux Même alors que mon joug cogne son front à terre : Car (je le sens) il prie pour moi, osant m’offrir A ce que j’ai le plus en haine, la divine Pitié dont le dégoût comme une âme m’emplit… D’où ce besoin pour chasser l’âme et guérir d’elle De lui substituer jusqu’à la frénésie La foule en moi qui m’applaudit d’être son Ombre Sur son vide où ma voix va s’enflant avec lui.
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D’autres substituant leurs rêves au réel Prétendent exprimer cette chose visqueuse Que l’on sent viscérale en soi comme une humeur Et qui bien qu’elle soit insaisissable colle A l’esprit s’il n’est plus tout acte et qu’il s’épie. Que cela soit peinture ou musique ou poème C’est la sécrétion de l’Être inexistant La maladie honteuse, l’âme ! Elle déforme La vue en visions la limpide Raison En un halo de brume rose où l’on devine Où l’on croit deviner des spectres la peuplant… Tel est le crime : nos cinq sens nous donnant prise Sur les choses, il les corrompt pour altérer La norme en nous qui nous fait voir, toucher, entendre Et qui dicte à l’entendement ce qu’elles sont. Ce qui n’est pas copie conforme de la norme Est symptôme où flairer une atteinte à la Loi Atteinte dont ne peut guérir que la Loi seule Brûlant les anormaux qui le sont sans espoir Soignant les autres pour que jamais aucun rêve Ne trouble plus ce qu’il leur reste de mémoire.
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Pour qu’ils subsistent ils devront substituer Le rêve de Caïn façonnant dieu dans l’homme Aux doigts divins par qui l’homme fut modelé. Cet homme que je rêve est ma toute-puissance Dont mes plus humbles instruments sont revêtus Leur uniforme vert n’en est que l’apparence Mais leur habit de gloire est la peur qu’il produit. Il n’a qu’un écusson pour symbole visible Où fait relief en lettres d’or l’unique MOI Écho sans nombre dont l’horizon est ma voix. Que l’art peigne en un Seul toute la masse amorphe Qu’il me donne à chacun pour centre et pour confins Qu’il me rende immortel d’éterniser sa crainte Du philtre qui requiert tout son sang pour le mien. Je veux me voir en effigie au fond des âmes Comme l’icône devant qui brûlait jadis La veilleuse de la présence universelle : De même l’art sera la flamme s’élevant Face à l’Omniprésent que je suis en tout homme Et que l’emphase obligatoire de ses chants Établit à jamais sur mon trône d’étoiles.
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Oter toute autre idée que de ma force aux hommes Et pour en venir là m’ôter toute autre idée Telle est l’absence à la racine de laquelle J’assieds mon absolu pouvoir pétrifié. Bannir l’esprit! Ne tolérer que crainte vile Invitant par avance à la justifier A trahir l’autre, à jouir de se renier. Se renier mais oublier qu’on se renie Trahir autrui mais effacer de sa mémoire Tout souvenir qu’ait existé qui l’on trahit. L’énucléation de l’âme inconsciente Comme on enlève du cerveau une tumeur Laisse ce vide impénétrable, sombre masse Dont nul pas même moi ne peut se dégager. Son inertie est mon empire et ma contrainte Plus je suis dur plus ma puissance m’asservit Ma dureté n’est que la digue de la haine Qu’elle accumule et qui par elle m’envahit. Toute muraille que j’élève m’incarcère Quand c’est le bleu que j’y voudrais emprisonner Qui réduit en poussière à la longue les pierres.
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Caïn, désormais, fait ce qu’il veut de l’homme. «L’homme sans moi ne saurait ce qu’il est». Dit-il. Par lui, l’homme le sait moins encore Objet que travaille la Raison en folie. Elle intime : «Sois autre! Encore autre! Autre encore!» A la boue que triture sans trêve Caïn. Une boue molle, multiforme, coupable D’être soi-même et tant d’autres en soi Chacun ne sachant qu’il en loge tant d’autres Le tout, paraît-il, dans une âme et un corps… La boue prendrait-elle aurait-elle nom d’homme Si quelque système inflexible et sans bords Ne la forçait d’être identique à la somme Des poussières sans nombre en elle pétries? Caïn sait trop bien que la terreur ne suffit Pour faire des hommes en tout conformes, dociles A l’homme nouveau dont cette boue est l’ancien. Il y faut un moule où l’homme adhère à soi-même Où chacun pour autrui tienne lieu du système Chacun pris dans leur masse et leur masse en chacun. La masse tient ensemble, rassure, surveille La masse encadre elle met au pas marche droit Sa voix s’élève d’une gorge unanime Et s’enfle parallèlement à son pas. Pour qui la voit de tout contre et très loin Elle est une Tour aux cent mille fenêtres Aux cent mille regards sur celui de Caïn Dont le seul reflet leur donne un semblant d’être
Lui l’Anti-Soleil éclipsant le soleil
Et vers qui au zénith des têtes s’étagent
Des hymnes, des cris, des drapeaux sanglants, des slogans.
En quel moule te prendre toute, ô multitude!
Caïn y a songé longtemps, s’est buté
A ta vision impénétrable, anguleuse
Démesure ! à perte de vue et de murs.
Face à la foule à reculons il marchait
Les bras écartés pour se remplir d’elle
Jusqu’à la sentir battre dans son cœur.
Il levait le poing à l’aplomb du Ciel vide
Pour ne faire de tous ces poings levés qu’un défi.
Ainsi donnait-il à l’espace trois axes
Lui aussi soumis à leur géométrie.
Toute courbe il la proscrivait, même d’un fleuve
Toute colline, fût-ce le moindre mamelon
Et tout ventre de femme grosse, et toute enceinte :
Ce qu’il rêvait c’était le plat le vertical
La droite vue de part en part, cet emboîtage
Géant! et concevait, ainsi rêvant
Des trois dimensions que se traçait son geste
Le Cube le bornant sans fin, l’incarcérant.
L’essentiel : qu’il n’y eût que terre nue et nulle
Autre vie que de l’homme seul. Ni un jardin
Ni un arbre, pas même une herbe. L’horizontale
Sans horizon sous la chaîne de l’arpenteur.
De bêtes, point. Et point d’oiseaux dans le ciel blême.
La surface bien cimentée de la Raison.
Et la Chose fondée dessus, issue en rêve
De l’utérus géométrique dont l’horreur
L’aurait glacé s’il avait su que c’était celle
De sa mortelle intelligence, ventre froid…
La Chose resserrée sur soi et qui s’étale
De partout hors de soi sans borne ! n’accordant
Qu’avec parcimonie accès à la lumière
Dans ses canyons vertigineux au bas desquels
Cette pollution qu’est l’homme se respire
A chaque souffle épaississant un reste d’air
Qui, jusqu’à quand, suspend l’imminente asphyxie
De l’espace étranglé par les abrupts de verre.
Telle enfin que Caîn la construit, la compacte
Chose humaine en béton vibré, regards murés!
Chose criarde qui balaie de son mutisme
Néon aveugle les étoiles hors du ciel :
Prison-usine où l’homme-outil se suractive
Dans l’inlassable effort athée de s’oublier.
Ici prier est criminel et même en songe
Les chiens sauraient flairer ce qu’ignorent les cœurs
Même son rêve accuse d’être le rêveur
C’est enfreindre la Loi que d’être sauf ensemble
L’être étant le gravier et la Loi le mortier.
Cette unanimité Caïn narguant le Vide
Croit que de sa louange elle lui crée un ciel
Qui n’est que son néant assourdissant, sa bouche
Clamant ses ordres et pourtant d’où rien ne sort.
L’homme au-dessus de soi ne voit que cette bouche Béante : il n’est que lui pour ouïr ce néant Dont le souffle saturant tout même les pierres Tout ce qui n’est pas lui en meurt ou devient lui L’homme, l’espace, les murailles de la Ville. Caïn peut être fier de l’œuvre de ses mains Œuvre qui l’est aussi de son souffle : il profère L’homme qui se cimente et monte, mur vivant. Face au Verbe de Dieu la Ville! c’est le verbe De Caîn et son fils face au Fils éternel Son fils qu’il a semé au ventre de sa femme
Avec le premier-né de chair : frères jumeaux
Ou bien le même en deux personnes, Ville et homme?
Le Livre là-dessus se tait. Rien n’y est dit
Qu’en énigme : Comme il bâtissait une ville
Il lui donna le nom de son aîné, Hénoch.
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Malgré Caïn Dieu travaille le cœur des hommes Comme à l’approche de l’hiver le laboureur. Ou bien dans leur esprit trace des signes! comme S’enfuit puis s’en revient un oiseau migrateur. Même ceux à qui l’on désapprend de se lire L’enfant qu’ils sont toujours sait épeler son nom. Même ceux dont la peur a voilé la pupille L’invisible parfois leur caresse les cils. Ces regards se sont-ils mêlés, imperceptibles? Ces deux forçats portant ensemble un même bois Voient-ils leur ombre au sol ne former qu’une croix ?
Tu t’étonnes parfois d’avoir une âme, d’être Seul, de loger cet hôte encombrant qui est Toi… Pour dérober ce clandestin à la police Tu as tenté d’abord de te le dérober Mais peux-tu bien longtemps te cacher à toi-même Quand ce Quelqu’un se met une fois à parler Et qu’il décline au plus secret de ton silence Votre commune inavouable Identité?
Il t’a fallu croupir au noir du mal, connaître Férocité et lâcheté nouant leur nœud En Cela que tu croyais être, dans le maître Que pour te posséder tu t’étais imposé En l’inventant de cette Nuit originelle
Où Caïn et Abel en toi furent semés.
Là, comme l’ordonnait Caïn, tu choisis d’être
Celui-ci et d’assassiner Abel en toi.
Tu savais que tout homme a pour Caïn tout autre
Et que nul n’est assez Caïn pour écarter
La meute dont il est et qui déjà le flaire
A l’instant où lui-même il égorge son frère
En attendant sur lui son tour d’être égorgé.
Et près de succomber sous les coups de ta haine
D’être défiguré par ton dégoût de toi
Piétiné par tes propres bottes innombrables
Détruit par la terreur cimentant tes amis
De devenir un jour cette chose innommable
Qui les rend enragés et honteux d’être unis,
Voici : de ton néant qui t’a presque ôté l’âme
S’élève un tel amour qu’il te rend infini
Toi le zek digne enfin d’être n’importe qui
D’être le Dieu roué que l’homme cloue sur l’homme
Et qui pleure de voir Caïn crucifié.
Un amour qui est la substance de ton être Qui est Toi si intime et lointain que jamais Tu ne pourras évaluer quelle distance T’en sépare ou quelle absolue proximité : Cet enfer que tu vis est vers lui ta louange Ce Caïn que tu fus tu lui as pardonné Et en lui à tous les bourreaux, à Caïn même… Tes yeux ne quittent pas les yeux du meurtrier Pour qu’il sache de toi avec quelle tendresse Abel mourant ne cesse de le contempler.
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Mais ce regard Caïn ne peut le supporter Il le redoute plus que l’œil béant du Vide Abîme viscéral qui bâille et pèse en lui. Lui faudra-t-il tuer sans fin, sans cesse éteindre Ces yeux qui s’il osait se faire face en eux Dessilleraient les siens sur l’être qu’il ignore Et lui restitueraient sa pure identité? Qu’il vienne, ce seul Jour entre les jours du monde Où Quelqu’un qui est lui l’attend depuis toujours Couvert de tout le sang dont il se rend coupable Et cependant immaculé comme l’Esprit ! Qu’Abel le premier-né des charniers de l’Histoire Ressuscite son Caïn mort qui lui survit Qu’il voie les yeux enfin innocents de son frère Se rouvrir sur son cœur par la plaie qu’il lui fit…
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