Catégorie : André Breton
IDENTITE

IDENTITE
à
André
Breton
Je suis je suis je suis ce que je ne sais pas
un ustensile de comparaisons
pour tamiser les vieux proverbes
à l’heure où l’aube blanche s’écroule en larmes
je suis un vieux péché de gloire morte
posé très délicatement
ainsi qu’une émeraude de naissance
sur la falaise des coïncidences
je suis un acrobate de fortune
qui termine son numéro
dans l’exacte nuance du dérisoire
une guitare qu’une vierge démantèle
dans une crise folle de chasteté
je suis ce qui n’a pas d’importance
qui se confond avec l’image en filigrane
d’une future vérité dès à présent défigurée
je suis un nœud de cette corde
qui traîne dans le champ
que demain vous pourriez découvrir
explorer sur les échasses de l’angoisse
je suis cet argument que l’on emploie
quand on veut se crucifier
la couverture que l’on cherche
pour se coucher frileusement
dans un ultime témoignage
le parfum d’un atome devenu vertueux
l’aile d’un caillou qui cherche son amant
je suis aval de votre damnation
et la source qui naît de l’âme d’un volcan.
Je suis à la rigueur aussi le visage voilé
un tout petit lambeau de
Christ
bien maladroit d’outre-mémoire
ainsi que vous voyez parfois
le cadavre d’un bel insecte
dans une toile d’araignée
dans l’aube violette
en la chapelle des quatre vents
tout au pied de la colline de votre enfance
Je suis un grand seigneur du domaine maudit
le magicien parfait de l’innocence noire
l’enfant déshérité qui n’aurait pas dû naître
l’homme vieux qui lutine une sévère mort
le magistrat secret des hautes hérésies
pour celte époque où
Dieu lissait ses plumes d
le souteneur désabusé qui se suicide
dans son bouge de vérité
la chaîne du forçat dans le mythe d’Antcc
la créance d’un saint sur le sein d’une fée
l’agenda d’un oiseau nourrissant ses petits
la perte blanche et pure d’un grand iconoclaste
l’indésirable perle en la neige perdue
je suis un grand seigneur du domaine des nues
Je suis le grand seigneur d’un orage latent
l’indicible souhait d’une orange d’amour
frappée de par l’éclair éblouissant
je suis le piétinement gris
d’une colonne de fourmis qui s’expatrient
l’argument de
Zenon dans les ruines d’Êlée
le linceul étoile des réincarnations
le souterrain secret fouillant le
Golgotha
le fabricant menu de sarcophages bleus
le croisé du silence en la gnose de feu
le pont-lcvis baissé sur la terre sans maître
le sténographe pur du murmure océan
je suis un grand seigneur au domaine du temps
Je suis un grand seigneur au domaine du rêve le beau cercle vicieux qui devient un cerceau pour l’enfant dépouillé au cartable d’azur le bagnard endormi qui charme les oiseaux
l’anachorète nu aiguisant des idées pour coudre le manteau de la femme damnée le critère parfait de l’indéterminé comme la plume au vent égratignant
l’été le coucher du soleil sur les seins de
Ninive le corsage échancré de la psychanalyse la côte du
Gabon par un torride été la chandelle de cire près du litre de lait le serment arraché aux lèvres de la fièvre je suis un grand seigneur au domaine du
rêve
Je suis un grand seigneur de l’osmose totale l’incombustible don de la source enchantée la fibre du bambou qui découvre le ciel la robe de silex abreuvé de patience le cil
purifié d’une pauvre
Marie le calligramme d’or de l’aveugle trahi l’échansin du futur pour la gourde du temps je suis le grand seigneur de l’ivresse d’antan
Je suis le grand seigneur d’une légende nue un gémeau allaité par la reine d’amour le truand de l’adieu sans esprit de retour
la clepsydre épuisée de mesurer
le temps la coupe de cristal et de hiérarchie par mon souci sur
le marbre brisée
la colonne d’Hercule en habit de clochard
la sentence d’un nain dans
le temple du soir
le crachat d’un apôtre en terre de
Judée
le testament d’un roi qui a donné ses terres
je suis un grand seigneur du sang de l’éphémère
20 janvier 1963
Achille Chavée
LA LANTERNE SOURDE

LA LANTERNE SOURDE
A
Aimé
Césaire,
Georges
Grattant,
René
Ménil
Et les grandes orgues c’est la pluie comme elle tombe ici et se parfume : quelle gare pour l’arrivée en tous sens sur mille rails, pour la manœuvre sur autant de plaques tournantes de
ses express de verre !
A toute heure elle charge de ses lances blanches et noires, des cuirasses volant en éclats de midi à ces armures anciennes faites des étoiles que je n’avais pas encore
vues.
Le grand jour de préparatifs qui peut précéder la nuit de
Walpurgis au gouffre d’Absa-lon!
J’y suis!
Pour peu que la lumière se voile, toute l’eau du ciel pique aussitôt sa tente, d’où pendent les agrès de vertige et de l’eau encore s’égoutte à l’accorder des
hauts instruments de cuivre vert.
La pluie pose ses verres de lampe autour des bambous, aux bobèches de ces fleurs de vermeil agrippées aux branches par des suçoirs, autour desquelles il n’y a qu’une minute
toutes les figures de la danse enseignées par deux papillons de sang.
Alors tout se déploie au fond du bol à la façon des fleurs japonaises, puis une clairière s’entrouvre : l’héliotropisme y saute avec ses souliers à poulaine et ses
ongles vrillés.
Il prend tous les coeurs, relève d’une aigrette la sensitive et pâme la fougère dont la bouche ardente est la roue du temps.
Mon œil est une violette fermée au centre de l’ellipse, à la pointe du fouet.
André Breton
ÉCOUTE AU COQUILLAGE

ÉCOUTE AU COQUILLAGE
Je n’avais pas commencé à te voir tu étais aube
Rien n’était dévoilé
Toutes les barques se berçaient sur le rivage
Dénouant les faveurs (tu sais) de ces boites de dragées
Roses et blanches entre lesquelles ambule une navette
d’argent
Et moi je t’ai nommée
Aube en tremblant
Dix ans après
Je te retrouve dans la fleur tropicale
Qui s’ouvre à minuit
Un seul cristal de neige qui déborderait la coupe de
tes deux mains
On l’appelle à la
Martinique la fleur du bal
Elle et toi vous vous partagez le mystère de l’existence
Le premier grain de rosée devançant de loin tous les
autres follement irisé contenant tout
Je vois ce qui m’est caché à tout jamais
Quand tu dors dans la clairière de ton bras sous les papillons de tes cheveux
Et quand tu renais du phénix de ta source
Dans la menthe de la mémoire
De la moire énigmatique de la ressemblance dans un
miroir sans fond
Tirant l’épingle de ce qu’on ne verra qu’une fois
Dans mon cœur toutes les ailes du milkweed
Frètent ce que tu me dis
Tu portes une robe d’été que tu ne te connais pas
Presque immatérielle elle est constellée en tous sens
d’aimants en fer à cheval d’un beau rouge minium
à pieds bleus
Sur mer, 1946.
André Breton
PERSONNAGE BLESSE – CONSTELLATION
PERSONNAGE BLESSE – CONSTELLATION
L’homme tourne toute la vie autour d’un petit bois cadenassé dont il ne distingue que les fûts noirs d’où s’élève une vapeur rose.
Les souvenirs de l’enfance lui font à la dérobée croiser la vieille femme que la toute première fois il en a vu sortir avec un très mince fagot d’épines
incandescentes. (Il avait été fasciné en même temps qu’il s’était entendu crier, puis ses larmes par enchantement s’étaient taries au scintillement du bandeau de
lin qu’aujourd’hui il retrouve dénoué dans le ciel.)
Cette lointaine initiation le penche malgré lui sur le fil des poignards et lui fait obsessionnellemenl caresser celle balle d’argent que le comte
Potocki passe pour avoir polie des saisons durant à dessein de se la loger dans la tète.
Sans savoir comment il a bien pu y pénétrer, à tout moment l’homme peut s’éveiller à l’intérieur du bois en douce chute libre d’ascenseur au
Palais des
Mirages entre les arbres éclairés du dedans dont vainement il tentera d’écarter de lui une feuille cramoisie.
André Breton
LES MINES AUX TORTS A RAISON 2
LES MINES AUX TORTS A RAISON 2
Déjà décidé à rétablir la vérité, j’entrais à l’Ecole convaincre l’Académie que le bleu c’était pas une couleur froide. Toi tu démontrais ta parfaite connaissance de Marguerite. Ce qui montra immédiatement combien notre communauté solaire n’était pas une de ces idées qu’on se glisse dans la tête. D’ailleurs la tête, mis à part tes passages toro, ça a jamais été notre lieu de prédilection
Pendant que tu montais le podium, je traînais S’-Germain-des-Prés comme une seconde nature, une même femme en tête de liste dans nos agendas, Barbara qu’à s’appelle toujours, j’y suis passé le premier par son Ecluse. Une vraie forge de Vulcain qui m’a amené à fréquenter des gens très recommandables, Ferré, Brassens, Brel, Reggiani, Bertin et des quantités d’autres, l’Epoque là était pas radine en beauté. Sans compter que le Tabou comme fournisseur c’était haut de gamme. Boris était une sacrée sphère à lui tout seul. Juju avant de se faire refaire le nez avait mis sur la place son né fabuleux, un tablier de sapeur qui lui valut le titre de Miss Vice. Imagines, le vice d’alors comparé à celui d’aujourd’hui
On aimait bien la Rose Rouge aussi. C’était un lieu d’acteurs cinéma et théâtre le fréquentait
Puis clou du spectacle, Char, Camus, Eluard, Breton, le Surréalisme, Sartre, Le Castor, Aragon, Prévert, Cocteau, Picasso, et d’autres comme nourriture difficile de faire mieux
Nos nuit à la Rhumerie et au Babylone ont des oreillers neufs, ont dormait pas
La Ruche, en plein Giacometti, Chagall…
Rien que de voir passer ce tant là, je comprends ta rage à vouloir pas en être écartée. L’amour est fondé en ces lieux
C’est mon Paname au complet réunissant le passé au présent, Montmartre et Montparnasse avant la grande débacle
Et vinrent les années de guerre…
Niala-Loisobleu – 25 Mars 2020
André Breton – Lettre à Aube
COURS-LES TOUTES
COURS-LES TOUTES
A
Benjamin
Péret
Au cœur du territoire indien d’Oklahoma
Un homme assis
Dont l’œil est comme un chat qui tourne autour d’un pot de chiendent
Un homme cerné
Et par sa fenêtre
Le concile des divinités trompeuses inflexibles
Qui se lèvent chaque matin en plus grand nombre du
brouillard
Fées fâchées
Vierges à’ l’espagnole inscrites dans un étroit triangle
isocèle
Comètes fixes dont le vent décolore les cheveux
Le pétrole comme les cheveux d’Éléonore
Bouillonne au-dessus des continents
Et dans sa voix transparente
A perte de vue il y a des armées qui s’observent
Il y a des chants qui voyagent sous l’aile d’une lampe
Il y a aussi l’espoir d’aller si vite
Que dans tes yeux
Se mêlent au fil de la vitre les feuillages et les lumières
Au carrefour des routes nomades
Un homme
Autour de qui on a tracé un cercle
Comme autour d’une poule
Enseveli vivant dans le reflet des nappes bleues
Empilées à l’infini dans son armoire
Un homme à la tête cousue
Dans les bas du soleil couchant
Et dont les mains sont des poissons-coffres
Ce pays ressemble à une immense boîte de nuit
Avec ses femmes venues du bout du monde
Dont les épaules roulent les galets de toutes les mers
Les agences américaines n’ont pas oublié de pourvoir
à ces chefs indiens
Sur les terres desquels on a foré les puits
Et qui ne restent libres de se déplacer
Que dans les limites imposées par le traité de guerre
La richesse inutile
Les mille paupières de l’eau qui dort
Le curateur passe chaque mois
Il pose son gibus sur le lit recouvert d’un voile de flèches
Et de sa valise de phoque
Se répandent les derniers catalogues des manufactures
Ailés de la main qui les ouvrait et les fermait quand nous étions enfants
Une fois surtout une fois
C’était un catalogue d’automobiles
Présentant la voiture de mariée
Au speeder qui s’étend sur une dizaine de mètres
Pour la traîne
La voiture de grand peintre
Taillée dans un prisme
La voiture de gouverneur
Pareille à un oursin dont chaque épine est un lance-flammes
II y avait surtout
Une voiture noire rapide
Couronnée d’aigles de nacre
Et creusée sur toutes ses facettes de rinceaux de
cheminées de salon
Comme par les vagues
Un carrosse ne pouvant être mu que par l’éclair
Comme celui dans lequel erre les yeux fermés la
princesse
Acanthe
Une brouette géante toute en limaces grises
Et en langues de feu comme celle qui apparaît aux
heures fatales dans le jardin de la tour
Saint-Jacques
Un poisson rapide pris dans une algue et multipliant
les coups de queue
Une grande voiture d’apparat et de deuil
Pour la dernière promenade d’un saint empereur à
venir
De fantaisie
Qui démoderait la vie entière
Le doigt a désigné sans hésitation l’image glacée
Et depuis lors
L’homme à la crête de triton
A son volant de perles
Chaque soir vient border le lit de la déesse du mais
Je garde pour l’histoire poétique
Le nom de ce chef dépossédé qui est un peu le nôtre
De cet homme seul engagé dans le grand circuit
De cet homme superbement rouillé dans une machine
neuve
Qui met le vent en berne
Il s’appelle
Il porte le nom flamboyant de
Cours-les toutes
A la vie à la mort cours à la fois les deux lièvres
Cours ta chance qui est une volée de cloches de fête et
d’alarme
Cours les créatures de tes rêves qui défaillent rouées à
leurs jupons blancs
Cours la bague sans doigt
Cours la tête de l’avalanche
29 octobre 1938.
André Breton
FEMME ET OISEAU – CONSTELLATION
FEMME ET OISEAU – CONSTELLATION
Le chat rêve et ronronne dans la lutherie brune.
Il scrute le fond de l’ébène et dé biais lape à distance le tout vif acajou.
C’est l’heure où le sphinx de la garance détend par milliers sa trompe autour de la fontaine de
Vaucluse et où partout la femme n’est plus qu’un calice débordant de voyelles en liaison avec le magnolia inimitable de la nuit.
André Breton
FATA MORGANA
FATA MORGANA
Ce matin la fille de la montagne tient sur ses genoux
un accordéon de chauves-souris blanches
Un jour un nouveau jour cela me fait penser à un
objet que je garde
Alignés en transparence dans un cadre des tubes en
verre de toutes les couleurs de philtres de liqueurs
Qu’avant de me séduire il ait dû répondre peu importe
à quelque nécessité de représentation commerciale
Pour moi nulle œuvre d’art ne vaut ce petit carré fait
de l’herbe diaprée à perte de vue de la vie
Un jour un nouvel amour et je plains ceux pour qui
l’amour perd à ne pas changer de visage
Comme si de l’étang sans lumière la carpe qui me tend
à l’éveil une boucle de tes cheveux
N’avait plus de cent ans et ne me taisait tout ce que
je dois pour rester moi-même ignorer
Un nouveau jour est-ce bien près de toi que j’ai dormi
J’ai donc dormi j’ai donc passé les gants de mousse
Dans l’angle je commence à voir briller la mauvaise
commode qui s’appelle hier
Il y a de ces meubles embarrassants dont le véritable office est de cacher des issues
De l’autre côté qui sait la barque aimantée nous pourrions partir ensemble
A la rencontre de l’arbre sous l’écorce duquel il est dit
Ce qu’à nous seuls nous sommes l’un à l’autre dans la grande algèbre
Il y a de ces meubles plus lourds que s’ils étaient emplis de sable au fond de la mer
Contre eux il faudrait des mots-leviers
De ces mots échappés d’anciennes chansons qui vont au superbe paysage de grues
Très tard dans les ports parcourus en zigzag de bouquets de fièvre
Écoute
Je vois le lutin
Que d’un ongle tu mets en liberté
En ouvrant un paquet de cigarettes
Le héraut-mouche qui jette le sel de la mode
Si zélé à faire croire que tout ne doit pas être de toujours
Celui qui exulte à faire dire
Allô je n’entends plus
Comme c’est joli qu’est-ce que ça rappelle
Si j’étais une ville dis-tu
Tu serais
Ninive sur le
Tigre
Si j’étais un instrument de travail
Plût au ciel noir
tu serais la canne des cueilleurs dans les verreries
Si j’étais un symbole
Tu serais une fougère dans une
nasse
Et si j’avais un fardeau à porter
Ce serait une boule
faite de têtes d’hermines qui crient
Si je devais fuir la nuit sur une route
Ce serait le
sillage du géranium
Si je pouvais voir derrière moi sans me retourner
Ce serait l’orgueil de la torpille
Comme c’est joli
En un rien de temps
Il faut convenir qu’on a vu s’évanouir dans un rêve
Les somptueuses robes en tulle pailleté des .arroseuses
municipales
Et même plier bagage sous le regard glacial de l’amiral
Coligny
Le dernier vendeur de papier d’Arménie
De nos jours songe qu’une expédition se forme pour
la capture de l’oiseau quetzal dont on ne possède
plus en vie oui en vie que quatre exemplaires
Qu’on a vu tourner à blanc la roulette des marchands
de plaisir
Qu’est-ce que ça rappelle
Dans les hôtels à plantes vertes c’est l’heure où les charnières des portes sans nombre
D’un coup d’archet s’apprêtent à séparer comme les oiseaux les chaussures les mieux accordées
Sur les paliers mordorés dans le moule à gaufre fracassé où se cristallise le bismuth
A la lumière des châteaux vitrifiés du mont
Knock-Farril dans le comté de
Ross
Un jour un nouveau jour cela me fait penser à un objet que garde mon ami
Wolfgang
Paalen
D’une corde déjà grise tous les modèles de nœuds réunis sur une planchette
Je ne sais pourquoi il déborde tant le souci didactique
qui a présidé à sa construction sans doute pour une
école de marins
Bien que l’ingéniosité de l’homme donne ici sa fleur
que nimbe la nuée des petits singes aux yeux
pensifs
En vérité aucune page des livres même virant au
pain bis n’atteint à cette vertu conjuratoire rien
ne m’est si propice
Un nouvel amour et que d’autres tant pis se bornent
à adorer
La bête aux écailles de roses aux flancs creux dont
j’ai trompé depuis longtemps la vigilance
Je commence à voir autour de moi dans la grotte
Le vent lucide m’apporte le parfum perdu de l’existence
Quitte enfin de ses limites
A cette profondeur je n’entends plus sonner que le
patin
Dont parfois l’éclair livre toute une perspective
d’armoires à glace écroulées avec leur linge
Parce que tu tiens
Dans mon être la place du diamant serti dans une vitre
Qui me détaillerait avec minutie le gréement des
astres
Deux mains qui se cherchent c’est assez pour le toit
de demain
Deux mains transparentes la tienne le murex dont
les anciens ont tiré mon sang
Mais voici que la nappe ailée
S’approche encore léchée de la flamme des grands vins
Elle comble les arceaux d’air boit d’un trait les lacunes des feuilles
Et joue à se faire prendre en écharpe par l’aqueduc
Qui roule des pensées sauvages
Les bulles qui montent à la surface du café
Après le sucre le charmant usage populaire qui veut
que les prélève la cuiller
Ce sont autant de baisers égarés
Avant qu’elles ne courent s’anéantir contre les bords 0 tourbillon plus savant que la rose
Tourbillon qui emporte l’esprit qui me regagne à
l’illusion enfantine
Que tout est là pour quelque chose qui me concerne
Qu’est-ce qui est écrit
Il y a ce qui est écrit sur nous et ce que nous écrivons
Où est la grille qui montrerait que si son tracé extérieur
Cesse d’être juxtaposable à son tracé intérieur
La main passe
Plus à portée de l’homme il est d’autres coïncidences
Véritables fanaux dans la nuit du sens
C’était plus qu’improbable c’est donc exprès
Mais les gens sont si bien en train de se noyer
Que ne leur demandez pas de saisir la perche
Le lit fonce sur ses rails de miel bleu
Libérant en transparence les animaux de la sculpture
médiévale
Il incline prêt à verser au ras des talus de digitales
Et s’éclaire par intermittence d’yeux d’oiseaux de
proie
Chargés de tout ce qui émane du gigantesque casque emplumé d’Otrante
Le lit fonce sur ses rails de miel bleu
Il lutte de vitesse avec les ciels changeants
Qui conviennent toujours ascension des piques de
clôture des parcs
Et boucanage de plus belle succédant au lever de
danseuses sur le comptoir
Le lit brûle les signaux il ne fait qu’un de tous les
bocaux de poissons rouges
Il lutte de vitesse avec les ciels changeants
Rien de commun tu sais avec le petit chemin de fer
Qui se love à
Cordoba du
Mexique pour que nous ne
nous lassions pas de découvrir
Les gardénias qui embaument dans de jeunes pousses
de palmier évidées
Ou ailleurs pour nous permettre de choisir
Du marchepied dans les lots d’opales et de turquoises
brutes
Non le lit à folles aiguillées ne se borne pas à dérouler
la soie des lieux et des jours incomparables
Il est le métier sur lequel se croisent les cycles et
d’où sourd ce qu’on pressent sous le nom de musique
des sphères
Le lit brûle les signaux il ne fait qu’un de tous les
bocaux de poissons rouges
Et quand il va pour fouiller en sifflant le tunnel charnel
Les murs s’écartent la vieille poudre d’or à n’y plus
voir se lève des registres d’état-civil
Enfin tout est repris par le mouvement de la mer
Non le lit à folles aiguillées ne se borne pas à dérouler
la soie des lieux et des jours incomparables
C’est la pièce sans entractes le rideau levé une fois pour toutes sur la cascade
Dis-moi
Comment se défendre en voyage de
Parrière-pensée
pernicieuse
Que l’on ne se rend pas où l’on voudrait
La petite place qui fuit entourée d’arbres qui diffèrent
imperceptiblement de tous les autres
Existe pour que nous la traversions sous tel angle
dans la vraie vie
Le ruisseau en cette boucle même comme en nulle
autre de tous les ruisseaux
Est maître d’un secret qu’il ne peut faire nôtre à la volée
Derrière la fenêtre celle-ci faiblement lumineuse entre bien d’autres plus ou moins lumineuses
Ce qui se passe
Est de toute importance pour nous peut-être faudrait-il revenir
Avoir le courage de sonner
Qui dit qu’on ne nous accueillerait pas à bras ouverts
Mais rien n’est vérifié tous ont peur nous-mêmes
Avons presque aussi peur
Et pourtant je suis sûr qu’au fond du bois fermé à clé qui tourne en ce moment contre la vitre
S’ouvre la seule clairière
Est-ce là l’amour cette promesse qui nous dépasse
Ce billet d’aller et retour éternel établi sur le modèle de la phalène chinée
Est-ce l’amour ces doigts qui pressent la cosse du brouillard
Pour qu’en jaillissent les villes inconnues aux portes
hélas éblouissantes
L’amour ces fils télégraphiques qui font de la lumière
insatiable un brillant sans cesse qui se rouvre
De la taille même de notre compartiment de la nuit
Tu viens à moi de plus loin que l’ombre je ne dis
pas dans l’espace des séquoias millénaires
Dans ta voix se font la courte échelle des trilles
d’oiseaux perdus
Beaux dés pipés
Bonheur et malheur
Au bonneteau tous ces yeux écarquillés autour
d’un parapluie ouvert
Quelle revanche le santon-puce de la bohémienne
Ma main se referme sur elle
Si j’échappais à mon destin
Il faut chasser le vieil aveugle des lichens du mur
d’église
Détruire jusqu’au dernier les horribles petits folios
déteints jaunes verts bleus roses
Ornés d’une fleur variable et exsangue
Qu’il vous invite à détacher de sa poitrine
Un à un contre quelques sous
Mais toujours force reste
Au langage ancien les simples la marmite
Une chevelure qui vient au feu
Et quoi qu’on fasse jamais happé au cœur de toute
lumière
Le drapeau des pirates
Un homme grand engagé sur un chemin périlleux
Il ne s’est pas contenté de passer sous un bleu d’ouvrier les brassards à pointes acérées d’un criminel célèbre
A sa droite le lion dans sa main
Voursin
Se dirige vers l’est
Où déjà le tétras gonfle de vapeur et de bruit sourd les airelles
Voilà qu’il tente de franchir le torrent les pierres qui
sont des lueurs d’épaules de femmes au théâtre
Pivotent en vain très lentement
J’avais cessé de le voir il reparaît un peu plus bas sur
l’autre berge
Il s’assure qu’il est toujours porteur de l’oursin
A sa droite le lion ail right
Le sol qu’il effleure à peine crépite de débris de faulx
En même temps cet homme descend précipitamment un escalier au cœur d’une ville il a déposé sa cuirasse
Au dehors on se bat contre ce qui ne peut plus durer
Cet homme parmi tant d’autres brusquement semblables
Qu’est-il donc que se sent-il donc de plus que lui-même
Pour que ce qui ne peut plus
durer ne dure plus
Il est tout prêt à ne plus durer lui-même
Un pour tous advienne que pourra
Ou la vie serait la goutte de poison
Du non-sens introduite dans le chant de l’alouette au-dessus des coquelicots
La rafale passe
En même temps
Cet homme qui relevait des casiers autour du phare
Hésite à rentrer il soulève avec précaution des algues
et des algues
Le vent est tombé ainsi soit-il
Et encore des algues qu’il repose
Comme s’il lui était interdit de découvrir dans son ensemble le jeune corps de femme le plus secret
D’où part une construction ailée
Ici le temps se brouille à la fois et s’éclaire
Du trapèze tout en cigales
Mystérieusement une très petite fille interroge
André tu ne sais pas pourquoi je résédise
Et aussitôt une pyramide s’élance au loin
A la vie à la mort ce qui commence me précède et m’achève
Une fine pyramide à jour de pierre dure
Reliée à ce beau corps par des lacets vermeils
De la brune à la blonde
Entre le chaume et la couche de terreau
Il y a place pour mille et une cloches de verre
Sous lesquelles revivent sans fin les têtes qui m’enchantent
Dans la suspension du sacre
Têtes de femmes qui se succèdent sur tes épaules quand tu dors
Il en est de si lointaines
Têtes d’hommes aussi
Innombrables à commencer par ces chefs d’empereurs à la barbe glissante
Le maraîcher va et vient sous sa housse
Il embrasse d’un coup d’œil tous les plateaux montés cette nuit du centre de la terre
Un nouveau jour c’est lui et tous ces êtres
Aisément reconnaissables dans les vapeurs de la campagne
C’est toi c’est moi à tâtons sous l’éternel déguisement
Dans les entrelacs de l’histoire momie d’ibis
Un pas pour rien comme on cargue la voilure momie d’ibis
Ce qui sort du côté cour rentre par le côté jardin momie d’ibis
Si le développement de l’enfant permet qu’il se libère du fantasme de démembrement de dislocation du corps momie d’ibis
Il ne sera jamais trop tard pour en finir avec le mor-celage de l’âme momie d’ibis
Et par toi seule sous toutes ses facettes de momie d’ibis
Avec tout ce qui n’est plus ou attend d’être je retrouve l’unité perdue momie d’ibis
Momie d’ibis du non-choix à travers ce qui me parvient
Momie d’ibis qui veut que tout ce que je puis savoir
contribue à moi sans distinction
Momie d’ibis qui me fait l’égal tributaire du mal et
du bien
Momie d’ibis du sort goutte à goutte où l’homéopathie dit son grand mot
Momie d’ibis de la quantité se muant dans l’ombre en qualité
Momie d’ibis de la combustion qui laisse en toute
cendre un point rouge
Momie d’ibis de la perfection qui appelle la fusion
incessante des créatures imparfaites
La gangue des statues ne me dérobe de moi-même
que ce qui n’est pas le produit aussi précieux de
la semence des gibets momie d’ibis
Je suis
Nietzsche commençant à comprendre qu’il
est à la fois
Victor-Emmanuel et deux assassins
des journaux
Astu momie d’ibis
C’est à moi seul que je dois tout ce qui s’est écrit
pensé chanté momie d’ibis
Et sans partage toutes les femmes de ce monde je
les ai aimées momie d’ibis
Je les ai aimées pour t’aimer mon unique amour
momie d’ibis
Dans le vent du calendrier dont les feuilles s’envolent
momie d’ibis
En vue de ce reposoir dans le bois momie d’ibis sur
le parcours du lactaire délicieux
Ouf le basilic est passé tout près sans me voir
Qu’il revienne je tiens braqué sur lui le miroir
Où est faite pour se consommer la jouissance humaine
imprescriptible
Dans une convulsion que termine un éclaboussement
de plumes dorées
Il faudrait marquer ici de sanglots non seulement
les attitudes du buste
Mais encore les effacements et les oppositions de la tête
Le problème reste plus ou moins posé en chorégraphie
Où non plus je ne sache pas qu’on ait trouvé de mesure
pour l’éperdu
Quand la coupe ce sont précisément les lèvres
Dans cette accélération où défilent
Sous réserve de contrôle
Au moment où l’on se noie les menus faits de la vie
Mais les cabinets d’antiques abondent en pierres
d’Abraxas
Trois cent soixante-cinq fois plus méchantes que le
jour solaire
Et l’œuf religieux du coq
Continue à être couvé religieusement par le crapaud
Du vieux balcon qui ne tient plus que par un fil de lierre
Il arrive que le regard errant sur les dormantes eaux
du fossé circulaire
Surprenne en train de se jouer le progrès hermétique
Tout de feinte et dont on ne saurait assez redouter
La séduction infinie
A l’en croire rien ne manque qui ne soit donné en
puissance et c’est vrai ou presque
La belle lumière électrique pourvu que cela ne te
la fane pas de penser qu’un jour elle paraîtra jaune
De haute lutte la souffrance a bien été chassée de
quelques-uns de ses fiefs
Et les distances peuvent continuer à fondre
Certains vont même jusqu’à soutenir qu’il n’est pas
impossible que l’homme
Cesse de dévorer l’homme bien qu’on n’avance guère
de ce côté
Cependant cette suite de prestiges je prendrai garde
comme une toile d’araignée étincelante
Qu’elle ne s’accroche à mon chapeau
Tout ce qui vient à souhait est à double face et fallacieux
Le meilleur à nouveau s’équilibre de pire
Sous le bandeau de fusées
Il n’est que de fermer les yeux
Pour retrouver la table du permanent
Ceci dit la représentation continue
Eu égard ou non à l’actualité
L’action se passe dans le voile du hennin d’Isabeau de
Bavière
Toutes dentelles et moires
Aussi fluides que l’eau qui fait la roue au soleil sur les glaces des fleuristes d’aujourd’hui
Le cerf blanc à reflets d’or sort du bois du
Châtelet
Premier plan de ses yeux qui expriment le rêve des chants d’oiseaux du soir
Dans l’obliquité du dernier rayon le sens d’une révélation mystérieuse
Que sais-je encore et qu’on sait capables de pleurer
Le cerf ailé frémit il fond sur l’aigle avec l’épée
Mais l’aigle est partout
sus à lui
il y a eu l’avertissement
De cet homme dont les chroniqueurs s’obstinent à rapporter dans une intention qui leur échappe
Qu’il était vêtu de blanc de cet homme bien entendu qu’on ne retrouvera pas
Puis la chute d’une lance contre un casque ici le musicien a fait merveille
C’est toute la raison qui s’en va quand l’heure pourrait être frappée sans que tu y sois
Dans les ombres du décor le peuple est admis à contempler les grands festins
On aime toujours beaucoup voir manger sur la scène
De l’intérieur du pâté couronné de faisans
Des nains d’un côté noirs de l’autre arc-en-ciel soulèvent le couvercle
Pour se répandre dans un harnachement de grelots et de rires
Eclat contrasté de traces de coups de feu de la croûte qui tourne
Enchaîné sur le bal des
Ardents rappel en trouble de l’épisode qui suit de près celui du cerf
Un homme peut-être trop habile descend du haut
des tours de
Notre-Dame
En voltigeant sur une corde tendue
Son balancier de flambeaux leur lueur insolite au
grand jour
Le buisson des cinq sauvages dont quatre captifs
l’un de l’autre le soleil de plumes
Le duc d’Orléans prend la torche la main la mauvaise
main
Et quelque temps après à huit heures du soir la main
On s’est toujours souvenu qu’elle jouait avec le gant
La main le gant une fois deux fois trois fois
Dans l’angle sur le fond du palais le plus blanc les
beaux traits ambigus de
Pierre de
Lune à cheval
Personnifiant le second luminaire
Finir sur l’emblème de la reine en pleurs
Un souci
Plus ne m’est rien rien ne m’est plus
Oui sans toi
Le soleil
Marseille, décembre 1940
André Breton




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