L’EPOQUE 2020/22: COMPLICITÉ SALINE 2


L’EPOQUE 2020/22: COMPLICITÉ SALINE 2

 

Après les Époques 2018 et 2019, voici le vingt-deuxième de cette nouvelle Époque 2020 avec BARBARA AUZOU : COMPLICITÉ SALINE 2 . Merci de considérer que le poème est indissociable du tableau et vice-versa…


L’EPOQUE 2020/22″Complicité saline 2″
Niala
Acrylique s/toile 65×54

 

 

Tu as ouvert ma poitrine

Avec des doigts d’eaux

La grenade rose c’était pour l’oiseau

À l’assaut de l’âme et pour la complicité

Saline Il y avait des roulements de dunes

À se parfumer les os à en oublier

Que parfois les seins s’ennuient

Quand la mer a toujours le dernier mot

Avec ses yeux violets toujours venus

Sur le tard  Et moi dans tes bras j’étais nue

Dans le fourreau d’un mystère

Rempli de mots qu’on ne connaît pas 

Et de fleurs intervallaires qui ne font que tourner sur soi

Dis-moi où se trouve le bout quand le songe se poursuit

Contre tous les récifs contre toutes les lois

Et que le sable demeure ce qu’il sera

Pareille ta main sur mon genou

 

 

Barbara Auzou.

INTENTIONS CROISEES


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INTENTIONS CROISEES

 

Le fond blanc, vaste

dans la fenêtre un reflet charnel griffonne

tissu pileux au mat des peaux que l’heure assouplit

La table  et la chaise ou debout

à peine le dernier vêtement au haut de bras

D’un crayon à la sanguine en tête

j’ai repoussé mon envie d’attendre en contournant le cerisier

tellement l’abri du mur tenait les présences malvenues à leur juste place

C’est précisément l’instant que choisit l’oiseau pour sortir son envol…

 

Niala-Loisobleu – 14 Juin 2020

CHOIX POUR PEINDRE ET TE DEPEINDRE


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CHOIX POUR PEINDRE ET TE DEPEINDRE

Ma colline  ondule de tes seins plongeants

regard tourné dans la direction du vent

La peinture qui attend que j’entre dans l’atmosphère propre au jour

m’attend, l’atelier est au bout du jardin

Le mouvement Nabis porte l’esprit de ma pensée

refuser l’académie tu as tout le corps fait pour ça

Pont-Aven

a signer sa volonté là

vaste comme ton ventre aquatique

prolégomène touffu

à toute métaphysique future

comme disait Kant

qui en a fait une science

Le champ d’or couvre la division du bocage

d’élancements d’arbres et de cris de terre

à loger la demeure

pierres loties

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Le feu qui brille dans l’âtre rend le dérèglement climatique supportable

notre équilibre est d’un autre monde.

Niala-Loisobleu – 14 Juin 2020

Hey You Pink Floyd


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Hey You
Pink Floyd

 

Hé toi, là dehors dans le froid
Hey you, out there in the cold

Devenir seul, vieillir
Getting lonely, getting old

Peux-tu me sentir?
Can you feel me?

Hé toi, debout dans les allées
Hey you, standing in the aisles

Avec des pieds qui démangent et des sourires pâlissants
With itchy feet and fading smiles

Peux-tu me sentir?
Can you feel me?

Hé toi, ne les aide pas à enterrer la lumière
Hey you, don’t help them to bury the light

Ne cédez pas sans vous battre
Don’t give in without a fight
Salut toi par toi-même
Hey you out there on your own

Assis nu au téléphone
Sitting naked by the phone

Voulez-vous me toucher?
Would you touch me?

Hé toi avec ton oreille contre le mur
Hey you with you ear against the wall

Attendre que quelqu’un appelle
Waiting for someone to call out

Voulez-vous me toucher?
Would you touch me?

Hé toi, m’aiderais-tu à porter la pierre?
Hey you, would you help me to carry the stone?

Ouvre ton coeur, je rentre à la maison
Open your heart, I’m coming home
Mais ce n’était que de la fantaisie
But it was only fantasy

Le mur était trop haut
The wall was too high

Comme vous pouvez le voir
As you can see

Peu importe comment il a essayé
No matter how he tried

Il ne pouvait pas se libérer
He could not break free

Et les vers ont mangé dans son cerveau
And the worms ate into his brain
Hé toi, là-bas sur la route
Hey you, out there on the road

Toujours faire ce qu’on te dit
Always doing what you’re told

Pouvez-vous m’aider?
Can you help me?

Hé toi, là-bas au-delà du mur
Hey you, out there beyond the wall

Casser des bouteilles dans le hall
Breaking bottles in the hall

Pouvez-vous m’aider?
Can you help me?

Hé toi, ne me dis pas qu’il n’y a aucun espoir
Hey you, don’t tell me there’s no hope at all

Ensemble nous tenons, divisés nous tombons
Together we stand, divided we fall

 

Mes Yeux Dans Ton Regard par Nilda Fernandez


Mes Yeux Dans Ton Regard par Nilda Fernandez

Quand tu veux tu m’appelles
Tu connais mon numéro
45 12 20 00

Quand tu veux tu m’entraînes
En face de toi dans un bar
Comme autrefois j’ai envie de te voir
De voir, de voir…
Mes yeux dans ton regard

Mais s’il faut pour te plaire
Devenir presque un idiot
Je ne suis pas celui qu’il te faut

Laisse tomber ce qui pèse
Oublie les adieux dans les gares

Laisse-moi seulement l’envie de revoir, revoir…

Quand tu veux tu m’appelles
Tu connais mon numéro
45 12 20 00

Et quand les années qui viennent
Te feront casser les miroirs
Garderas-tu l’envie de revoir, revoir…

Revoir, revoir
Mes yeux dans ton regard

A BARBARA, BARBE EN SCENE


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A BARBARA, BARBE EN SCENE

Longue très longue

Elle  (la logique) entra dans sa tête (d’un docteur) par la brèche, et la renversa du premier effort et de ses simples prolégomènes – Balzac – Le Barbon

Jeu de massacre des têtes spectatrices qui bissent

à l’ordre du prompteur

comme au tabouret d’un monarque qui se prit pour le soleil

J’illustrerais côtés cour et jardin

sanguine couleur et matière

ta didactique mise en préface

oiseau

ne retenant que le cri de ton orthographe

comme les caniveaux qui m’ont élevés au balai de bouleau

l’oeil épluché de sa crotte chiasseuse

nu

déshabillé de la pleureuse…

Niala-Loisobleu – 13 Juin 2020

DEUX FINS LAMBEAUX D’ÉTOILE


 

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DEUX FINS LAMBEAUX D’ÉTOILE

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Deux fins lambeaux d’étoile

deux cristaux de promesse

l’air pur et puis la nuit et puis et puis et puis

toute danse étreignant deux fins lambeaux d’étoiles

les ciseaux de lumière après la
Tour
Eiffel

et le printemps déjà qui déjà déjà luit

traînant sous ces arceaux un corps toujours revêche ce corps enfin s’adjoint ce corps qui l’avait fui la chair où court le sang la chair de toute nuit et les courbes marquant le
trajet des mains rêches

obscur mangeur de jour ces deux mains unité

la longueur d’un maintien la chaleur des deux paumes

tous les feux sont éteints il reste pour la nuit

la grande conjonction de l’herbe et de la pierre

 

Raymond Queneau

 

N’ÊTRE PAS


 

 

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N’ÊTRE PAS

Fermer le temps présent le temps nécessaire à s’en purger pour se replacer au bon endroit, besoin de ça pour sortir de ce temps de merde où tous, hommes et éléments s’accordent pour conduire à rien. Cézanne en premier pour héberger la révolte constructive. Des murs solides et vivants chassant les faiseurs de mots maîtres de la phrase creuse. Puis Marguerite pour approcher la netteté allant au but en sachant que peu comprendrons, mais ce peu devenant le tout il faut le jeter. Je ne peux peindre un monde qui base sa vérité sur un mensonge. Le non-dit actuel s’en prend à tout sans mesurer. Ce sens étant totalement dépassé. Personne ne veut plus se reconnaître. Nous sommes dirigés par un homme qui erre et dans cette reconnaissance de son inaptitude pense à démissionner pour se faire réélire. Ce n’est même plus pitoyable, c’est la loi du néant, son pouvoir totalitaire. Je vais pas me pisser dessus et me vomir, non je veux arrêter cette déchéance au moins sur le plan personnel.

Arrêter juste pour séparer le désastre d’un suicide au profit d’un choix de l’ignorance globale qui se vante de savoir. Pouvoir se sauver et non vouloir le pouvoir d’en profiter. Internet héberge ce deuxième pouvoir, celui que je répudie.

Je ne veux pas perdre ma vitalité en vivant mon quotidien dans l’inaction d’aimer au premier chef. Le sujet onirique est affaibli par un autre virus. Celui d’une réalité matérialiste prête à tout pour occuper l’espace de marché. Réduite à ne plus pouvoir prendre en compte la stricte mesure de précaution.

L’économie mondialiste reprend autorité sur l’existence des individus pour n’être plus.

J’écrirai la couleur du vivre, la vigueur d’aimer isolé  de la masse pas de mon idéal, pour sauver le seul concept qui vaille.

Niala-Loisobleu – 13 Juin 2020

DES YEUX DANS LES PAGES


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DES YEUX DANS LES PAGES

 

Au bord d’une idée qui se développe, la dame arrête la marche de ses pieds pour leur faire atteindre l’immensité du croisement de pensées

Transportée par la lecture elle laisse aux oisifs le bavardage stérile de supermarché et la course au clic ordinateur sur la case « j’aime » ce que j’ignore de quoi il s’agit

Le banc environné d’arbres rassemble les oiseaux sans besoin de leur jeter des miettes

Il est l’aéronef, le grand écart, le pont

La vie s’y alimente en banquet

 

Les peaux dans leurs différences ont cette couleur compatible de l’échange spirituel et non ce comportement agaçant de mouches qui se posent précipitamment, toujours les mêmes, à horaire constant, comme des colons venus voir si leurs esclaves rapportent. Toi qui like à m’agacer, abstiens-toi ça me plairait bien

Elle est belle cette femme mûre, plus riche qu’une poupée à la mode pas de chez moi

 

Niala-Loisobleu – 10 Juin 2020

 

HYMNE A L’HOMME ET A LA FEMME


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HYMNE A L’HOMME ET A LA FEMME

Il est nuit. Deux vantaux de bronze se referment.

Tout le cercle de l’horizon y fait écho.

Un cœur, deux cœurs le répercutent. Cela dure

Comme le branle d’un bourdon : une mesure

Qui bat et bat, serrant les tempes en étau.

Un immense tympan vient de crever là-haut,

Il pleut. Un bruit d’aplomb plus sourd qu’une muraille.

Une vulve leur sert d’abri dans le rocher

Ils s’y tassent l’un contre l’autre sur eux-mêmes

Sous le poids d’un néant gigantesque — le ciel.

Dans cet espace étroit plus rance qu’une tombe

Commence leur séjour sur terre : par la nuit.

A peine s’ils y sont distincts de la ténèbre

Où leur regard quoique béant s’opacifie.

Il fait très froid. L’horreur de s’engourdir les force

A mêler leur haleine et leurs membres, chacun

Tirant de soi cette chaleur qui manque à l’autre

Et que glacé il s’ignorait. Entre eux ainsi

S’échange un même amour que leur détresse invente

De leur manque qu’il creuse à fond et qu’il emplit

Faisant de chacun d’eux pour l’autre l’infini.

2

Le zénith flamboyant blinde d’éclairs la voûte L’horizon fait des moulinets d’un bleu d’acier. C’est l’Ange : seulement visible par l’épée. La scène se réduit
au sol de la caverne Et, devant, au rempart du vide où l’œil se perd Vertigineusement dans sa fixité noire Que pétrifie la gangue opaque de l’Ouvert. Ils ont le dos contre
la pierre. La béance De la grotte est leur épouvante du néant. Ils sont seuls comme si le monde eût cessé d’être. Seuls l’un dans l’autre comme si toute la Vie Se
limitait précairement à leur étreinte Dans ce creux que sans interstice elle remplit. Demain — mais viendra-t-il jamais? — un jour va naître S’il perce à
leur travers l’éternité de nuit S’ils se conçoivent l’un de l’autre puis enfantent Chacun son autre qui lui soit absolument Le centre l’univers le souffle qu’il respire Le Nom
qui nomme tout et demeure innomé. Car l’Être s’est retiré d’eux pour qu’ils L’inventent D’eux-mêmes et du pauvre amour qui Le supplée.

3

Ce qu’ils vont vivre au plus épais de ce temps nul C’est la gestation apparemment sans terme De l’homme en eux qui ne naîtra qu’au dernier jour. Ils rêvent ce travail les yeux
ouverts en face De leur béance dont ils sont comme l’envers Et dont le poids les presse aux flancs pour qu’ils avortent Car à quoi bon? Si seulement Dieu les guettait De sa
majestueuse Absence… Mais II S’est Effacé avec tout son œuvre : et sauf eux-mêmes En cet antre, rien ne rappelle qu’il créa. Ainsi toute raison qu’ils aient d’être
est enclose Dans l’amande de leurs deux corps aux sexes joints. Leurs dos sont l’horizon des mondes et leur souffle Bouche à bouche se renouvelle comme l’air Et dans leurs yeux
aveuglément de grands vents passent Spasmodiques, du fond du songe. Ils font gémir La chair confuse où se chevauchent des latences Qu’une lame de fond soulève —
l’Avenir. Leur couple y danse indestructible (bulle ou spore) Au-dessus d’un chaos dont il ne sait encore Quel écho abyssal s’y donne son désir.

4

Nus dans le Rien, n’ayant de témoin que leur peau Ils se serrent pour se réchauffer l’un à l’autre Et d’être nus leur est un refuge, le seul Élément qui subsiste
et résiste au néant. Leur nudité met en partage une tendresse Dont la distance du regard les eût privés Et la honte, cette science qu’ils acquirent D’un
éblouissement trop fort, fauteur de nuit. Nuit qui fait grâce : plus de honte. Leur étreinte Les confond, les pétrit, les peaux glissent, refluent Leur enseignent la soie
des frissons, la coulée Des membres, la marée montante avec le sang. Les courbes et les creux, les saillies, les mollesses L’humide dans les plis, le poil, l’odeur mêlée
Tout se meut, s’interroge et s’ajuste et s’esquive Tout est lierre onduleux, danse ophidienne, fût! Dans l’intervalle des soupirs et des caresses Ils se nomment : Adam, Eve. Beaux noms
pareils A ce savoir naissant et double qu’ils s’inventent A ce toucher insatiable qui dissout Chacun dans son désir que l’autre soit le Tout.

5

Gauchement, il a mis la main sur son épaule. Depuis qu’il prit le fruit c’est la première fois Qu’il tâte d’une chose ronde sous ses doigts Aveugles et n’osant apprendre quelle
forme Les guide de l’épaule au sein si’doucement… Pourtant déjà le pouce effleure l’aréole La paume contournant un mamelon parfait En est le moule ou la mémoire qui
s’attarde Puis (pour laisser la place à l’autre main) revient Sous le cou recueillir comme au creux d’un coussin La nuque abandonnée follement frêle et forte Portant la tête
qu’il soulève comme on boit A la coupe et ce sont deux lèvres qu’il découvre Pulpeuses l’invitant à des saveurs goulues Qui se mêlent de bouche à bouche et lui
révèlent L’humide et le muqueux dans l’herbe où ses doigts jouent Sans qu’il paraisse se douter que leur caresse S’y glisse en longs frissons d’eau vive sous la peau —
C’est par eux que close d’abord plus qu’une rose La source s’humectant de sa propre rosée S’ouvre à l’homme — pour lui fermer l’envers des choses.

6

L’envers des choses ! Et d’abord cette fraîcheur Ce goût de sel et de varech de la muqueuse Où la face de l’homme enfonce, se dissout Devient presque la bouche en bas qu’elle
dévore Qui la dévore, et l’appétit qui naît entre eux Ne fait qu’un gouffre qui s’affame de soi-même Mangeant son vide, sa salive, ses odeurs : Ah ! se repaître du
Dedans, sentir le ventre De la femme et sa propre gorge, continus ! Mais ce n’est pas assez pour lui que la matrice Lui colle tellement aux tempes qu’il en perd Tout autre sens que de sa bouche
dans ces chairs : Plus loin ! Plus outre ! Maintenant tous deux s’accordent A s’évider à s’absorber pour mettre à vif Ils ne savent au fond de quoi le Néant même Les
ravalant par cette plaie dont ils sont nés Car chacun d’eux n’est qu’une plaie enfantant l’autre Pour s’en gaver jusqu’à leur consommation Ils ne sont rien que cette double succion De
toutes parts ce plaisir noir qui n’est que lèvres Et les digère et les retourne à leur limon.

7

Étale jusqu’à l’horizon de ses yeux clos

Eve contemple de son corps qui bouge à peine Ses profondeurs inaccessibles s’élevant Et s’abaissant à l’infini hors d’elle-même : L’onde part de son ventre et la porte aux
confins D’une syncope où renversée toute en arrière Sa chevelure est la nuit lourde qu’elle sent Abyssale ployer sa nuque sous l’extase La face révulsée vers le haut
par le poids. Mais l’onde tout en s’éloignant revient sur soi D’un double mouvement de moire qui éclaire Eve nocturne de frissons comme la mer. Adam la couvre d’un orage de
ténèbres Dont l’éclair l’illumine au centre par instants Et c’est le vide au long de ses nerfs qui crépite D’étoiles qu’elle sent s’éteindre dans sa chair En mal
voluptueusement d’une genèse : Tout se passe dans la mêlée de ces deux corps Ayant perdu toute limite l’un dans l’autre Et dont la jouissance est le gouffre commun Qu’Eve
contient s’ouvrant sans borne à sa nature.

8

Adam cambré se heurte-t-il à la caverne Ou touche-t-il du front la voûte du néant? Sème-t-il dans la nuit utérine son sperme Ou son regard étoile-t-il le
firmament? Dans le noir leur étreinte est un chaos de rêves D’où des formes — le temps d’un souffle — émergent, fuient Leur conscience qui déjà
s’évanouit. Formes pourtant d’un univers qui se modèle A l’empreinte toujours changeante de la chair Tantôt mâle tantôt femelle sur soi-même Se rêvant à
son tour rêvée par l’univers. Toute énergie toute tendresse toute flamme Toute fluidité innervée de frissons Toute ductilité des corps saturés d’âme
Toute leur dureté d’os, de roc, de raison Leur peau glissant sur soi l’invente, se l’enseigne Et sa caresse étant aveugle n’est bornée Par rien mais crée de toutes parts son
epiderme Où la sensation devient eau, terre, vent Monde encore en partie rêvé mais qui pressent Ce qu’en deçà de leurs yeux clos capte leur face.

9

Ces doigts d’homme sur les versants un peu bombés Du paysage en pente douce sous les lèvres Se répandent en lents ruisseaux de vif-argent Qui scintillent par touches brèves
et tressaillent D’éclairs nerveux dans la chair d’Eve constellée. D’être passive lui révèle sa présence Intensément muette et vaste, tel un champ Dont
l’horizon serait son souffle. Elle s’écoute Qui respire l’immensité de ses yeux clos Et, parfois, comme l’eau dans l’herbe, sent que vibrent Des nappes de plaisir prêt à
sourdre, rêvant. Car la charrue au bord du champ n’a pas encore Entamé le sillon. Ni Adam laboureur Humé l’odeur de terre humide dans la femme. Pourtant c’est d’elle qu’à la
sueur de son front Mieux que le blé les moissons d’hommes lèveront. Mais pour l’heure il joue de la glaise féminine Y modelant ici une épaule, colline Là, resserré
entre les cuisses, ce vallon. Jusqu’à ce que, pris de désir pour cette argile De tout son corps il pousse en elle, lui, le soc.

10

La nuit cherche la nuit pour se perdre en soi-même Sans la frontière intérieure de ces peaux Dont chacune si ardemment se frotte à l’autre Que, pour l’instant, elles les
cernent d’un seul feu. Ils sont le feu mais qui n’attise que sa flamme Ne brûle rien, n’éclaire rien en dehors d’eux. Nuit et feu sont en eux étranges l’un à l’autre Elle
très noire lui très rouge, contigus. Aussi longtemps que cet incendie s’alimente A la brûlure de leur même écorchement Ils n’ont de nuit que leur double
éblouissement. Mais le feu gagne vers les ténèbres, vers l’âme Et, de rouge qu’il est, s’y fait sombre, pesant Déjà solide bien qu’encore incandescent Eux
l’ignorent, flambant par la cime ! Il leur semble Être éternels dans le brasier qui les unit. Déjà pourtant leur cendre est cendre. Une bataille Se livre entre le feu et le
feu. Celui-ci S’absorbe, s’assombrit, devient son autre en lui Y rend d’avance les amants à leur poussière A leur désir inextinguible : être enfouis.

11

Ensemble ils font l’expérience du passage Forcement mutuel de la nuit par la nuit. Chaque pore en chacun cède à toute la masse De l’autre en chaque point de son corps réunie
Chacun s’ouvre à tout l’autre atome par atome En se multipliant en lui à l’infini. Tant que chacun n’aura souffert tout ce qu’ignore Son autre des douleurs qu’il souffrira jamais
L’homme et la femme s’étreignant seront encore D’autant plus étrangers qu’ils le sont de plus près. Leurs bouches qui ne font à deux qu’un gouffre avide Auront beau
s’entre-dévorer pour s’échanger Que sauront-ils de plus de leur distance vide Quand il n’en restera que le trou du baiser? Car ce n’est qu’en mourant chacun si loin dans l’autre Que
celui-ci ne s’y rejoigne que par lui Qu’ils pourront épuiser entre eux comme deux pôles Toute distance en ses extrêmes abolie. Ce corps à corps donne l’assaut à la
limite Qu’est pour l’autre chacun l’outrepassant ici Où la mort traversant la mort s’anéantit.

12

Mourant de même mort leur mort n’est pas la même En elle et lui le monde meurt différemment. Elle c’est l’eau en ronds immenses s’annulant Lui leur centre s’y annulant pour les
émettre. Adam retourne d’un seul spasme comme un gant Tout son être vidé en deçà de tout l’être Eve s’étale en un seul long gémissement Amplifiant le
flux de vie à perte d’être. Entre leur double mort l’univers se déploie Du même mouvement dont il revient sur soi. L’abîme instantané qu’est pour l’homme la femme
Il l’emplit de l’éclair qui l’y précipita Semeur de galaxies giclant sur la membrane De l’éternité vierge et noire à tout jamais Où luit et ne luit pas le germe,
feu follet. Les grands cris haletants s’embrasent et s’éteignent Et chaque fois Adam meurt en Eve à nouveau Tout un éon s’épuise en eux à se rejoindre A son moment
antérieur où s’abolit Leur dernier souffle que reprend à bout de mondes Le premier regretté avant qu’il soit émis.

13

Non pas outre : à rebours de tout. Plus je pénètre Plus je bute : plus je m’entête à retourner. Où? Dans la nuit, seule mesure. Temps, distance Ici n’ont lieu. De
l’immuable sans contour. Qu’elle ait eu un commencement ou qu’elle puisse Finir demain est un néant pour la pensée. Rien qu’elle donc les yeux immensément fermés Et moi
fiché, forcé en elle. Son abîme Colle rythmique à mes côtés. Mais sous mon corps Sa violence de douceur me cède, s’ouvre Résiste, cabre le centaure !
arque les reins Pour me happer ou m’arracher dès que je feins De m’en déraciner ou de prendre racine Dans cette faim de m’engouffrer que met à vif L’intenable suspens de mon
désir massif. Choir là ! Fondre dessus de tout le Poids ! J’agrippe Écorche aspire mords mange suce ma proie Bâillonnée de baisers qui n’en finissent pas D’écraser
jusqu’aux dents la pulpe de nos lèvres Leur double bouche dont la salive a le goût De l’argile où le double sexe se dissout.

14

L’écho se tait. Il se fait tard sur cette terre. Le ciel s’éteint avec le bronze. Nous voici Chacun seul dans les bras de l’autre : lieu précaire. Notre ombre à peine
jetée hors du Paradis Nous fixait l’horizon des âges. Puis la nuit Vint murer dans nos yeux sa perspective noire Et pour l’infinité des siècles je compris Qu’au bout de ce
chemin parcouru en aveugle L’homme le dos contre la porte à tout jamais Se tiendrait sur ce même seuil où je persiste Et te fais face toi ma porte à deux vantaux. Je me suis
retourné d’avance pour ne faire Le premier pas dans les ténèbres hors de toi. Toute une nuit qui durera autant que l’homme Je veux tenter de te rouvrir sur l’en deçà De
retrouver non point l’oasis interdite Mais ton clapotement marin au fond du Soi Matrice lisse après comme avant tous les mondes Scellement virginal afin que rien ne soit De ce qui
naît de nous jusqu’à ce que s’épuise Ce désir qui est moi de m’abolir en toi.

15

Eve l’écoute en cercles concentriques. Eve N’a de mémoire de l’Êden que ce qu’elle est Le Paradis étant cette onde qui la porte Elle et ses larges yeux lointains qui font
des ronds. De son désir elle est l’onde extrême : l’extase D’un mouvement sourdant de soi vers le profond Vaste de plus en plus d’échos telle une oreille Dont la corolle
s’élargit avec le flot Et tandis que l’homme laboure entre ses jambes Prenant ses vagues de plaisir pour des sillons Elle contemple tout là-haut dans ses pensées Quelque chose
comme une Face constellée Dont sa très lente jouissance est le halo Lente pour que sa nuit déborde inexhaustible D’ondes lui refluant de bords non advenus Ceux de son ventre qui
respire avec l’espace Et sous l’homme axial s’amplifie en rythmant Le battement originel à l’œuvre au centre Qu’Adam s’obstine en elle-même à renfoncer Alors qu’Eve à
chaque secousse le propage De monde en monde reculant l’éternité.

16

O je gémis O je jouis O je languis

De sentir la marée monter entre mes hanches

Encore, encore… Que je flue Que je reflue

Un mouvement sans bords me peuple, comme si

J’étais tout l’océan et la bouée au centre

O encore ! Que je ne sache distinguer

Le plein de mon plaisir du bas de la marée

Tant mon ventre ne se soulève à ta rencontre

Que pour mieux se creuser sous toi de t’aspirer

O syzygie de jouissance touchant presque

Au zénith et l’instant d’après tue, retirée

Si loin, si loin, que l’ombilic se crispe au large

Et que la mer se ratatine et que le sel

A tes lèvres demeure seul quand tu les poses

Sur ma peau par son feu d’entrailles craquelée…

Lèche ma fièvre ! réamorce de salive

L’eau du tréfonds, l’impérieux raz de marée!

Moi tout arquée à la courbure de la terre

Les cheveux rejetés au gouffre, les yeux blancs

Les cuisses écartées sur la corolle étale

D’un horizon rouge de sang à l’Orient.

17

De mes cuisses à mon visage avant l’aurore Il court un feu par transparence sous ma peau Où déjà le soleil miroite, non encore Levé, mais annoncé par son ombre
à fleur d’eau. Ton front le capte et luit à l’aplomb de ma face Bien que tes yeux feignent toujours que c’est la nuit. L’œil rouge que je mets au monde l’illumine Qui monte
énorme de mon ventre et m’éblouit D’un grand spasme que j’éternise de mon cri. Cri de mouette sur la mer ivre d’écume Offerte au ciel et dont les flancs sont l’horizon !
Toi, derrière tes cils obstinément où perle Le jour brillant comme une goutte de rosée Tu persistes sous un halo de bleu lunaire Dans ta nuit que tes rayons mêmes ont
chassée. Et moi qui tiens tout mon éclat de ta clarté Je voudrais ralentir la lune sur son erre J’aime la part de l’hémisphère où sa pâleur Prolonge aux fonds
terreux jusqu’à ce qu’ils s’éveillent L’illusion que la ténèbre soit le lieu Où se terrer contre le jour s’il est sans Dieu.

18

Elle déjà au grand soleil et lui encore

Dans l’ombre. Et cependant c’est lui le grand soleil

Sur elle qui s’étire au loin comme la plaine

Étend ses fleuves vers la mer à l’horizon.

Sans limite, allongeant au sol sa forme noire

Eve à l’issue de la caverne jaillit nue

Et touche d’un seul jet au zénith : et sa vue

Tout autre qu’au jardin, partout s’ouvre, la cerne

Espace qui n’est qu’elle immense, ayant perdu

Toute mesure en son ivresse que commence

Le jour, ce jour ! leur premier-né qu’elle a conçu.

Le Paradis était à l’échelle de l’arbre

Ils en cueillaient le fruit sans étendre la main.

Rien ce matin n’a plus d’échelle. Dès qu’ils bougent

Le soleil trace son orbite ou bien le vent

Des sables s’échevelle au désert. Eve aspire

La sécheresse qui lui ôte les poumons

Elle est le sable et le simoun et la distance

Chassée toujours plus loin dans le vide ! et qui doit

Ne vouloir qu’en avant de soi à toute force

Où rien n’est que le fait inane d’être là.

19

A peine s’est-elle accouchée du jour ouvrable Qu’elle empoigne les mancherons de la charrue. Le sillon qui la guide en créant l’étendue Suit l’orbe du soleil au ras du sol
arable. C’est dans sa chair qu’elle y enfonce à chaque effort Son oui à cette glaise hostile qui lui colle A l’âme pas à pas comme arrachée du corps. Ce jour est le
premier d’une habitude immense Qui monte en Eve à l’horizon du souvenir Comme il est le dernier d’un temps vécu d’avance Qu’elle suscite en tout ce qui doit advenir. Ses yeux bien que
baissés ont pourtant pour paupières Les lointains que le soc repousse avec la terre : Qu’elle lève si peu la tête du sillon Pour s’assurer qu’il tire droit au-devant d’elle
Et son front bute au ciel comme à la cire un sceau Tout ce qu’elle saura jamais du bleu sans ombre Est cette empreinte qui lui brûle le cerveau. Adam la suit, les yeux béants de
tant d’espaces Frayés par elle sans daigner les mesurer : Lui les mesure à sa terreur de s’égarer.

20

II la contemple qui vieillit en ce seul jour Autant que d’âge en âge un éon de la terre. Toute la majesté des temps est dans son port Tant elle est droite à l’horizon
sur la courbure De son regard vertigineux ouvrant d’aplomb Au-dessous d’elle une ténèbre sans étoiles Où tout s’en va comme si rien n’eût existé. Il la contemple
belle et lisse de visage Haute du front où siège au ciel l’éternité D’être nue à midi en fait cette clairière La Vie! la Vie aux vastes rives dont l’ouvert
Tente d’atténuer de bleu le vert nocturne Elle dont chaque geste est comme un cercle autour De cette immensité précaire, la lumière. Il la contemple avec son ventre un peu
bombé Sans ombilic comme dut l’être l’origine Et comme elle étonnée de soi, même enfantine Sous la tangente d’un rayon au point du jour. Telle est la Mère des
humains pour ce si jeune Époux entre ses bras instruit à commencer Ici et non du lieu dont ils furent chassés.

 

Pierre Emmanuel