La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
On se refuse longuement De n’être rien pour qui l’on aime Pour autrui rien rien pour soi-même Ça vous prend on ne sait comment
On se met à mieux voir le monde Et peu à peu ça monte en vous Il fallait bien qu’on se l’avoue Ne serait-ce qu’une seconde
Une seconde et pour la vie Pour tout le temps qui vous demeure Plus n’importe qu’on vive ou meure Si vivre et mourir n’ont servi
Soudain la vapeur se renverse Toi qui croyais faire la loi
Tout existe et bouge sans toi Tes beaux nuages se dispersent
Tes monstres n’ont pas triomphé Le chant ne remue pas les pierres Il est la voix de la matière Il n’y a que de faux Orphées
L’effet qui formerait la cause Est pure imagination Renonce à la création Le mot ne vient qu’après la chose
Et pas plus l’amour ne se crée Et pas plus l’amour ne se force Aucun dieu n’est pris sous l’écorcc Qu’il t’appartienne délivrer
Ce ne sont pas les mots d’amour Qui détournent les tragédies Ce ne sont pas les mots qu’on dit Qui changent la face des jours
Le malheur où te voilà pris Ne se règle pas au détail Il est l’objet d’une bataille Dont tu ne peux payer le prix
Apprends qu’elle n’est pas la tienne Mais bien la peine de chacun Jette ton cœur au feu commun Qu’est-il de tel que tu y tiennes
Seulement qu’il donne une flamme Comme une rose du rosier Mêlée aux flammes du brasier Pour l’amour de l’homme et la femme
Va Prends leur main Prends le chemin
Qui te mène au bout du voyage
Et c’est la fin du moyen âge
Pour l’homme et la femme demain
Cela fait trop longtemps que dure Le Saint-Empire des nuées Ah sache au moins contribuer À rendre le ciel moins obscur
Qui sont ces gens sur les coteaux Qu’on voit tirer contre la grêle Mais va partager leur querelle Qu’il ne pleuve plus de couteaux
Peux-tu laisser le feu s’étendre Qui brûle dans les bois d’autrui Mais pour un arbre et pour un fruit Regarde-toi Tu n’es que cendres
Chaque douleur humaine sens-La pour toi comme une honte Et ce n’est vivre au bout du compte Qu’avoir le front couleur du sang
Chaque douleur humaine veut Que de tout ton sang tu l’éteignes Et celle-là pour qui tu saignes Ne sait que souffler sur le feu
Mais tout ceci n’est qu’un côté de cette histoire La mécanique la plus simple et qui se voit Une musique réduite au chant d’une voix
Il y manque ce qui dans l’homme est machinal Les gestes de tous les jours qui ne comptent pas Les pas perdus Les pas faits dans ses propres pas
Tout le silence et les colères pour soi seul Tout ce qu’on a sans jamais le dire pensé Les meurtres caressés les démences chassées
Il y manque tout ce que parler effarouche Il y manque l’accompagnement d’instruments Comme d’une barque barbare au loin ramant
Ce .qu’on peut tous les jours lire dans le journal Ce qui vient déranger les rêves à tout coup Ce qu’on n’a pas choisi qui soit et vous secoue
Il y manque avant tout les tremblements de terre Et comme on se sent jusqu’à l’os humilié Un jour à rencontrer un regard spolié
Il y manque le hasard au tournant des routes
Les passions les occupations qu’on a
Et l’art comme le vin des Noces de Cana
Tenez Qu’est-ce pour vous ce voyage en Hollande Où vous ne verrez pas ces étranges statues Devant la mer comme des fauves abattus
Qu’un trafiquant naguère apporta dans des caisses Avec cent autres merveilles des pays chauds Échafaudages peints d’encre d’ocre et de chaux
Mis à intervalles réguliers sur la terrasse
A tout jamais sur les steamers qui tourneront
Le coquillage vert et roux de leur ceil rond
Que comprenez-vous au jeune homme dont je parle Si vous ne connaissez chez lui ce goût profond Des sculptures qu’au bout du monde des gens font
Et comment s’expliquer son voyage à Genève Que fait-il à Cardiff dans la saison des pluies Au Caledonian Market est-ce encore lui
Qui cherche avidement des dieux dans la poussière
Vieux continent de rumeurs Promontoire hanté
Nous nous sommes fait d’autres idoles
Il y a des reposoirs dispersés à ces religions non écrites
Souvent comme une profanation secrète des autels apparents
J’ai traversé l’Europe
Je me suis assis un peu partout sur des pierres je me suis
Arrêté dans le pays des rêves
Combien de fois ai-je été voir à Anvers la braise d’or de tes cheveux ô Pécheresse
À Strasbourg la Synagogue aux yeux bandés comme dans la chanson de celui qui tua son capitaine
Le squelette de Saint-Mihiel le Portement de Croix à Gand
Le visage régulier de Bath qui semble une place Vendôme
Le Rhône comme un batelier fou débarquant les corps des tués aux Alyscamps
Et le beau Danube jaune
Quelque part entre Lausanne et Morges ces coteaux étayés de murs bleus où mûrissaient les vignes de Ramuz
Uzès Le jeune Racine s’y accoude à la terrasse des clairs de lune
Sospel à chaque fois les pins incendiés comme pour y mieux effacer les traces de l’exil et Buonarroti proscrit
Mais il y a des pays qui n’ont pas de nom dans ma mémoire
Des gares où j’ai perdu deux heures pour attendre un train
Des villes qui ne sont que passage d’arbres flottés sur leurs fleuves
Un désert d’entrepôts dans un port qu’emplit une futaie l’hiver
De hauts réservoirs dans la montagne
Des villages de soleil et de froment
Une région de fontaines bruissantes je ne sais où sans carte en automobile et que je n’ai jamais retrouvée
Des chemins de crête poudroyants de lumière
Et dans l’à-pic des rocs cette chapelle d’ombre où Charles Quint s’humilia
J’ai voulu connaître mes limites
Et ce n’est pas assez de Brocéliande ou Dunsinane
De la Forêt-Noire et de l’Océan
Car j’ai dans mes veines l’Italie
Et dans mon nom le raisin d’Espagne
Est-ce que je ne suis pas sorti de ce domaine de cerises
Où est ma place Est-elle avec ce passé des miens
Femmes de chez nous le pied court et la jambe haute
Les petits cheveux bouclant sur la nuque dont vous étiez si fières
Avec sous la peau blonde et transparente ô lionne
Le sang lombard des Biglione
Et le goût des pleureuses à dramatiser la parole
Où roule cet écho profond de l’oraison funèbre
Cette voix d’hier douce et voilée
De Jean-Baptiste Massillon aux Salins-d’Hyères
Est-ce que j’appartiens encore à ce monde ancien
Où est la clef de tout cela Je vais je viens
Faut-il toujours se retourner
Toujours regarder en arrière
J’ai traversé retraversé l’Europe
Et je traînais dans mes bagages Quelques livres couverts de feu Qui venaient du Quai de Jemmapes
Comme c’était écrit dessus
Ils parlaient d’un pays la moitié de l’année enfoui dans la neige avec le vent qui siffle à travers les maisons de bois les péristyles à colonnes des demeures nobles
Les palissades des chantiers beiges grises dentelées
Tout un peuple dans les haillons d’un empire veillant coupant en deux ses cigarettes le fusil
Entre les mains de chaque homme
Les journaux muraux
Et la débâcle et les chansons
Mais tout ce qu’ils disaient ces bouquins au parfum d’interdit
Ils le disaient dans un langage austère et grisant comme un renoncement des poètes
Le vocabulaire abstrait d’une expérience inconnue
Moi je lisais tout cela sans bien comprendre
Comme devant l’obélisque à Louksor les soldats regardent les signes humains
D’idéogrammes indéchirTrés
Des choses pourtant toutes simples Sans entendre
Par la campagne le printemps détrempé Sans voir
Les villes de meetings pleines à déborder d’une passion qui recommence
Et la débâcle et les chansons
Qui a raison d’entre ces hommes
Avec leurs noms compliqués dans le mirage des Révolutions Je me perds dans les schismes
Qui a raison
Qu’ai-je besoin du sablier des Sabéens des Sabelliens Je demande ici la vérité des Évangiles
Or j’avais commencé Lénine à la façon de Raymond Lulle ou Saint Augustin
Je le tire de ma valise à La Ciotat
A Ustaritz ou à Saint-Pierre-des-Corps
Bien des choses me sont obscures
D’être écrites précisément dans le parler de chacun
C’EST COMMENT QU’ON FREINE – ALAIN BASHUNG et LOISOBLEU
Las
devant mon journal éteint
pour ne pas quitter la certitude de ta main
j’écrase le poste de mon vaque sain
Oh non
pas être comme un pair Ok qui dit bon jour à chaque fosse nouvelle.
Niala-Loisobleu – 26 Janvier 2021
Pousse ton genou, j’passe la troisième Ça fait jamais qu’une borne que tu m’aimes Je sais pas si je veux te connaître plus loin
Arrête de me dire que je vais pas bien C’est comment qu’on freine Je voudrais descendre de là C’est comment qu’on freineCascadeur sous Ponce-Pilate J’cherche un circuit pour que j’m’éclate L’allume-cigare je peux contrôler Les vitesses c’est déjà plus calé C’est comment qu’on freineTous ces cosaques me rayent le canon Je nage dans le goulag je rêve d’évasion Caractériel je sais pas dire oui Dans ma pauvre cervelle carton bouilli C’est comment qu’on freineJe m’acolyte trop avec moi-même Je me colle au pare-brise ça me gêne Ça sent le cramé sous les projos Regarde où j’en suis je tringle aux rideaux C’est qu’on freine Je voudrais descendre de là
Ne sachant plus distinguer le pied de la tête du lit sur lequel je suis assis , vient se coucher le renvoi des décisions qui seront inévitablement prises trop tard. Je sors les deux mains d’un jour ancien que je ne veux pas perdre pour découvrir sans relire le passage du pont en construction. Quelques poules trouent la route de leurs nids. Réda me tend la parole dans un décor de veillée que j’invente pour ne pas laisser la cheminée s’éteindre et le vain refroidir. Marie vient voir les efforts de la locomotive pour nous emporter à l’embarcadère d’un pays ensoleillé. Le petit-train roule en plein air au tempo des vagues qui bordent sa côte sous le regard rassurant des meuhs nourricières
Niala-Loisobleu – 26 Janvier 2021
LETTRE A MARIE
Vous m’écrivez qu’on vient de supprimer le petit train d’intérêt local qui, les jours de marché, passait couvert de poudre et les roues fleuries de luzerne. Devant le portail des casernes et des couvents. Nous n’avions jamais vu la mer. Mais de simples champs
d’herbe Couraient à hauteur de nos yeux ouverts dans les
jonquilles. Et nos effrois c’étaient les têtes de cire du musée, Le parc profond, les clairons des soldats, Ou bien ce cheval mort pareil à un buisson de roses. Des processions de folle avoine nous guidaient Vers les petites gares aux vitres maintenant crevées, Abandonnées sans rails à l’indécision de l’espace Et à la justice du temps qui relègue et oublie Tant de bonheurs désaffectés sous la ronce et la rouille. Depuis, nous avons vu la mer surgir à la fenêtre des
rapides Et d’autres voix nous ont nommés, perdus en des jardins. Mais votre verger a gardé dans l’eau de sa fontaine Le passé transparent d’où vous nous souriez toujours
Les bras chargés d’enfants et de cerises.
Je pense aux jours d’été où vous n’osez ouvrir un livre
À cause de ce désarroi de cloches sur les toits.
N’oubliez pas.
Dites comme nos mains furent fragiles dans la vôtre —
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