LE CHÂTEAU PAR ROGER CAILLOIS


LE CHÂTEAU PAR ROGER CAILLOIS

Le fond de la pierre est bistre pâle. Le profil d’un vaste château s’y découpe en brun luisant. Sous une lumière rasante, le fond devient mat et le sombre édifice miroite d’un éclat presque métallique. Les valeurs changent, les contours demeurent. De profonds chemins de ronde séparent les enceintes successives. Au centre, une tour à plusieurs étages domine l’ensemble des constructions. Il s’agit d’une coupe transversale sans épaisseur ni perspective, qui donne seulement l’élévation du bâti¬ ment imaginé. Si haut qu’on le suppose, il est encore dominé, ombragé par de larges feuilles inclinées de fou¬ gères arborescentes. Elles déploient leur dentelle bien au-dessus des tours. Le spectateur se demande quelle végétation a pu développer d’aussi gigantesques ramages, qui réduisent un palais à la dimension d’une maison de poupées. L’œil hésite et, ne sachant que choisir pour échelle de grandeur, tour à tour magnifie la fou¬ gère et amoindrit l’édifice. À droite, dans le ciel, des oiseaux tourbillonnent ; à gauche, il n’y en a qu’un, mais immense ; les ailes déployées et le cou tendu vers le bas, il fond sur les terrasses inégales où s’agite un étrange peuple.
Car le château est habité ; sur chaque terrasse, au fond de chaque fossé, dans chaque fenêtre ou escaladant les murs, se tiennent des silhouettes parallèles, orientées dans la même direction et figées dans la même attitude. Ces personnages fort distincts, quoique maladroitement tracés, semblables aux «bonshommes» que dessinent les enfants, sont tous debout, de profil, tournés vers la droite. Comme s’ils étaient aveugles, ils étendent leurs bras loin devant eux, dans le vide ou jusqu’à la paroi pro¬ chaine. Eux aussi ne sont qu’ombres chinoises. Leur absence d’épaisseur ajoute à l’irréalité de la scène. Que regardent ces êtres plats ? Où se dirigent-ils ? Leur geste est-il de protection ou de vénération ? Tout à droite, de l’autre côté d’une sorte de pont, la seule silhouette qui soit différente semble les attendre. Elle n’est pas de pro¬ fil. Une tache blanche lui donne l’ébauche d’un visage. Toute la scène est trois fois traversée par l’étincelle céleste ; biffée du zigzag blanc de l’éclair à l’instant où il foudroie un univers dément.
À plusieurs points de vue, rien ne ressemble davantage à une image.

Roger Caillois

Chemin Barré


Chemin Barré

Volets clos l’atelier prend ses distances, tempête et peint qui s’envole s’écartent de commentaires

Chandeille mise à taire porte ombrage

Quelques heures à chercher où s’abriter du risque d’objets non identifiés…

Niala-Loisobleu – 8 Avril 2022

LA PREMIERE SOURCE


LA PREMIERE SOURCE

Tombée du lit du temps sur le feu d’une action, de grâce sa poitrine frémit à l’intérieur des pierres du torrent

la branche haute dresse l’aiguille sur sa virginité

il y aurait eu un idéal avant la naissance des moules

entre les doigts la terre glisse dans la poussée des pieds, l’émail ouvre la porte du four

Georges Rouault taille le bois pour que le cerf brame

qu’est-ce qui va sortir des jarres ?

Niala-Loisobleu – 7 Avril 2022

Cailloux blancs


Cailloux blancs

Des galets roulés au lapidaire des marées le polissage estompe les rugosités

Une astérie pointe le cap où se reconnaît la direction première qui marquait le but

L’émotion a renforcé ses fondations et l’écume son blanc-d’œufs

Le corps remuscle sa montée verticale au chant de l’oiseau.

Niala-Loisobleu – 7 Avril 2022

ENTRE TIEN EMOI 132


ENTRE TIEN EMOI 132

Au gris du ciel l’ocre des tuiles tend son feu

où la clarté du phénix tire la chevillette de la clef zygomatique

goût de peau que la bretelle laisse monter à la chute élastique de raideurs défaites

l’aine en son pli ourlé d’herbe et de soie que la rosée fait frissonner se teinte du bleu des matins où qu’il pleuve, neige ou vente la mer est navigable

et le tapis de l’atelier bourdonnant comme ruche

Le vert mit au fruit en gestation cligne de l’oeil au soleil

c’est à peindre show.

Niala-Loisobleu – 6 Avril 2022

PAR LA PORTE DU FOND


PAR LA PORTE DU FOND

Entre la force des arbres séculaires et le menu du jour je m’assied à table en prenant la porte du fond

Un petit gris traverse le ciel, cagouillard ce nuage d’Avril

La lanterne compensera la couleur hésitante du drapeau de la plage

En passant sous tes fenêtres j’ai vu de la lumière et pas n’importe laquelle. Ce qui m’a été confirmé en voyant la façon comme le chien que tu avais sorti, levait la patte

Voilà un jour à sortir les tons chauds

En grattant l’écorce du cerisier je trouverais de ta sève en droite ligne de ton ventre qui salive les mots d’un littoral corse

Ce qui me séparera plus encore de l’outre-noir pour presser le chant du rossignol de mon en vie.

Niala-Loisobleu – 6 Avril 2022

LIN DIT (REPRISE)


LIN DIT (REPRISE)

A l’échappée de ta hanche, la contrescarpe de maisons blanches borde à flanc le parapet à l’aire panoramique où ta nudité libère la clarté de ton intention.

Ce qui n’était que poussière est retombé dans la gueule d’un vent voyeur d’à venir.

Tremblement qui fend le jet de la branche au claquement de coque. Le noyau visiblement charnu bave de la couleur du suc. Pulpeuse déclaration faite, les abeilles rapporteront le présent à leur reine

Déjà un verger avance sa promesse à la coupe des paumes tendue. Le soleil dissout l’ombre qui borde le chemin.

Niala-Loisobleu – 30/04/18

MERLIN ET LA VIEILLE FEMME PAR GUILLAUME APOLLINAIRE


MERLIN ET LA VIEILLE FEMME PAR GUILLAUME APOLLINAIRE

Le soleil ce jour-là s’étalait comme un ventre

Maternel qui saignait lentement sur le ciel

La lumière est ma mère ô lumière sanglante

Les nuages coulaient comme un flux menstruel

Au carrefour où nulle fleur sinon la rose
Des vents mais sans épine n’a fleuri l’hiver
Merlin

guettait la vie et l’éternelle cause
Qui fait mourir et puis renaître l’univers

Une vieille sur une mule à chape verte
S’en vint suivant la berge du fleuve en aval
Et l’antique
Merlin dans la plaine déserte
Se frappait la poitrine en s’écriant
Rival

O mon être glacé dont le destin m’accable
Dont ce soleil de chair grelotte veux-tu voir
Ma
Mémoire venir et m’aimer ma semblable
Et quel fils malheureux et beau je veux avoir

Son geste fit crouler l’orgueil des cataclysmes
Le soleil en dansant remuait son nombril
Et soudain le printemps d’amour et d’héroïsme
Amena par la main un jeune jour d’avril

Les voies qui viennent de l’ouest étaient couvertes
D’ossements d’herbes drues de destins et de fleurs
Des monuments tremblants près des charognes vertes
Quand les vents apportaient des poils et des malheurs

Laissant sa mule à petits pas s’en vint l’amante

A petits coups le vent défripait ses atours

Puis les pâles amants joignant leurs mains démentes

L’entrelacs de leurs doigts fut leur seul laps d’amour

Elle balla mimant un rythme d’existence
Criant
Depuis cent ans j’espérais ton appel
Les astres de ta vie influaient sur ma danse
Morgane regardait du haut du mont
Gibel

Ah! qu’il fait doux danser quand pour vous se déclare
Un mirage où tout chante et que les vents d’horreur
Feignent d’être le rire de la lune hilare
Et d’effrayer les fantômes avant-coureurs

J’ai fait des gestes blancs parmi les solitudes
Des lémures couraient peupler les cauchemars
Mes tournoiements exprimaient les béatitudes
Qui toutes ne sont rien qu’un pur effet de l’Art

Je n’ai jamais cueilli que la fleur d’aubépine
Aux printemps finissants qui voulaient défleurir
Quand les oiseaux de proie proclamaient leurs rapines
D’agneaux mort-nés et d’enfants-dieux qui vont mourir

Et j’ai vieilli vois-tu pendant ta vie je danse
Mais j’eusse été tôt lasse et l’aubépine en fleurs
Cet avril aurait eu la pauvre confidence
D’un corps de vieille morte en mimant la douleur

Et leurs mains s’élevaient comme un vol de colombes
Clarté sur qui la nuit fondit comme un vautour
Puis
Merlin s’en alla vers l’est disant
Qu’il monte
Le fils de la
Mémoire égale de l’Amour

Qu’il monte de la fange ou soit une ombre d’homme
Il sera bien mon fils mon ouvrage immortel
Le front nimbé de feu sur le chemin de
Rome
Il marchera tout seul en regardant le ciel

La dame qui m’attend se nomme
Viviane
Et vienne le printemps des nouvelles douleurs
Couché parmi la marjolaine et les pas-d’âne
Je m’éterniserai sous l’aubépine en fleurs

Guillaume Apollinaire