La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Les racines du vent se glissent dans un cœur se nourrissent d’un sang encore embué de nuit et ramènent au jour ombragé de douleur un enfant ébloui
Soleil dans ses yeux purs jette ton sable d’or et tes pigeons de neige au front du bel enfant éclabousse de feu le trébuchant essor de l’ange adolescent
Le soleil et le vent ont des philtres trompeurs pour écarter de nous les menaces du temps La mer chante à ses pieds quand Narcisse se meurt et plonge à contre-temps
La mer chante à ses pieds et tresse son écume sa broderie jaunie de sable et de limon comme au ciel du sommeil une étoile s’allume lorsque nous nous aimons
Écartez-vous marins des rivages menteurs où chante la sirène aux flancs de goémons La plage et ses détours le sable et sa torpeur sont pièges du démon
Ainsi que le soleil ou sa flamme caresse et blesse ou bien guérit le nageur incertain ainsi de notre mort qui ralentit ou presse le pas de nos destins
Il ne faut pas tromper les cavaliers du sort et leurs chevaux légers comme l’écume au vent Ne passez pas le temps à mentir à la mort c’est un jeu décevant
Ne passez pas vos jours à vous passer de vie Ne passez pas l’amour à vous passer de temps Ne passez pas le temps à attendre la nuit ni les neiges d’antan
Car votre mort en vous se moque de vos pièges et se glisse au serré du plus tendre baiser remonte à la surface et plus vive que liège plus souple que l’osier
s’empare de ce cœur qui se croyait léger l’alourdit le surprend le presse et le défait et fait de ce vivant de vivre soulagé un mort très stupéfait.
Il faut être humble quand on monte sur scène. Monter sur scène, c’est faire la preuve qu’on a besoin des autres. Y a pas de quoi pavoiser Propos recueillis au fil des mots Bruno Ruiz, vous avez enregistré trois disques en quinze ans. On ne peut pas dire que vous envahissiez les bacs des disquaires… Non, c’est sûr, mais vous savez, je suis un auteur-compositeur-interprète, et je ne m’accomplis pas forcément qu’en écrivant des chansons. Depuis mon dernier disque l’Homme Vigile, produit entre autre par Radio-France, il s’est passé pas mal de choses dans ma vie. J’ai écrit un livre sur mon père qui était républicain espagnol, et j’ai créé deux récitals de chansons françaises traditionnelles que j’ai eu l’occasion de tourner en France et en Allemagne.
J’ai également écrit un one-man-show humoristique et un monologue pour le théâtre, j’ai composé la musique de plusieurs pièces de théâtre en France et à l’étranger, des musiques pour des courts-métrages, des ballets. J’ai écrit quelques recueils de poèmes, des paroles de chansons pour d’autres compositeurs et j’ai récemment rédigé l’intégrale des textes de chansons que j’ai écrites depuis 1973. Presque trois cents chansons…
Comment expliquez-vous alors que vous n’ayez pas une audience nationale plus évidente ? Je ne me pose même pas la question. J’ai du travail, je vis dans ma région. C’est sans doute ça la décentralisation ! D’autre part, quand on parle d’audience nationale, on devrait plutôt parler de reconnaissance parisienne. Or j’ai toujours considéré que Paris n’était qu’une grande (et magnifique !) ville située sur la route des Flandres. Et j’ai rarement l’occasion d’aller dans les Flandres… Vous avez le sentiment d’être du Sud ? Oui, profondément par mes racines espagnoles. Et si je vis et travaille à Toulouse et dans la région Midi-Pyrénées c’est parce que je m’y sens bien. J’y ai ma famille, mes amis, mes habitudes. Le soleil m’équilibre… Et jusqu’à présent, on m’a toujours permis d’y créer les spectacles que je voulais. Ne vous semble-t-il pas difficile de faire carrière dans la chanson en restant à Toulouse ? Je suis plus sensible à la notion d’œuvre qu’à celle de carrière. Sans aucune prétention à la postérité d’ailleurs. L’œuvre implique une notion de sens, de projet. Pour faire carrière il faut jouer sur les opportunités, mettre en place des stratégies. Cela ne m’intéresse pas.
Vous semblez être quelqu’un de gai, de joyeux dans la vie, pourtant votre dernier disque « Les Larmes de Laurel » est empreint de solennité, de gravité… Ne sentez-vous pas qu’il y a là un déséquilibre entre l’image que vous donnez de vous et ce que vous êtes vraiment? Franchement, je ne crois pas. Ce disque est exactement. le reflet du spectacle qui s’intitule « Bruno complètement Ruiz ». Il rassemble les chansons dans l’ordre du récital accompagnées par le seul piano d’Alain Bréhéret. Ces chansons développent des thèmes éternels : l’amour, la vie, la mort, l’écriture… Ce sont là des choses essentielles, graves, sérieuses exprimées sur un mode lyrique qui ne peut pas s’accommoder du registre humoristique. Il est impossible d’allumer un briquet au fond de la mer.
N’avez-vous pas peur de décourager l’auditeur avec une langue difficile ? Je crois qu’il faut distinguer l’écriture du centre et celle de la périphérie, l’art et le divertissement. Ce disque appartient à l’écriture du centre. Serge Reggiani a écrit »L’écriture est un alcool fort. Je m’adresse à ceux qui peuvent boire cet alcool sans tomber »… Est-ce à dire que vous refusez la chanson comme un divertissement ?
Non, mais je suis contre l’impérialisme de la bêtise. Aujourd’hui, on a presque honte de dire qu’on se divertit en écoutant Webern ou en lisant « La Recherche ». Ca finit par être un peu pénible. Et vous savez, c’est difficile, quand on écrit des chansons, d’accepter que leur meilleur critère de qualité (et cela dans le meilleur des cas), soit de finir en bruit de fond dans les supermarchés! Il y a des années où l’on a besoin de vivre que pour l’essentiel, d’alcooliser le monde, les rapports que l’on a avec les autres. Quelque chose qui ressemblerait à de la survie métaphysique. Un besoin aussi de verticaliser la vie quotidienne. Écrire de la poésie, la chanter, c’est descendre au plus profond de soi, des doutes et des interrogations les plus intimes. Toucher le fond pour remonter à la surface. Non pas pour se complaire dans un striptease affectif, mais plutôt dans l’unique dessein de retrouver les autres dans ce qu’ils ont de plus beau, de plus secret, peut-être justement pour ne pas avoir à en parler avec eux, éviter l’impudeur de certaines discussions.
L’éternité est une utopie de l’âme, mais c’est du corps qui vieillit, qui se transforme et qui nous fait souffrir parfois que nous l’apprenons. Comme si une puissance obscure avait bridé dans le réel la force et les notions d’infini qu’elle nous avait donné par ailleurs à la naissance. Aujourd’hui plus qu’hier, nous devons nous battre pour ne pas être réduits à n’être que des images parmi d’autres. Aujourd’hui plus qu’hier, il nous faut affronter le sens des choses, prendre partie.
Pour cela, j’ai appris qu’il faut accepter d’entrer dans une forme. J’ai choisi celle du Récital de chansons. Bruno Ruiz (questions et réponses!)
Bruno Ruiz par les autres
Prolongement
Bruno Ruiz aura longtemps voyagé vers son Ithaque. Chanteur compositeur interprète et aussi poète considérable il aura fait « son tour de champ » en plantant les graines de sa dérision et de son tragique. « Pour écrire une chanson, il ne faut forcément beaucoup de temps. Il faut simplement avoir besoin de l’écrire. C’est ça qui prend du temps » dit-il. Il est de ceux qui auront le plus réfléchi à ce que veut dire écrire ou chanter, donc vivre. Ses spectacles, ses enregistrements (Nous, les larmes de Laurel, après, Maintenant…), ses livres portent tous sa belle voix grave.
Tel Œdipe sur la route, mais lui tenant la main à son pianiste aveugle, Alain Bréheret, il va sur les chemins pour échapper non pas à la malédiction des dieux mais à celle des hommes et de leurs vies en lambeaux.
« Soyez beaux » et restez des hommes debout nous dit Ruiz qui aura toujours mal à l’Espagne et à l’exil. Il anime aussi des ateliers de créations et d’écriture et reste fidèle au titre de son dernier spectacle :Chant impératif et Maintenant. Lui le natif d’Arcachon (né le 28 janvier 1953) s’est longtemps présenté sur scène en costume de marin pécheur de coquillages. Mais l’Espagne réconciliée en lui aura été la plus forte. Toulouse représente depuis plus de trente ans un compromis honorable. Sa femme tisse avec la patience du temps des dentelles qui laissent passer des nuages. Bruno Ruiz comme un maçon obstiné édifie chansons après chansons des promontoires pour les hommes.
« Hisse l’homme» est son cri de ralliement. Il tricote des utopies insensées qui permettent de vivre. Il sait que dans ce monde la peur traîne son ventre contre la terre, elle nous traque avec le miel de la folie. Il faut la repousser avec la poésie.
Avec Bruno nous avons des admirations communes (Maurice Blanchard!) et aussi des divergences parfois. Sa méthodique entreprise de déconstruction de lui-même en tant que comique-troupier, chanteur de music-hall m’a toujours glacé. Car je connais l’immense profondeur du poète, ses abîmes, ses vertiges. Il se veut parfois « Poète de music hall », pour écraser les larmes du tragique dans les larmes de Laurel.
« Ce qui m’intéresse, dit-il, c’est cette articulation du divertissement avec ce que j’appelle la parole essentielle». L’humour est-il soluble dans la gravité ou inversement? Bruno Ruiz le proclame et dans ses « pensées» il dit « J’aime René Char et Bourvil, cela ne m’a jamais posé de problèmes d’identité ». Sa volonté de rester en quelque sorte fidèle à une utopique classe ouvrière, le fait se méfier des intellectuels et aimer les « chansons idiotes» et les jongleries verbales proches de l’almanach Vermot. Il jubile de cette incohérence, là ou plus que de la lucidité exacerbée je pressens une auto-destrution, un dérèglement de tous les sens en refusant le sens unique des mots graves.
Maintenant il revient à sa parole essentielle et nous touche en plein cœur, comme avant, comme toujours. je tiens un récital de Bruno Ruiz comme l’une des grandes expériences humaines.
Il se cogne la tête à la recherche de l’authentique, du vrai. Que ce soit dans ses ateliers d’écriture, dans ses animations en milieu hospitalier, ses rencontres et ses lectures des autres, il est don et générosité. Comme tout écorché vif qui feint de s’ignorer.
Voix grave, parfois voilée, venant des entrailles et vous prenant par là, la voix de Bruno Ruiz a pris le parti des hommes et de leur grandeur. Peu de gestes sur scène, le noir joue sur nous pour mieux nous enserrer dans son chant, un pianiste profond, Bréheret, tout cela fait d’un spectacle de Ruiz non pas un divertissement mais une plongée dans l’humain, une épreuve de vérité.
Il oscille dans les grandes épopées du Chant Drakkar, ou d’Altavoz ( mémorial pour Antonio Ruiz Delgado, son père), ou les courtes chansons qui tissent bout à bout un univers. Que ce soit dans l’humour noir ou dans le lyrisme effervescent, Bruno Ruiz crée profondément un climat oppressant, libérateur. Ses chants dépassent et Katy et Coline pour aller vers nous, mais sans elles ce ne seraient pas ses chants purs.
Bruno Ruiz profondément est le frère de ses frères humains, il les exhorte, il les réveille, il les aime. Soyez beaux, merveilleux mot d’ordre pour faire se tenir debout les hommes. « Nous sommes faits pour vivre / De nos actes d’amour » Bruno Ruiz voudrait écrire au « kilomètre », comme cela vient sans faire intervenir le mensonge de l’art. Il a très peur des « boucheries de paroles », des paroles vaines et belles qui ne servent que de décor. Pourtant il faut écrire et donc plus ou moins consciemment lancer les techniques du langage, les appeaux des mots. « Ce n’est pas une vie d’écrire, et pourtant l’écriture conditionne l’aventure de ma vie ». Bruno Ruiz s’est posé beaucoup de questions sur la chanson, sur la poésie. Il en a conclut ceci: « Quand tu parles à quelqu’un, allume-toi ».
Ses textes se font simples, percutants, poète-boxeur du réel, il ne veut plus des marécages de la haute poésie, souvent haute solitude. Le risque de paraître moralisateur s’estompe sur scène par l’intensité de la présence et du chant. Il se veut existentiel, pas plus, pas moins. C’est la vie qu’il faut faire passer. Il veut devenir le chant impératif, l’homme évident. Et, souvent employé, l’impératif est là pour fouetter nos lâchetés. Ce sentiment d’appartenir très fort à la chaîne humaine (c’est parce que tu es né, que je suis vivant, dit-il), conduisent à l’épure des mots. Tapez tapez contre les portes, vous êtes enfermés en vous nous, adjure-t-il.
Nous savons que nous sommes réunis pour compter combien de larmes à verser avant que tous les bûchers ne s’éteignent nous sommes là dans le cercle des mains nouées et calleuses pour étouffer l’écobuage des hommes et faire que l’horreur ne soit pas notre avenir. Bruno Ruiz est à nouveau entré en résistance. Son épée est la poésie. « Rester sensible / À ce monde terrible », sa devise. Ainsi il reste fidèle à ce Bruno Ruiz, celui qui en 1978 aura aidé à lancer une salle dédiée à la chanson. C’était en 1978, pour paraphraser Bénin.
Bruno Ruiz est fidèle. Poète et chanteur, donc immense. Rarement il nous aura été donné de croiser un contemporain aussi authentique, pur, et lumineux.
« fidèle/ à son poids d ’hirondelle/ être la sentinelle/ de chaque nuit nouvelle,»
Terminons par le si bel hommage de Michel Baglin dans sa revue (http://revue-texture.fr/), qui rend ensuite les mots sur Bruno Ruiz un peu superflus:
« Portrait de celui qui, en presque quarante ans de chansons et de poésie – mais aussi de théâtre et d’écriture de nouvelles – a construit une œuvre marquée par les tragédies du monde, la mémoire de l’exil, mais encore et toujours la fraternité, l’amour et l’amitié.« Voici le temps des bilans de l’usureAux feux croisés de nos forges intimesJe veux l’amour absolu jusqu’au bout Face à la verte et dernière beautéMaintenant »Maintenant comme hier. La même force, le même lyrisme, la même douleur et la même beauté. Il est vrai qu’il n’a pas perdu en gravité, Bruno.Ni en fidélité : un maître mot chez lui. Fidélité à la poésie (« Si je me tais moi-même je trahis »), à la compagne (« Le temps dérive / Mais tu restes présente / Aux clameurs des années »), à l’Espagne, cicatrice jamais refermée (une chanson évoque le village en ruine de Belchite et ce « vieux soldat qui tant se traîne »), fidélité à « l’épaisseur des morts », mais encore fidélité à la Terre :« Je n’en finirai pas de vous dire merciD’avoir su me convaincre que le monde est ici. »Michel Baglin.
Gil Pressnitzer
Choix de textes
Les larmes de Laurel C’est une averse sur l’ardoise, La tête au bout de son regard, La lune entre ses lèvres peintes, Une lenteur qui m’envahit. C’est un moineau toujours mouillé Qui parle avec chaque silence, Un gouffre où baigne un grand soleil, C’est une espérance immobile.
Refrain: Je vais vous dire elle est velours… Je vais dire : elle est amour…-
Vous ne savez pas ses miracles Accrochés sur ses doigts, ma laine… C’est un cortège d’enfants sages, La porcelaine de ma vie… N’y touchez pas! C’est mon Espagne, Qui a grand froid dans son enfance… C’est une braise entre les jambes Qui pleure pour ne pas crier.
Elle a les larmes de Laurel Et des fous-rire d’intérieur… Elle a des mains que l’on respire Lorsqu’elle endort ses pieds sur terre Elle a brodé sa solitude Aux lettres bleues de sa patience C’est un cheveu entre les lèvres C’est mon voyage, ma prison.
Elle est debout dans le silence, Comme la lampe d’une étoile, Fusée de fusions, sans nuage, Près de l’enfant qui nous invente. Elle est debout, dans la lumière Du quotidien qui nous martèle, Sur le miroir qui nous mélange À l’océan du temps qui passe.
Avons-nous vieilli selon nos désirs ? Sommes-nous plus beaux que notre jeunesse ? Avons-nous choisi la vie que l’on mène ? Dormons-nous le soir sur nos deux oreilles ?
Sommes-nous fidèles à nos utopies ? Avons-nous gardé nos jardins secrets ? Reconnaissons-nous nos vieilles erreurs ? Chantons-nous les mêmes chansons qu’autrefois ?
Être fidèle. À son poids d’hirondelle Être la sentinelle/A chaque nuit nouvelle Rester sensible/A ce monde terrible Être encore accessible/A des amours possibles
Avons-nous gagné nos châteaux d’Espagne ? Pleurons-nous encore pleurons-nous souvent ? Avons-nous gardé des doutes amers Sur l’amour des autres des dieux incertains ?
Cherchons-nous encore le soleil des hommes ? Avons-nous la haine de l’indifférence ? Avons-nous le poids de nos idées folles ? Sommes-nous encore debout dans la nuit ?
« La poésie est le plus court chemin qui mène d’un être à un autre être.» Claude Roy.
Le poème, à mon sens, ne peut être que l’expression d’un chant profond. C’est dire qu’il doit interroger intentionnellement l’existence, en même temps que le sens du langage ; occuper les lieux d’une langue précise et choisie; avoir, à un moment ou à un autre, valeur de contrat cosmique et spirituel de l’être au monde.
Le poème doit risquer l’identité de celui qui l’écrit dans ce qu’il a de plus fragile, de plus intime, de plus obscur, de plus contradictoire, de plus sauvage.
Le poème doit se situer dans un espace individuel et universel, et prétendre à s’inscrire dans un projet de sens que le poète, à jamais seul tant qu’il écrit, doit porter exactement contre le pouvoir des évidences.
Le génie doit être l’expression d’un désordre intérieur, d’un chaos initial, d’une énergie fondatrice, d’une révolte, et c’est son existence-même qui doit rejoindre d’une façon ou d’une autre l’ordre extérieur pour lequel il existe.
Le poète doit assumer socialement son état barbare. La somme des traces de son expérience constitue son oeuvre.
Ce n’est que dans ce sens que je conçois la chanson, qui ne peut être, à mes yeux, qu’un moyen de représentation de la langue poétique, une façon parmi d’autres de fraterniser avec le secret de la parole par l’illusion du spectacle, et qui ne m’intéresse que lorsqu ’elle est l’expression du chant profond de son interprète, qu’il en soit l’auteur ou non.
La chanson n’a donc d’utilité artistique, à mes yeux, que si elle ressort du jaillissement verbal d’une langue traversée
par la voix, et qui a l’intention de revendiquer une spiritualité de l’existence, un engagement de l’être universel.
Toute chanson doit être d’essence poétique et doit être jugée comme telle.
La chanson ne doit être divertissement que si elle a pour intention stratégique l’accession, d’une façon ou d’une autre, au chant profond de celui qui a pris la parole.
Ainsi, les « chanteurs de chansons », qu’ils soient « joueurs de mots », « cruciverbistes de la syntaxe », « stratèges du comportement », « vocalises du jazz », « rockeurs pour adolescent (e) s », « rémouleurs d’images nostalgiques », « raconteurs d’histoires réalistes « « rappeurs des solitudes urbaines », ou « militants des grandes causes humanitaires », ne me concernent que s’ils ont fondamentalement quelque chose d’essentiel à me dire, un « quelque chose de poétique » impliquant une intention propre, verticale et assumée, une justification d’être au monde pour la recherche d’un absolu édificateur.
Bruno RUIZ, Toulouse, le 5 août 1997
Thalweg
Ce fleuve qui descend si profond qui me blesse
Attentif et précis à mes douleurs d’averse
Ce fleuve qui s’écrit pour m’emporter vers vous
Si fragile et patient qui me tend me dénoue
Ce fleuve d’eau venu de vallées introuvables
L’inconnu vu d’ici vers l’océan de sable
Ce fleuve de voyage et de chemins d’errances
Noyant les nostalgies de mes tristes enfances
Ce fleuve de mon sang de liesses dans mes veines
Traînant mes vieux taureaux dans l’or de mes arènes
Ce fleuve lancinant de veille et de paresse
De voiles et d’exils de vignes et d’ivresses Ce fleuve contenu dans mes pauvres grimoires
La parole et la chair le temps et la mémoire
Ce fleuve dans l’acier de mes incohérences
De hauts-fonds de brouillards de chenaux de silences
Ce fleuve de mes roues enchaînées à ma tête
Aux fers de mes gallions dans l’œil de mes tempêtes
Ce fleuve qui se tait me ceinture et me signe
Me talonne et me troue me trahit me désigne
Ce fleuve de lambeaux de ciels de crépuscules
Professeurs sans talent prophètes ridicules
Ce fleuve de sueurs de charbons et de mines
De tonnerres peuplés de grenailles marines Ce fleuve de faisceaux aux huiles atlantiques
D’acrobates bandés au-dessus de mes cirques
Ce fleuve bienveillant de croyants sans prières
Céramique des yeux dans le courant des pierres
Ce fleuve de mon lit de cryptes inconscientes
Pourrissant lentement mes langues impatientes
Ce fleuve sinueux asséchant mes artères
Mes vernis et mes mues mes vies imaginaires
Ce fleuve de mes fous de prisons sans police
De mes meurtres sans mort de plaies sans cicatrice
Ce fleuve qui me trompe et me ronge et m’emporte
Qui m’invente des murs et qui m’ouvre des portes Ce fleuve tant usé de mon verbe trop lisse
Complice de l’instant assassin de Narcisse
Ce fleuve qui conduit mon fauve à l’abreuvoir
Pour boire mes alcools derrière les miroirs
Ce fleuve de héros oubliés par l’Histoire
Dans le désert présent de traces dérisoires
Ce fleuve qui est long parce que le jour m’étreint
À l’aurore si proche à l’aurore si loin
Ce fleuve d’ouragans de larmes et de cris
De corps sans devenir d’images sans écrit
Ce fleuve de mon feu pour rejoindre les eaux
Prétentieux dans ses vœux laborieux dans ses mots Ce fleuve de mes peurs de mes plaies de mes ronces
De mes efforts secrets mes appels sans réponses
Ce fleuve sans mesure épuisant mes essences
Mes sourdes théories mes vieilles espérances
Ce fleuve qui m’écoute et qui tant me désarme
Qui me lave les yeux me salit de ses charmes
Ce fleuve du désir aux sources qui me hantent
Qui me lit qui me pense et me saoule et me chante
Ce fleuve de ma viande aux ailes de mes hordes
Préférant l’eau des pluies aux hystéries de l’ordre
Ce fleuve d’ophélies d’apaisantes lumières
Dans les sèves du sens les vérités premières Ce fleuve sinueux d’horizons sans églises
Je n’ai de grâce que pour la pensée qui cherche votre étoile Et mon métier n’énonce que le rêve perdu de vos raisons Qu’ils soient reconnus ceux qui se perdent en eux–mêmes Qu’on les inonde de lumière à la ferveur de leur corps Pour qu’ils chantent le temps d’une vie enfouie Ce temps joignant le geste à la parole Ils sont mes chers passants du silence restés dans le noir pour le partage des perles Demain je serai avec vous sur l’horizon J’aurai laissé le temps clair se poser sur l’absence du monde Ce temps d’éternité dans l’esprit et son apparence L’arbitre aura disparu et personne ne cherchera sa présence
Bruno Ruiz, Poèmes retrouvés (2013)
Nous n’aurons pas perdu notre vie Nous serons peut-être restés à l’écart Avec des actes qui dérangent, des mots obscurs Nous nous serons levés devant l’inacceptable Nous aurons gagné quelques petites guerres Remonté des fleuves en solitaire
Mais nous n’aurons pas perdu notre vie
Jour après jour nous aurons écrit dans le même livre Contre le tout-venant des idées serviles Nous serons restés indociles et fidèles Nous n’aurons été reconnus que par quelques-uns Qui se souviendront peut-être de nous Et de nos mains, de nos voix Et de ces pas gagnés contre quelques injustices Nous n’aurons peut-être pas atteint la plénitude Ni la sagesse que nous espérions
Mais nous n’aurons jamais cessé de chercher Cette légèreté profonde Qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue Avant que le soleil ne s’éteigne
Et ne nous oublie
Bruno Ruiz, Poèmes retrouvés (2013)
Bruno Ruiz / Dans la nuit de réglisse [extraits]
Théâtre poétique (…) Je me souviens de la première fois. Du ciel tombait une nuit étouffante. De drôles d’animaux courraient le long des voies. Tes poignets saignaient par les fenêtres ouvertes. Tu étais déjà à l’abandon. Juste à côté, une femme obèse hurlait au milieu des papiers gras. Ainsi commence mon histoire. Notre histoire. Tu n’as pas pris beaucoup de temps pour accepter le corps des autres. Assis sur les ferrailles rouillées des digues, tu attendais le crépuscule et le lent cortège de ceux qui passaient. Mais on ne va jamais nulle part quand on ne sait pas d’où l’on vient. Personne ne pouvait t’expliquer alors les règles du grand désordre. Tu cherchais peut-être quelqu’un mais personne n’est jamais venu. Ainsi as-tu vécu dans quelques chambres inoccupées. Ainsi commençait ta nuit au fond des hommes.
Le premier jour, tu as dû aimer leurs bras qui t’entouraient mais tu n’as pas vu les grillages de leurs rires. Sans t’en rendre compte, tu volais déjà au-dessus des maisons closes et des serrures. Chaque coup de couteau t’amusait, chaque coup de marteau sur chaque matin sordide. Ainsi a dû naître ton dernier sourire. J’ai appris à lire avec toi. Il y avait souvent ce trou au bout de la jetée et tout ce silence qui assiégeait le parvis des églises. Quelqu’un ramenait parfois le corps de quelques femmes et je dois avouer avec toi que je n’ai jamais vu de mortes aussi belles que celles-là, sur le trottoir, comme de faux poissons exténués par de longs voyages. Ainsi commençait ce qui s’arrête et ne revient jamais.
J’ai gagné tous les jeux que tu me proposais pour me montrer tes jambes. L’heure tournait si vite que nous ne vieillissions pas. Tu m’as appris à danser dans le noir en imaginant d’autres planètes. A croire que celui qui choisit de mourir n’est que celui qui veut naître. Ainsi suis-je né chaque fois que tu te déshabillais. Dans la maison toute blanche, nous téléphonions n’importe où au bout du monde. Quelqu’un nous répondait parfois en Chine, et nous partagions avec lui le gâteau de l’ennui sans nous comprendre. Un jour d’automne, je t’ai vu t’enfuir et la mer t’a noyée jusqu’à la taille. Tu avais si peur que quelqu’un te berce. Il n’y a pas de chemin en dehors du lancinant mystère des courants. Ceux qui nous déguisaient de feuilles nous sacraient roi et reine, Ferdinand et Ferdinande, c’était selon. Et nous tendions nos mains pour qu’on ne nous abandonne jamais.
Je me souviens encore de tes doigts qui s’enfonçaient dans le sable, à la recherche d’un royaume sans nom, rien que pour nous deux. Aujourd’hui sur ta tombe, ton nom a disparu. Après avoir briser le grand miroir, tu es entrée dans mes vertiges. Tout petit déjà, je regardais ta poitrine qui brûlait au soleil. A chaque page de mes livres, je soulevais mon corps et des milliers d’oiseaux chantaient des milliers de mélodies pour tes milliers de silences. Vers midi, nous nous laissions tomber dans l’eau verte interdite, et nous devenions radeau pour que personne ne nous rejoigne. Tu n’as jamais aimé les ombres de l’azur. Ce qui comptait alors, c’était d’enlever nos vêtements dans les dernières lueurs du jour. Nous voulions tellement renaître pour devenir quelqu’un d’autre.
Le soir, nous restions en surplomb au-dessus des rambardes. Des voix nous parvenaient dans des langues maudites. Nous avions déjà la soif du sucre et les caresses du sel. Pour de mornes programmes, notre vie sans lumière s’endormait entre les sanglots et les dessins de homards, les haines et le départ du chat Matelot. Pourtant, à bien y repenser maintenant que tout est fini, je n’ai jamais été conçue que pour rester allongé sur ton corps dans cet hôtel maudit de Grenoble. Ainsi commence sans doute la peine éternelle. J’ai disparu combien de fois dans les toilettes ? Ne me demandez pas d’éclairer ce lourd mystère. A chaque parfum nouveau, je caressais des visages qui riaient. Tout mourrait et naissait autour de nous déjà, dans un grand mélange. Un jour de grand vent, nous avons même vu Robinson revenir du grand large. Des femmes de contrebandiers aux yeux verts dévalaient les dunes, emportant des carcasses mystérieuses et des guenilles vers de drôles de Nautilus. Le ciel noir nous cachait dans les blaukaus qui glissaient vers la mort, et nous restions là, désemparés et plus vides que le sourire idiot des jeunes mariés que nous étions enfants, sur un vieux polaroïd.
Le temps n’est l’affaire que de ceux qui attendent. Tout n’est qu’oubli et désir de rêves d’îles et de tempêtes. J’ai en moi les lumières de ton éternité. Ton phare n’a jamais cessé de tourner à l’entrée de mes ports. Je me souviens encore de ces dimanches d’hiver et d’angoisse. Tu voulais t’évader de tes prisons noires et blanches. Des mètres cubes d’eau sales dansaient lentement dans ton crâne et pour ne pas mourir, sur la nappe cirée, tu écrivais avec tes faux cils tes projets d’évasion, mais dans la silhouette des tamaris, un vent glacial te rappelait à l’ordre. Personne ne voyait les bleus de tes bras ni les larmes ni les lames derrière tes yeux. Tu allais vers les hommes comme l’on plonge dans un chenal et je n’étais bon qu’à remonter des étoiles de mer pour les offrir aux poubelles de la lune. La première fois que tu as tout quitté, c’était pour un rendez-vous sans visage. Tu as marché longtemps, nue sous ton imperméable. Il n’y avait que quelques hommes qui te courraient après, dans une villa mystérieuse dont j’ai oublié le nom. Pourquoi certaines nuits sont si violentes ? Pourquoi les loups sont-ils toujours maquillés ? Un jour, la chair se détache et la vie devient simple, comme le bruit de l’argent sale que l’on froisse au fond de sa poche.
Oh ces corps givrés dans l’agonie interminable de nos premières saisons ! Je n’arrivais pas à prononcer les mots pour exprimer cette poisse qui glissait sur ton ventre comme une crème à la vanille. J’étais mouillée de ta maladie de fille. Pour devenir plus léger, je m’allongeais sous tes grandes orgues. Si tu savais comme j’ai eu froid. Que pouvaient-ils comprendre ? Nous étions au milieu du cirque. Nous n’avions plus peur des fauves et ils ne le savaient pas. Aujourd’hui, tout demeure intact, dressé au bout de ce drap blanc qui t’enveloppe encore comme une vieille montagne de neige dans ma mémoire. Tes cimes sont libres désormais, loin des insectes collés à la graisse de ces lettres que personne ne lira plus jamais. Etre facile ou mourir de suite. Ne jamais dormir avec ceux qui payent. Garder la tête au-dessus du vacarme. Quoique l’homme fasse, il n’éteindra jamais le feu qui brûle encore. Peut-être n’étais-tu né que pour mourir aussi vite ? Tu as grandi dans les ruines d’une fausse famille. Tu as appris à haïr avec méthode. Au fond, tu as toujours été ivre. Tu fus riche tant que tu fus jeune et tu n’as jamais vieilli. Tu as cru en dieu comme d’autres sanglotent. Quelqu’un t’as retrouvé un matin, la tête dans un four. * Tout théâtre est logique. Illisible. Je n’avais envers vous aucune obligation de confidence. J’explorais des fragments à la découverte de l’autre et de moi-même. Même si je cherchais une conscience majuscule, ce n’était qu’une stratégie inévitable. Naturelle et factice. Car le chagrin ne vient jamais tout seul. Il doit accepter le travail de sa mélancolie. Tout doit revenir au poème. Sombrer dans la clarté. Je suis dans cette chambre noire. Je développe des négatifs, des positifs. Je révèle. Objectif macro, objectif grand angle. Mission inconnu. Je ne suis pas toujours sur la photo, je ne suis pas toujours dans le texte et je finis toujours par mentir à force de dire la vérité. J’ouvre mes yeux sous les paupières, mais la vérité n’existe pas. Il y a juste quelques mots nécessaires pour repeindre le mur. Un petit moment d’oubli et de lumière pour visiter le silence du dedans.
Les naufrages sont plus beaux que les navires. Les secrets ne sont graves que lorsqu’ils se mettent à table. Celui qui commence à avouer est perdu. Il tombe dans le piège de ses artifices. Il sublime. A l’école de la phrase et du geste, celui qui écrit cherche une preuve, mais il ne tombe que sur des épreuves. Il prononce le cri mais il ne crie pas. Soudain, il est convaincu. Dans une épiphanie, il veut écrire heureux mais il ne trouve aucun verbe. Il lui faut trouver une autre voie. À certains moments, il devient le prochain moment et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il soit lui-même sans l’être, ailleurs tout en étant ici. Mais il ne pourra jamais rien expliquer. Son système sera à la fois fragile et définitif. Le texte est une méthode vivante. Il doit se sentir sans école. Changer sa vie de place. Fleurir partir. Être plus loin que là où il parle. Vibrer comme l’oiseau qui traverse en force la mer. L’invitation ne vient jamais quand on l’attend. Sans cohérence, il n’y a pas de guide. Je descends, donc j’existe. Celui qui écrit doit s’accepter comme un imbécile qui n’a rien à dire, mais il doit toujours rester dans l’exercice de son livre.
Dans quelques heures personne ne se souviendra de ce que nous étions en train de vous dire. Au mieux, quelques gouttes d’eau sur l’éponge d’un souvenir. Nous aurons dessiné une tache impossible et muette. Atteint le temps vierge. Nous aurons rejoint la parole de ceux qui se taisent. Mais le théâtre seul ne pourrait suffire. Il aura toujours et encore besoin d’une langue. Depuis toujours, mon théâtre est mon chant. Il s’appelle Poésie. Il écrit contre l’ennemi pour battre plus fort que le cœur qui s’arrête. Car la mort redoute le désordre. C’est pour cela que l’affronter est ma seule force. Il fleurit chaque fois l’heure froide. Il avance avec nous. Il avance, éblouie de hasard.
ne sera-t-elle jamais assez épaisse pour ralentir cette descente
glu noire marne sanglante que parfois liquéfient des volcans
d’intensité multipliée par les grondements les battements d’ailes
hors de la bouche livide dont les ruisseaux de pierre mesurent l’effort
fait pour contenir ce cataclysme dans des limites à peu près souriantes
semblables aux jambages passionnés qu’inscrit l’index humide et doux d’un vampire ou d’une reine
sur les cartouches
les papyrus de poudre noire sèche dure
de la mort?
Ici
ce ne sont plus des yeux de filles
des doigts énamourés mais l’air
qui comme une bière lourde se prolonge
en mousse opaque malgré les rues mangées de lueurs Grande lépreuse de lumière tu te promènes accompagnée du cliquetis de tes ongles et tes colliers s’agitent comme les fruits de phosphore de l’arbre qu’à grands coups les Fils du Vent font trembler puis se déraciner
L’Univers est un orgue aux tuyaux qui s’éraillent dans cette église monstrueuse bâtie par les truelles de
la folie sans même une franc-maçonnerie pour unir les visages par des signes inconnus mais qui pourraient transparaître parfois comme les couches souterraines que révèle la coupure des ravins
Ses tubes d’acier sont ravinés et s’amollissent
détestables entrailles
canaux sordides entrelaçant leur labyrinthe
aux trajectoires des fusées à peine incandescentes
que lâchent des prêtres à soutanes déchirées au fond de caveaux pleins de boue
Les viscères sont moins noirs perdus au ventre d’un cheval
que ce bouquet de tiges funestes plus creuses que le sureau
Us sont moins sales et forment un moins ignoble carnaval
mais ô ma douce lèpre que ne cueilles-tu leurs rameaux ?
Tu te ferais ainsi un beau diadème sonore une couronne perlée de mots
Il est vrai que tu n’as pas besoin de cette tiare animale Tu es trop souterraine pour cela et trop hallucinée par les seuls vrais émaux
ceux de tes pas ma jolie lèpre
plus sûrs que toutes les paroles et les incantations magique.
Par ce temps de limace l’animal parvient à grimper la scarole
Redresse-toi sur tes jambes , homme vertical
le brouillard allié aux décisions remises à chaque instant
ne doit pas étouffer l’attente du loup qui brille dans l’obscurité
Tu trépignes de voyage en attente, si les Seychelles sont au bain, garde dans ton vouloir partir, le grimper à l’intérieur d’une effigie du Sulawesi pour découvrir pourquoi les indigènes des Célèbes cohabitent avec leurs morts. C’est un voyage autorisé par tout confinement
qui élève l’esprit au-delà d’une serviette au touche à touche sur une plage polluée
Niala-Loisobleu – 27 Janvier 2021
Gare du Nord – We Still Grow
Gare du NordDans des moments volés à l’océan du temps In moments stolen from the ocean of time
Au-delà de l’équilibre éternel de l’esprit
Beyond the everlasting balance of mind
Dans le flux et le domaine de la musique et de la rime In the flow and field of music and rhyme
Comme effet secondaire de défier la passion As a side effect of passion defyingOn grandit, oooh on grandit encore We grow, oooh we still grow
Ouais, on grandit, oooh on grandit encore Yeah, we grow, oooh we still grow
Comme le goût sucré d’un vin de Bourgogne Like the sweet taste of a burgundy wine
Comme l’ancre de ton cœur à la limite Like the anchor of your heart borderlineOn grandit, oooh on grandit encore We grow, oooh we still grow
Ouais, on grandit, oooh on grandit encore Yeah, we grow, oooh we still grow
On se refuse longuement De n’être rien pour qui l’on aime Pour autrui rien rien pour soi-même Ça vous prend on ne sait comment
On se met à mieux voir le monde Et peu à peu ça monte en vous Il fallait bien qu’on se l’avoue Ne serait-ce qu’une seconde
Une seconde et pour la vie Pour tout le temps qui vous demeure Plus n’importe qu’on vive ou meure Si vivre et mourir n’ont servi
Soudain la vapeur se renverse Toi qui croyais faire la loi
Tout existe et bouge sans toi Tes beaux nuages se dispersent
Tes monstres n’ont pas triomphé Le chant ne remue pas les pierres Il est la voix de la matière Il n’y a que de faux Orphées
L’effet qui formerait la cause Est pure imagination Renonce à la création Le mot ne vient qu’après la chose
Et pas plus l’amour ne se crée Et pas plus l’amour ne se force Aucun dieu n’est pris sous l’écorcc Qu’il t’appartienne délivrer
Ce ne sont pas les mots d’amour Qui détournent les tragédies Ce ne sont pas les mots qu’on dit Qui changent la face des jours
Le malheur où te voilà pris Ne se règle pas au détail Il est l’objet d’une bataille Dont tu ne peux payer le prix
Apprends qu’elle n’est pas la tienne Mais bien la peine de chacun Jette ton cœur au feu commun Qu’est-il de tel que tu y tiennes
Seulement qu’il donne une flamme Comme une rose du rosier Mêlée aux flammes du brasier Pour l’amour de l’homme et la femme
Va Prends leur main Prends le chemin
Qui te mène au bout du voyage
Et c’est la fin du moyen âge
Pour l’homme et la femme demain
Cela fait trop longtemps que dure Le Saint-Empire des nuées Ah sache au moins contribuer À rendre le ciel moins obscur
Qui sont ces gens sur les coteaux Qu’on voit tirer contre la grêle Mais va partager leur querelle Qu’il ne pleuve plus de couteaux
Peux-tu laisser le feu s’étendre Qui brûle dans les bois d’autrui Mais pour un arbre et pour un fruit Regarde-toi Tu n’es que cendres
Chaque douleur humaine sens-La pour toi comme une honte Et ce n’est vivre au bout du compte Qu’avoir le front couleur du sang
Chaque douleur humaine veut Que de tout ton sang tu l’éteignes Et celle-là pour qui tu saignes Ne sait que souffler sur le feu
Mais tout ceci n’est qu’un côté de cette histoire La mécanique la plus simple et qui se voit Une musique réduite au chant d’une voix
Il y manque ce qui dans l’homme est machinal Les gestes de tous les jours qui ne comptent pas Les pas perdus Les pas faits dans ses propres pas
Tout le silence et les colères pour soi seul Tout ce qu’on a sans jamais le dire pensé Les meurtres caressés les démences chassées
Il y manque tout ce que parler effarouche Il y manque l’accompagnement d’instruments Comme d’une barque barbare au loin ramant
Ce .qu’on peut tous les jours lire dans le journal Ce qui vient déranger les rêves à tout coup Ce qu’on n’a pas choisi qui soit et vous secoue
Il y manque avant tout les tremblements de terre Et comme on se sent jusqu’à l’os humilié Un jour à rencontrer un regard spolié
Il y manque le hasard au tournant des routes
Les passions les occupations qu’on a
Et l’art comme le vin des Noces de Cana
Tenez Qu’est-ce pour vous ce voyage en Hollande Où vous ne verrez pas ces étranges statues Devant la mer comme des fauves abattus
Qu’un trafiquant naguère apporta dans des caisses Avec cent autres merveilles des pays chauds Échafaudages peints d’encre d’ocre et de chaux
Mis à intervalles réguliers sur la terrasse
A tout jamais sur les steamers qui tourneront
Le coquillage vert et roux de leur ceil rond
Que comprenez-vous au jeune homme dont je parle Si vous ne connaissez chez lui ce goût profond Des sculptures qu’au bout du monde des gens font
Et comment s’expliquer son voyage à Genève Que fait-il à Cardiff dans la saison des pluies Au Caledonian Market est-ce encore lui
Qui cherche avidement des dieux dans la poussière
Vieux continent de rumeurs Promontoire hanté
Nous nous sommes fait d’autres idoles
Il y a des reposoirs dispersés à ces religions non écrites
Souvent comme une profanation secrète des autels apparents
J’ai traversé l’Europe
Je me suis assis un peu partout sur des pierres je me suis
Arrêté dans le pays des rêves
Combien de fois ai-je été voir à Anvers la braise d’or de tes cheveux ô Pécheresse
À Strasbourg la Synagogue aux yeux bandés comme dans la chanson de celui qui tua son capitaine
Le squelette de Saint-Mihiel le Portement de Croix à Gand
Le visage régulier de Bath qui semble une place Vendôme
Le Rhône comme un batelier fou débarquant les corps des tués aux Alyscamps
Et le beau Danube jaune
Quelque part entre Lausanne et Morges ces coteaux étayés de murs bleus où mûrissaient les vignes de Ramuz
Uzès Le jeune Racine s’y accoude à la terrasse des clairs de lune
Sospel à chaque fois les pins incendiés comme pour y mieux effacer les traces de l’exil et Buonarroti proscrit
Mais il y a des pays qui n’ont pas de nom dans ma mémoire
Des gares où j’ai perdu deux heures pour attendre un train
Des villes qui ne sont que passage d’arbres flottés sur leurs fleuves
Un désert d’entrepôts dans un port qu’emplit une futaie l’hiver
De hauts réservoirs dans la montagne
Des villages de soleil et de froment
Une région de fontaines bruissantes je ne sais où sans carte en automobile et que je n’ai jamais retrouvée
Des chemins de crête poudroyants de lumière
Et dans l’à-pic des rocs cette chapelle d’ombre où Charles Quint s’humilia
J’ai voulu connaître mes limites
Et ce n’est pas assez de Brocéliande ou Dunsinane
De la Forêt-Noire et de l’Océan
Car j’ai dans mes veines l’Italie
Et dans mon nom le raisin d’Espagne
Est-ce que je ne suis pas sorti de ce domaine de cerises
Où est ma place Est-elle avec ce passé des miens
Femmes de chez nous le pied court et la jambe haute
Les petits cheveux bouclant sur la nuque dont vous étiez si fières
Avec sous la peau blonde et transparente ô lionne
Le sang lombard des Biglione
Et le goût des pleureuses à dramatiser la parole
Où roule cet écho profond de l’oraison funèbre
Cette voix d’hier douce et voilée
De Jean-Baptiste Massillon aux Salins-d’Hyères
Est-ce que j’appartiens encore à ce monde ancien
Où est la clef de tout cela Je vais je viens
Faut-il toujours se retourner
Toujours regarder en arrière
J’ai traversé retraversé l’Europe
Et je traînais dans mes bagages Quelques livres couverts de feu Qui venaient du Quai de Jemmapes
Comme c’était écrit dessus
Ils parlaient d’un pays la moitié de l’année enfoui dans la neige avec le vent qui siffle à travers les maisons de bois les péristyles à colonnes des demeures nobles
Les palissades des chantiers beiges grises dentelées
Tout un peuple dans les haillons d’un empire veillant coupant en deux ses cigarettes le fusil
Entre les mains de chaque homme
Les journaux muraux
Et la débâcle et les chansons
Mais tout ce qu’ils disaient ces bouquins au parfum d’interdit
Ils le disaient dans un langage austère et grisant comme un renoncement des poètes
Le vocabulaire abstrait d’une expérience inconnue
Moi je lisais tout cela sans bien comprendre
Comme devant l’obélisque à Louksor les soldats regardent les signes humains
D’idéogrammes indéchirTrés
Des choses pourtant toutes simples Sans entendre
Par la campagne le printemps détrempé Sans voir
Les villes de meetings pleines à déborder d’une passion qui recommence
Et la débâcle et les chansons
Qui a raison d’entre ces hommes
Avec leurs noms compliqués dans le mirage des Révolutions Je me perds dans les schismes
Qui a raison
Qu’ai-je besoin du sablier des Sabéens des Sabelliens Je demande ici la vérité des Évangiles
Or j’avais commencé Lénine à la façon de Raymond Lulle ou Saint Augustin
Je le tire de ma valise à La Ciotat
A Ustaritz ou à Saint-Pierre-des-Corps
Bien des choses me sont obscures
D’être écrites précisément dans le parler de chacun
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.