NOUS MAINTIENDRONS LA SOURCE


NOUS MAINTIENDRONS LA SOURCE

A la ligne où les arbres perdent leurs feuilles

au bord de la douane

je choisis la contrebande à cette nouvelle-frontière

pour passer ce que mes rêves n’ont dérobé à personne

En jarres pleines de son derme à ELLE sans perdre un pétale et rester fort dans le deuil en escale d’une montée à dos d’éléphant vers la Ville Bleue

un marché flottant

un arbre où dort l’enfant mort-né

un temple qui s’étale au soleil-couchant

des chats qui sautent sur le pont de l’île aux bonzes pour aboutir

à la fondation Niala où les enfants viendront NOUS dire en espagnol :

L’Enfant Stanton

de

federico garcia lorca

Niala-Loisobleu.

23 Septembre 2023

– Do you like me ?
– Yes, and you ?
– Yes, yes.

Quand je suis seul
il me reste encore tes dix ans,
les trois chevaux aveugles,
tes quinze visages avec le visage du coup de caillou
et les petites fièvres glacées sur les feuilles du maïs.
Stanton, mon fils, Stanton.
À minuit le cancer sortait dans les couloirs
et parlait aux escargots vides des documents,
le très vif cancer plein de nuées et de thermomètres
avec son chaste désir de pomme pour que le piquent les rossignols.

Dans la maison où il n’y a pas de cancer
les murs blancs se brisent dans le délire de l’astronomie
et dans les étables les plus petites et sur les croix des forêts
brille de longues années la lueur de la brûlure.
Ma douleur saignait le long des après-midi
quand tes yeux étaient deux murs,
quand tes mains étaient deux pays
et mon corps rumeur de l’herbe.
Mon agonie cherchait son vêtement,
poussiéreuse, mordue par les chiens,
et tu l’accompagnas sans trembler
jusqu’à la porte de l’eau sombre.
O mon Stanton, idiot et beau parmi les animaux tout petits,
avec ta mère fracturée par les forgerons du village,
avec un frère sous les arcades,
un autre mangé par les fourmilières,
et le cancer sans barbelés, qui palpite dans les chambres !
Il y a des nourrices qui donnent aux enfants
des rivières de mousse et une amertume debout,
et quelques négresses montent aux étages pour distribuer un filtre de rat.
Car il est vrai que les gens
veulent jeter les colombes aux égouts
et je sais ce qu’espèrent ceux qui dans la rue
nous pressent soudain le bout des doigts.

Ton ignorance est une montagne de lions, Stanton.
Le jour où le cancer t’a fouetté,
t’a craché au dortoir où les hôtes moururent d’épidémie,
a ouvert sa rose brisée de vitres sèches et de mains molles
pour éclabousser de boue les pupilles de ceux qui naviguent,
tu as cherché dans l’herbe mon agonie,
mon agonie aux fleurs de terreur,
tandis que l’aigre cancer muet qui veut coucher avec toi
pulvérisait des paysages rouges sur les draps d’amertume,
et mettait sur les cercueils
des arbrisseaux d’acide borique.
Stanton, va-t’en à la forêt avec ses harpes juives,
va-t’en apprendre des paroles célestes
qui dorment aux troncs des arbres, dans les nuages, les tortues,
les iris sans sommeil et les eaux sans reflet,
afin d’apprendre, mon fils, ce que ton peuple oublie.
Quand commencera le tumulte de la guerre
je laisserai au bureau un morceau de fromage pour ton chien.
Tes dix seront les feuilles
sur l’épaule de mon petit jour.
Et moi, Stanton, moi seul, oublié,
tes visages fanés sur ma bouche,
je pénétrerai à grands cris les vertes statues de la Malaria.

Federico Garcia Lorca