JOURNAL D’UN VAGABOND QUI MONOLOGUE


Photo Niala – Asie du Sud-Est – Bali

JOURNAL D’UN VAGABOND QUI MONOLOGUE

JOURNAL INTIME D’UN VAGABOND  2

Le rendez-vous perpétuelJ’écris contre le vent majeur et n’en déplaise
A ceux-là qui ne sont que des voiles gonfléesPlus fort souffle ce vent et plus rouge est la braiseL’histoire et mon amour ont la même fouléeJ’écris contre le vent majeur et que m’importeCeux qui ne lisent pas dans la blondeur des blésLe pain futur et rient que pour moi toute porteNe soit que ton passage et tout ciel que tes yeuxQu’un tramway qui s’en va toujours un peu t’emporteContre le vent majeur par un temps nuageuxJ’écris comme je veux et tant pis pour les sourdsSi chanter leur parait mentir à mauvais jeuIl n’y a pas d’amour qui ne soit notre amourLa trace de tes pas m’explique le cheminC’est toi non le soleil qui fais pour moi le jourJe comprends le soleil au hâle de tes mainsLe soleil sans l’amour c’est la vie au hasardLe soleil sans l’amour c’est hier sans demainTu me quittes toujours dans ceux qui se séparentC’est toujours notre amour dans tous les yeux pleuréC’est toujours notre amour la rue où l’on s’égareC’est notre amour c’est toi quand la rue est barréeC’est toi quand le train part le coeur qui se déchireC’est toi le gant perdu pour le gant déparéC’est toi tous les pensers qui font l’homme pâlirC’est toi dans les mouchoirs agités longuementEt c’est toi qui t’en vas sur le pont des naviresToi les sanglots éteints toi les balbutiementsEt sur le seuil au soir les aveux sans parolesUn murmure échappé Des mots dits en dormantLe sourire surpris le rideau qui s’envole
Dans un préau d’école au loin l’écho des voixUn deux trois des enfants qui comptent qui s’y colleLa nuit le bruire des colombes sur le toitLa plainte des prisons la perle des plongeursTout ce qui fait chanter et se taire c’est toiEt c’est toi que je chante AVEC le vent majeur.

Louis Aragon
(Le Nouveau Crève-cœur)

Du bal costumé des étoiles éteintes viennent des bouffées de chaleurs aux moiteurs trop picales qui rancissent.
Quant à la lame du premier quartier de lune le tarot abat son jeu, un château d’arcanes cherche fantômes.
Les gris de Payne en cousant des listels convexes tentent encore de sortir l’ouvrage des limbes.
Hélas durant la nuit les lises à la lettre se sont étendues aux plages interdites, échouant au clavier d’opaques méduses urticaires.

L’allure légère d’un farfadet, j’allais d’un jour à l’autre en l’absence de tout compte chanter en bleu joie, des inclinaisons innées pour l’amour.
En faisant exception de cette méfiance spontanée que l’argousin des galères scande de son fouet à mon échine mise aux rames.
Grand Jacques tu m’as dit souvent ta candeur en totale lucidité, j’en ai gardé la mémoire au point que ne pouvant admettre de me méfier de tout, j’accorde confiance à l’amour.
La nuit se croise au jour pour métisser le voyage d’un voile de pudeur. J’aurai honte de me cacher d’être ce que je suis.

TU ES

Je t’attends au bout des doigts de mes couleurs, pâte fraîche, matière odorante de lumière.
Epaisse à en vouloir, fluide pour la transparence d’un glacis protecteur qui rehausse l’intime préservé.
Un besoin MARINE sort de la tombe, dur comme un granit indestructible, en couvercle sur la marmite en fusion d’un volcan créatif.

TU ES

Cette aurore à gratter de la pellicule qui se pose en membrane sur mon oeil. Un volet battant au balcon d’un autre jardin ouvert pour nourrir la vie.
Chaland tu navigues depuis ton onde douce jusqu’au sel de ton embouchure.

Loisobleu
24 Décembre 2011

MAUVAIS TEMPS SUR LA TERRE PAR JEAN JOUBERT


MAUVAIS TEMPS SUR LA TERRE PAR JEAN JOUBERT

I

Et nous voici dans le matin, déjà fourbus,
mal démêlés du fil des rêves.
Quelques paroles, quelques gestes,,
le parfum d’une robe,
un sein fantôme dans la brume,
une douleur,
et c’est le soir.
La nuit tombe plus vite sur les tombes
et le décembre du désir :
tête tranchée dans la poussière
parmi les ombres et les branches.

Allons ! sous la lampe déhanchée qui trébuche,
traquons « le mot qui sauve », une musique,
une métap*****, comme la flamme qui parfois
au creux de cendre se ravive,
ou comme l’oiseau, le rouge-gorge
– est-ce toujours le même ? – dont l’hiver jette
au jardin le feu léger, le sang.
(Termites dans l’horloge. Un tuyau
glousse. Derrière la cloison toussent les turcs.
Est-ce un tambour dans l’escalier, une ruade
ou la chute d’un ange ?)
L’encre stagne, la main s’enlise.
Des livres soulevés – une montagne – sortent
les morts,
les visiteurs voilés et taciturnes,
soudain pesants, qui nous étouffent.

« Nuit terrible
du doute
et de l’enfantement. »

II

« But at my back from time to time I hear
Time’s winged chariot drawning near. »

De notre corps bandé contre la roue
qui broie le jour
freinons l’élan du fer.

Un fouet siffle dans les nuages
où brûlent les crinières
et gronde au loin la voix de l’ogre.

Le cœur faiblit, les paumes s’ensanglantent.

« Une seconde
au moins
nous mettre hors du temps. »

Le temps, le temps qui est un autre nom de
la mort.

III

Enfant, dans la forêt, j’erre parmi les ombres.
Le corbeau crie, au loin sonne une hache.
Que fait mon père dans l’au-delà des branches ?
La neige efface la trace des pas.

Ah, père ombre parmi les ombres,
dans le silence maintenant
comment rejoindre ton visage
et ton feu noir qui brûle sous la terre ?

IV

Si nous arrêtons
les montres, les pendules et l’horloge
(paysanne avec son balancement de faux)

alors le soleil-chien nous traque

Si nous fermons
portes, fenêtres et rideaux,
le trou de la serrure,

les cris du monde se glissent dans les fissures.

Si nous gagnons, dans le désert,
une cave, une citerne, une grotte
(matrice opaque, ténébreuses)

ah ! dans la nuit notre cœur bat plus fort,
toujours plus fort.
Nous n’entendons plus que lui maintenant.

V

Dans Paris soulevé,
les insurgés tirent sur les horloges.

Chronos ensanglanté,
tombe et mord la poussière,

Mais, rusé, se relève étincelant,
tonne,
tranche le sexe et la gorge des anges.

VI

Temps immobile de cette pierre blanche,
si blanche,
où le regard s’enfonce
puis la main,
le bras,
tout le corps

jusqu’au cœur glacé du silence.

VII

Et toi, veilleur à la frontière
où luttent embrassés l’ange et la bête,
l’un de lumière et l’autre qui grimace,
qu’as-tu saisi qui ne fût pas douleur ?

La vitre un peu se teinte de clarté
mais c’est la nuit encore sur la terre,
une nuit moins opaque à peine, qui défaille,
et tu voudrais que cesse cette guerre
et que la boue s’efface où la bête grogne.

N’as-tu pas douté, dans la nuit du cœur,
que puisse à nouveau se pencher vers toi
l’aube pacifiée d’un visage ?

Dans le vitrail que le premier soleil colore
on dirait soudain que l’ange va sourire
et que s’essouffle et bronche la bête.

VIII

Sur la buée, traçons du doigt
un mot :
amour ? lumière ?
espérance ?
éternité plutôt,

qu’un soleil bas
de son premier rayon
transperce

soudain rosace
et brève gloire au bord du ciel

d’où s’éloigne la main mortelle
laissant au froid
le mot mortel.

IX

Dans le matin de rose et de vitrail,
grâce soudain du mot sur notre bouche,
souffle du sang,
silence plein

et nous voici
« debout
dans la splendeur des feuilles. »
(café, caresse, cigarette :
bonté des choses fugitive !)

Dans l’oubli de la fange,
la main renoue le signe,
énonce l’arbre,
éveille la forêt,

et tout à coup c’est un espace de musique
où nous allons, vivants et morts réconciliés,
puis confondus dans l’ineffable lumière.

« L’écriture
seule
nous tient
debout. »

X

Pourtant nous n’aurons pas le dernier mot.

Jean Joubert