Du temps qui déborde
retenons l’instant cousu
et son reste de fil
l’offrande n’est pas la marque de la fin
et sa bougie prête
c’est la présence de l’impossible décadenassé
le passerelle et ses arts
face aux Immortels
Niala-Loisobleu – 21 Juin 2020

retenons l’instant cousu
et son reste de fil
l’offrande n’est pas la marque de la fin
et sa bougie prête
c’est la présence de l’impossible décadenassé
le passerelle et ses arts
face aux Immortels
Niala-Loisobleu – 21 Juin 2020

Noces
Le faux-témoin du temps replie ses facettes contrariées
Supplanté dans l’instant par le voyageur éternel
Du bleu bonheur que tu m’as donné
Barbara Auzou.

Contre la coiffeuse un ciel neutre
dans la glace une image engagée
Vêtue de ton jardin
arbre à soie de forte impression
roses prolégomènes
des choses dites avant
la notion glissant entraîne le bout des doigts
Sur les lèvres à travers la menthe un bond défigé de l’inerte
chasse la poitrine-ouvrière au dehors puiser le nectar
sans que les brouillards du pays habité par les reptiles ne dépasse le premier prolongement
Une telle parure tient sans retenue au bord de l’autre oeil son intégrale nudité dans les plis de son sarong, le corps en espaliers.
Niala-Loisobleu – 21 Juin 2020

De nos chairs granit, grès et calcaire pour humaniser notre voie antique
un cylindrique accouplement à travers l’espace borne
de son vouloir l’éternité de son passage
Surhumaine existence terrestre…
Niala-Loisobleu – 21 Juin 2020

Voici que presque rien de ce fil ne me reste.
Sa pelote était lourde et me bondait le cœur.
Et ce cœur si souvent a retourné sa veste
Qu’il croyait ne jamais perdre de sa douleur.
Or ce n’est pas du sang c’est un fil qui s’écoule,
Invisible, terrible, aux visages tenu.
Ces visages étaient une innombrable foule,
Chacun démaillotait et voulait mon cœur nu.
Le voulait-il ? Plutôt ils étaient tous aux ordres
D’un maître qui nous vide et nous charge de nuit.
Qui nous charge de nuit de poussière et de cendres,
Du fantôme cruel d’un monde qui me fuit.
Il fuit de moi pour vivre et pour prendre des forces,
Car il les prend en nous qui nous en nourrissons.
Multipliant, changeant ses mille et une farces
Que nous crûmes repos, rencontres et chansons.
C’était je m’en souviens sous forme de souffrance.
Mais je restais debout de la France incompris,
Comme était, au dehors, incomprise la France
Avec sa croix d’honneur et ses livres de prix.
Elle grouillait, inculte, éprise de désastres,
Et je lui ressemblais (ce qu’elle n’aime pas).
Je me savais un corps formé d’ombres et d’astres
Et j’étais son esclave et j’étais son repas.
Elle me dévorait sur sa nappe de seigles,
Sur une nappe blonde où penchent les épis,
Sur son charme de sourde et sa grâce d’aveugle
Et sous son ciel bien sourd et bien aveugle et pis.
On y voyait dormir la jeunesse qui tombe,
Des cadavres si frais, si nobles et si beaux
Que tous les moissonneurs moissonnaient une tombe
De beaux corps endormis adorés des corbeaux.
C’est ce qui m’apparaît lorsque je me retourne
Transformé par avance en colonne de sel.
Car les larmes en moi glacent un sel interne
Qui ne veut pas se fondre au sel universel.
Ce sel me brûle. Il sèche, il cristallise, il ronge,
Il remplace le bloc de ce fil à sa fin.
Bientôt mon corps à vif ne sera qu’une éponge
Ayant toujours plus soif de larmes et plus faim.
Plus faim de ma substance et plus soif de mes larmes,
Plus vide et plus gonflé de tout ce que j’aimais.
Les yeux de ma jeunesse ont cru, monde, à tes charmes
Qui se vengent sur nous de ce que tu promets.
Les couples amoureux dénoués de leurs crises
Ecrivaient sur les murs des dates et des noms
Et les cerisiers secs méditaient leurs cerises
Et l’or écervelé se changeait en canons.
La jeune éternité que rien ne rassasie
Et se moque pas mal de nos maigres espoirs
Assoupissait l’Europe et réveillait l’Asie
Et postait ses grands boucs au seuil des abattoirs.
A quoi peuvent prétendre avec leur peau tannée
Le monde qui somnole et la chambre où je dors ?
Mon sommeil où le rêve à vie instantanée,
Pousse des inconnus par d’obscurs corridors.
Nul n’y peut rien. Il faut que le temps et l’espace
Feignent de débiter ce qui n’est que d’un bloc
Et que je me réveille et qu’un autre jour passe
Et qu’un matin rouillé chante comme un vieux coq.
Pauvre guerrier lassé, cousu de cicatrices,
Théâtre fait avec les planches d’un radeau,
Prépare tes acteurs, maquille tes actrices,
On frappe les trois coups, on lève le rideau
Rouge (comme il se doit) car rouge est le théâtre
Du crime. Il coulera du sang noir et du vin
Rouge, et rouge le drame et, dans l’ombre rougeâtre,
Sur mille spectateurs en restera -t-il vingt ?
Vingt qui s’égorgeront pour ne laisser personne
Debout. Par politesse. Une dame debout ?
Quel scandale ! On la tue. Alors l’entracte sonne
Et rentre un public neuf venu l’on ne sait d’où.
Neuf le public. Neuf les acteurs et neuf le drame.
L’intelligence (on s’en doute) fait des progrès.
Progresse le massacre et la dernière dame
Peut voir son meurtrier sans honte ni regrets.
Fleuves qui déroulez un cortège de vaches
Vaches dont l’œil voyage au fond des lourdes mers
Fleurs dont l’âme cruelle organise les taches
Miroirs qui détestez qu’on vous passe au travers.
Salles des pas perdus, portes de la justice,
Chambres où l’accusé se change en innocent,
Embellissez vos cours (vous me rendrez service)
De ces géraniums qui décorent mon sang.
Décorez-vous. Mentez. Menez de gloire en gloire
Les victimes du bouc qui trompe le troupeau.
Je ne veux même pas vivre dans la mémoire
De la fille aux huit sœurs drapée en son drapeau.
Je crache sur vos lys, vos robes d’innocence,
Sur les bustes du parc de la célébrité.
Je suis ; figurez-vous, moins bête qu’on ne pense
Et pour dormir me tourne de l’autre côté.
(Côté mur) où s’accroche une photographie
De noce –horizontale chute au ralenti
D’un accident mortel sur lequel je défie
Qu’on me trouve. J’étais vraiment par trop petit.
Très ridicule en costume de Bonaparte,
Une main dans le dos, l’autre dans le gilet.
De ma chaise il faudra descendre et que je parte,
Magnifique empereur de ce groupe fort laid.
Et me voilà, mangé par une île déserte
Sans sauvages (et vivante bien entendu).
Cette île m’adorait et décida ma perte ;
A force de m’aimer d’amour j’étais son dû.
Probablement sur cette île repousserai-je
Sous forme de quelque orchidée ou datura.
Quelque moelle d’amour dont la brûlante neige
Se prostitue à l’insecte qui la tuera.
Quelque métamorphose de ce genre, bien funeste,
Et bien morne, soumise à de tendres poisons.
Pas plus mornes que le souvenir qui me reste
Du linge abandonné dans toutes mes maisons.
*
Midi sonne le gong sur la mer des naufrages.
Le mistral criminel détrousse l’olivier.
A qui puis-je m’en prendre et que dois-je envier ?
Où conduisent, hélas, mes fièvres et mes rages ?
Des autres déterrer, gaspiller le trésor,
Je le voudrais. Quel luxe il y a dans l’envie !
Mais jamais un trésor n’allège aucune vie
Car la seule richesse est d’enterrer sa mort.
Elle tricote en nous. On soigne cette Parque
Industrieuse, en train de démêler son fil.
Qu’il est délicieux de mener mal sa barque
De montrer tantôt l’un, tantôt l’autre profil.
C’est superbe. Si rien ne peut être superbe
Sur un monde qui roule et roule de travers,
Sur ce tison malade où le moindre brin d’herbe
Cache des univers.
Ah j’en dessècherais de tourner dans le vide
(Qui n’est pas vide) et qui se décharge de nous
En pavoisant, en décorant des invalides,
Au milieu du troupeau des gloires à genoux.
*
Pauvres hommes pressés savez-vous que vous n’êtes
Rien. Des dupes. Et que tout vous condamne exprès
A ce rythme trompeur qui berce les planètes,
A prendre pour du loin un mensonge du près.
Tout est près. Rien n’est loin. Rien n’est lourd. Rien ne pèse.
Rien ne va vite. Rien n’a tort. Rien n’a raison.
Et l’âme assise sur un fantôme de chaise
Rempaille le soleil au seuil de sa maison.
Spectacle il faut l’avouer extraordinaire
Dans une tente de foire, où, sur l’écriteau,
On annonce qu’on peut admirer Lacenaire
De face et de profil, sa main et son couteau.
Et pourtant, et pourtant un éventail de branches
Imite les rayons roses des projecteurs,
Et les seins, les genoux, les épaules, les hanches,
Volent au ras du sol sur leurs vélomoteurs.
On résiste très mal à toutes ces caresses,
Au revolver adroit de ces jeunes coups d’œil,
A ces citrouilles qui deviennent des carrosses
A ce gai corbillard des familles en deuil.
C’est noir. C’est en couleur. C’est une belle éclipse
De la lune sur la mer où se vautre le vent.
C’est la grêle de feu, de bitume et de gypse,
Et le danseur de corde avec son chien savant.
Le septième ange qui sonnait de la trompette
Lança ses foudres d’or sur le char d’Apollon.
Le Dieu (dont le sourcil ressemble à la houlette)
Excitait son quadrige en frappant du talon.
Mais les chevaux cabrés et ligotés de veines,
L’un l’autre s’insultaient et se mordaient le col.
Et les rois se jetaient sur les bûchers des reines,
Et le char du soleil se fracassait au sol.
Il y eut quelques minutes étonnantes
Où les îles sombraient, où tonnaient les volcans,
Où l’ange assassinait les bêtes et les plantes,
Les soldats de César endormis dans les camps.
Les femmes des soldats avortaient sur leur couche,
La peur fuyait la mort, la mort frappait la peur.
Alors l’ange se tut en s’essuyant la bouche
Devant un monde vide et frappé de stupeur.
Voilà comment en nous se peut rompre une artère,
Voilà comment en nous un cycle s’interrompt.
La trompette a sonné l’ange n’a qu’à se taire.
Ce que l’ange a défait d’autres le referont.
Ce n’est pas grave. Une minute ! une minute
Désagréable, mais c’était du beau travail,
Or, l’ange le regarde avec ses yeux de brute,
Avec ses yeux de folle, avec ses yeux d’émail.
Et s’en va. Qu’on s’y fasse. Où va-t-il ? Je l’ignore.
Il l’ignore lui-même. Il est seul. Il est nu.
Il est immense. Il est une espèce d’aurore
Boréale. Il s’en va comme il était venu.
Ce n’est pas drôle. Rien n’est drôle. C’est son rôle
De ne pas être drôle et d’être le zéro
Qui souffle dans du cuivre et désaxe les pôles,
Avec l’indifférence exquise d’un bourreau.
Il s’exécute avec l’exquise indifférence
D’un bourreau payé cher et qui n’est pas méchant.
Avec l’indifférence exquise de l’enfance
Qui torture une sauterelle dans un champ.
Le champ, pour ce supplice, ouvre ses ondes blondes.
L’ange musicien sans être plus ému,
(Blonde est sa grâce aussi) s’éloigne entre les mondes.
Jamais on ne saura quelle force le mût.
Quelle force le mût, qui lui donna cet ordre
De cueillir notre monde et de mordre dedans.
De choisir une vieille orange pour y mordre
Et pour laisser dedans la marque de ses dents.
C’est une curieuse histoire que la Bible
Raconte. Savez-vous ce qui vous pend au nez ?
Savez-vous, sentez-vous, qu’il n’est pas impossible
De revivre ce jour dont vous vous étonnez.
Et que cet ange cueille encore notre orange
Et la morde et sonnant de sa trompette d’or,
Reprenne sa musique et ce beau travail d’ange,
Sa fanfare de mise à mort ;
O ma maison de fous combien je te vénère,
Combien j’aime la chaux de tes murs profanés
Plus blanche que le lait qui coule d’une mère
Dans la bouche des nouveau-nés.
Qu’on ne me parle pas de m’en ouvrir la porte.
Enfermez-moi dehors votre bal est trop laid.
Qu’il est tendre le lait qui coule d’une morte…
Et je me nourris de ce lait.
Lait de chaux sur lequel des sexes et des flèches
Dans un cœur, sont les hiéroglyphes des amants.
Amour faudrait-il pas, ces murs, que tu les lèches,
Que tu lèches ces murs charmants.
O ma maison de fous, j’exige qu’on m’enferme
Et pour être enfermé n’ai-je pas payé cher ?
J’abandonne à ses cris, à ses vagues de sperme
Le monde avec ses murs de chair.
O ma maison de fous, ô mes murailles saintes,
O mon ingratitude, ô ma solitude, ô
Mes icones d’amour, ô mes cellules peintes
O mon maternel lait de chaux.
Ainsi chante le cygne et cygne ainsi je chante,
Jusqu’à rejoindre au fond une dame du lac.
Il n’est pas, paraît-il, de dame plus méchante,
Mollement assoupie en l’eau de son hamac.
Une dame dans le genre du Roi des Aulnes,
Quelque chose, on me la raconte, d’approchant.
En son hamac ou bien assise sur un trône
Et mieux qu’une sirène adroite pour le chant.
Mon chant à ceux uni que chante cette dame
Risque de déranger la barque des rameurs.
Trempe à gauche une main, trempe à droite une rame…
Car les rameurs muets savent que je me meurs.
Les filles de la barque en laissant la main pendre
Perdent leurs bagues, sans même s’apercevoir
Que la dame qui voit mes bagues d’or descendre,
Les enferme dans son tiroir.
C’est ensuite crier, se plaindre à la police,
M’accuser, m’accabler, me contraindre aux aveux
Par les coups, et m’ouvrir un nouveau précipice
Où choir –mais ce n’est pas celui-là que je veux.
Allez comprendre. Et les rameurs furent des Corses
A grande gueule, vifs à me faire chanter
Un autre chant de cygne où j’épuise mes forces
(Et le mensonge où s’empêtre la vérité).
Bilan lugubre d’un dimanche à la campagne.
Et l’interrogatoire : « Etes-vous cygne ou non ? »
« A qui sont les cheveux qui restent dans le peigne ? »
« Alors vous refusez de dire votre nom ? »
Et coetera. Là-haut, la sibylle de Delphes
Vaticinait au flanc d’une montagne à pic
Où l’on achetait des sucres d’orge, des gaufres,
Et les colifichets qui plaisent au public.
A droite, sur son char, était debout l’Aurige,
Vêtu de plis de bronze, et ses âges orteils
Bien rangés, bien nattés, bien attelés, que dis-je ?
de jeune chevaux côte à côte pareils.
C’est alors dans le ciel orageux et tandis qu’
Il pleuvait sur les immortelles, dégageant
Des tisanes d’odeur, que nous vîmes un disque
Arriver de Patmos et du livre de Jean.
Il volait à toute vitesse et en silence
Environné d’un éclair de magnésium.
Et Pallas qui pleurait, le front contre sa lance,
De sa tente guerrière écarte le velum.
Que voit-elle ? Ce disque effectuait des courbes
Et disparut silencieusement vers l’est.
Ecoeuré par le roc, les offrandes, les marbres,
Il se vidait d’un feu comme on jette du lest.
Ce feu vert s’allongeait sur l’isthme de Corinthe.
Nous le vîmes s’évanouir pendant que cet
Objet incompréhensible, né de la crainte,
S’en retournait à la source du chiffre sept.
L’homme épris de sa haine, enfiévré de se battre
Sous ce chiffre qui fait et qui défait les rois,
A sa glèbe attaché, fidèle au chiffre quatre
Accumulait la colère du chiffre trois.
L’accumulait (par une mauvaise habitude
D’alchimistes courbés sur son triangle noir).
Dans le triangle un œil espionnait leur étude
Et cet œil les voyait qu’ils ne pouvaient pas voir.
Sept colonnes de feu de meurtre et de fumée
Firent le reste. Un aigle en avait pondu l’œuf.
La triade détruite, aussitôt reformée,
Les observe au milieu de son triangle neuf.
Neuf est absurde. Ainsi me tendait une perche
La rime d’un poème exprès torve et boiteux.
Non. L’œil est une bouche. Elle dit cherche… cherche…
Et l’on connaît comment se terminent ces jeux.
Cherche, cherche… L’objet impudemment s’expose,
Trop simple à nos regards au-dessus du panier.
Que le joueur y fouille. Il se décide. Il ose.
Qu’il ose ! Rira bien qui rira le dernier.
La mer brassait un sang bleu peuplé de microbes
Effroyables (plaisirs du pêcheur sous-marin).
Cette folle pliait et dépliait ses robes
Bavait, se flagellait les fesses et les reins
Elle se dénudait, dégrafait ses étoiles
De viande crue et les lançait au bord d’un lit
Où le linge en désordre et les fauteuils de toile
Dérange le voisin du volume qu’il lit.
Il se soulève. Il voit s’énerver les persiennes
Qui grincent et la folle érotique à côté,
Sauter du lit, hurler, ouvrir grande les siennes,
Afin que la tempête insulte sa beauté.
Les arbres, les balcons, les mouettes, les navires
Dansent en son honneur. Car folle de son corps,
(Qu’importe le spectacle et si d’autres le virent)
Elle court sur la plage et roule dans les ports.
La police trouve à l’hôtel les chambres vides,
Les meubles sens dessus dessous.
Et pourquoi demander leur aide
A des hommes à moitié saouls ?
Aux estivants réfugiés dans les cabines,
Aux femmes en chemise et criant au secours
A cet enlèvement absurde des Sabines,
A ces sous qui pleuvaient sur le pavé des cours.
C’est en vain qu’on interroge quelques personnes
Pour savoir qui jetait les sous
Qui cassait les fauteuils, qui claquait les persiennes
De l’hôtel sens dessus dessous.
A l’aube on retrouva la folle dans sa chambre
En ordre. Elle riait et peignait ses cheveux.
Elle avait retrouvé la place de ses membres.
Elle se refusait à faire des aveux.
Folle, folle superbe, entrez dans mon domaine,
Dans ma maison de fous et dans mon lait de chaux.
Aussi bien que sur les rives on s’y promène.
Ses carrelages froids valent vos sables chauds.
Suivez-moi. C’est un cloître. Ici l’on ne découvre
Plus les folles d’amour sous la houle des draps.
Profitez de ce calme. Une porte s’entrouvre.
C’est la bonne, courez et tombez dans mes bras.
J’aime votre laideur, vos écumes, vos goîtres.
Ils ne m’effrayent pas car je les trouve beaux.
Vous goûterez enfin dans les chambres de cloître
Ce fleuve de silence où voguent les tombeaux.
J’obéirai, s’il faut, pages, que j’obéisse,
Que je vide au dehors mon interne encrier.
Que puis-je contre vous et contre ce supplice,
Muse dont le plaisir est de faire crier.
Tout moyen vous est bon. Que dirai-je ? Qu’y puis-je ?
Libre fut mon matin. J’espérai jusqu’au soir.
Mais votre œil est pareil à celui de l’Aurige
De Delphes, cannes blanches aux ordres d’un trottoir.
Canne d’aveugle, canne blanche, blanche canne,
Blanche canne de somnambule sur le toit,
Masque blanc du chirurgien qui trépane.
O muse indifférente à ce qui n’est pas toi.
De trottoir en trottoir depuis la Grèce antique,
L’Aurige marche, sans même bouger un pied.
De sa canne d’aveugle il est le domestique
Et de la Sibylle, assise sur son trépied.
Ce trépied n’était qu’un animal à trois pattes,
Aveugle, naturellement (on s’en doutait).
Animal cuirassé de croûtes et de crottes,
Qui bavarde et lorsqu’on l’interroge se tait.
Il le fallait, de toi, trépied, que j’écrivisse.
Tu ressembles par trop à mon guide inhumain,
A ses haltes, à sa dégaine d’écrevisse.
Pendant ce temps l’Aurige en a fait du chemin !
Rien ne manque à l’appel, le manque à l’enchevêtre-
ment. Aucun passepoil, aucun bouton d’unif
orme. Aucun passepoil, aucun bouton de guêtre.
Aucune note prise à cet indicatif.
Je voudrais avance. Tu freines, tu recules,
Tu tournes sur toi-même et cours en reculant.
Et pourquoi m’inviter à ce travail d’Hercule
Puisque je me dirige avec un bâton blanc.
Au moins cassez mon rythme et faites qu’il trébuche.
Evitez-moi la course éprise de son but.
Pour activer mon feu dérangez chaque bûche,
Que ma plume ait un air de femme qui a bu.
Fil de fer barbelé de longues et de brêves,
Employez tout. Faussez les chances de succès.
Inventez un mandant pour la fouille des rêves,
Mentez à mon procès.
Et si quelque passant saluait mon poème,
Faites-le suivre. Allez vous plaindre au tribunal.
De toutes les façons il est suspect s’il l’aime.
Il ne peut aimer que le mal.
Qu’il soit, à mon exemple, accusé d’innocence.
Payez les témoins s’il le faut.
Je veux, auprès de vous saluer sa naissance,
Sur les planches d’un échafaud.
Jean Cocteau

L’eau retournée regarde dans son dos
les strates profondes au coin des yeux
et ce bruit qui tombe de haut
qu’elle garde au tympan du Roman
étape dans ses mains
Niala-Loisobleu – 20 Juin 2020

Maintenant que le monde à sa fin s’achemine
Et que je vis parmi les ombres du passé
Mon vertige s’arrête aux yeux verts d’une ondine ou dans mon petit coin chez
Madame de C.
Mais comment m’esquiver?
Mais comment m’effacer?
Je crève de ferveur, je sanglote ma vie
Vivre de plus en plus dans un monde glacé
Jusqu’à n’avoir plus qu’une tombe pour amie?
L’homme cavalier seul sur un cheval sans bride
Reprend la navette entre
Jésus et
Vénus
Sous un ciel scintillant de mille feux torrides
D’être un homme est-ce donc si triste devenu?
L’image peinte aussi est une poétique
Qu’elle vise au reflet d’un rêve intemporel
Ou circule au milieu des oliviers tragiques
Paysan dont l’humour transcende le trivial?
Toujours la même porte ouverte sur
Byzance
La gravité zéro est mon point oméga:
—
Donne-moi tout la fleur le fruit et la semence! —
Jeunesse son verjus, vieillesse son verglas…
Paul Neuhuys

Ayant achevé quelques dessins au crayon et les ayant retrouvés quelques mois après dans un tiroir, je fus surpris comme à un spectacle jamais vu encore, ou plutôt
jamais compris, qui se révélait, que voici :
Ce sont trois hommes sans doute; le corps de chacun, le corps entier est embarrassé de visages; ces visages s’épaulent et des épaules maladives tendent à la vie
cérébrale et sensible.
Jusqu’aux genoux qui cherchent à voir.
Et ce n’est pas plaisanterie.
Aux dépens de toute stabilité, ils ont médité de se faire bouches, nez, oreilles et surtout de se faire yeux; orbites désespérées prises sur la rotule. (Le
complexe de la rotule, comme dit l’autre, le plus complexe de tous.)
Tel est mon dessin, tel il se poursuit.
Un visage assoiffé d’arriver à la surface part du profond de l’abdomen, envahit la cage tho-racique, mais à envahir il est déjà plusieurs, il est multiple et un matelas
de têtes est certes sous-jacent et se révélerait à la percussion, n’était qu’un dessin ne s’ausculte pas.
Cet amas de têtes forme plus ou moins trois personnages qui tremblent de perdre leur être; sur la surface de la peau les yeux braqués brûlent du désir de
connaître; l’anxiété les dévore de perdre le spectacle pour lequel ils vinrent au-dehors, à la vie, à la vie.
Ainsi, par dizaines et dizaines apparurent ces têtes qui sont l’horreur de ces trois corps, famille scandaleusement cérébrale, prête à tout pour savoir; même le
cou-de-pied veut se faire une idée du monde et non du sol seulement, du monde et des problèmes du monde.
Rien ne consentira donc à être taille ou bras : il faut que tout soit tête, ou alors rien.
Tous ces morceaux forment trois êtres désolés jusqu’à l’ahurissement qui se soutiennent entre eux.
Comme il regarde! (son cou s’est allongé jusqu’à être le tiers de sa personne).
Comme il a peur de regarder! (à l’extrême gauche la tête s’est déplacée).
Quelques cheveux servent d’antennes et de véhicule à la peur, et les yeux épouvantés servent encore d’oreilles.
Tête hagarde régnant difficilement sur deux ou trois lanières (sont-ce des lanières, des bouts d’intestin, des nerfs dans leur gaine?).
Soldat inconnu évadé d’on ne sait quelle guerre, le corps ascétique, résumé à quelques barbelés.
Dentelé et plus encore en îles, grand parasol de dentelles et de mièvreries, et de toiles arachnéennes, est son grand corps impalpable.
Que peut bien lui faire, lui dicter, cette petite tête dure mais vigilante et qui semble dire « je maintiendrai ».
Que pourrait-elle exiger des volants épars de ce corps soixante fois plus étendu qu’elle?
Rien qu’à le retenir elle doit avoir un mal immense.
Cette tête en quelque sorte est un poing et le corps, la maladie.
Elle empêche une plus grande dispersion.
Elle doit se contenter de cela.
Rassembler les morceaux serait au-dessus de sa force.
Mais comme il vogue!
Comme il prend l’air, ce corps semblable à une voile, à des faubourgs, semblable à tout…
Comme cette floitille de radeaux pulmonaires s’ébranlerait bien, mais la tête sévère ne le permet pas.
Elle n’obtient pas que les morceaux se joignent étroitement et se soudent, mais au moins qu’ils ne désertent pas.
Celui-ci, ce n’est pas trop de trois bras pour le protéger, trois bras en ligne, l’un bien derrière l’autre, et les mains prêtes à écarter tout intrus.
Car quand on est couché, votre ennemi en profitera, il faut craindre en effet qu’il ait grande envie de vous frapper.
Derrière trois bras dressés, le héros de la paix attend la prochaine offensive.
Ici, le poulpe devenu homme avec ses yeux trop profonds.
Chacun s’est annexé séparément et pour lui tout seul un petit cerveau (la paire de besicles devenue tête!), mais assurément ils réfléchissent trop.
Ils pensent en grands halos, en excavations, c’est le danger : la lunette aide à voir mais non à penser et déblaie la tête (l’homme) au fur et à mesure, par
pelletées.
Ce serait bien une flamme, si ce n’était déjà un cheval, ce serait un bien bon cheval, s’il n’était en flammes.
Il bondit dans l’espace.
Combien loin d’être une croupe est sa croupe éclatante de panaches ardents, de flammes impétueuses!
Quant à ses pattes elles ont des ténuités d’antennes d’insectes, mais leurs sabots sont nets, peut-être un peu trop « pastilles ».
C’est comme ça qu’il est mon cheval, un cheval que personne ne montera jamais.
Et une banderole légère et certainement sensible, dont sa tête est ceinte, lui donne une finesse presque féminine, comme s’il se mouchait dans un mouchoir de
dentelles.
Heureusement, heureusement que je l’ai dessiné.
Sans quoi jamais je n’en eusse vu un pareil.
Un tout petit cheval, vous savez, une vraie idée « cheval ».
Beaucoup plus près des brises que du sol, beaucoup plus ferme dans la pure atmosphère malgré ses pattes de devant posées comme deux crayons.
Et il rue vers le ciel, il rue des ruades de flammes.
Il dit quelque chose, ce cheval, à ce cerf.
Il lui dit quelque chose.
Il est beaucoup plus grand que lui.
Sa tête le domine de très haut, une tête qui en dit long ; il a sûrement beaucoup souffert, de situations humiliantes, depuis longtemps, dont il est sorti.
Ses yeux disent une sérieuse remontrance.
Avez-vous jamais vu des rides autour et au-dessus des yeux d’un cheval, droites et remontant jusqu’au sommet du front?
Non.
Pourtant aucun cheval ne ressemble plus à un cheval que lui.
Sans ces rides, il ne s’exprimerait pas avec autant d’autorité.
Naturellement ce n’est pas un cheval qu’on puisse voir sous le harnais… quoiqu’il y ait de pires tragédies.
Et là, un peu plus loin, un autre animal accourt.
Il s’arrête stop! sur ses pattes, il observe, il essaie de se faire d’abord une idée de la situation, on voit qu’il en prend conscience.
Cependant, le premier ne cessant de s’adresser au cerf, en sa fixité si parlante lui dit :
Comment peux-tu? voyons, comment oses-tu?
Le cerf fait la bête.
D’ailleurs ce n’est qu’un daim, comment ai-je pu me tromper jusqu’à dire que c’était un cerf?
Dans un parc de fleurs, de volailles, d’attrape-mouches, de petites collines et de semences huppées prenant leur vol, s’avance le gracieux géant hydrocéphale sur sa
patinette.
Patinette-voiturette, car on peut s’y asseoir mais point à l’aise; il y a un haut, étroit dossier incliné, en panache, mais bien au-dessus encore de son plus haut appui
apparaît, tandis qu’une main longue et ferme tient le guidon, apparaît et plane la majestueuse tête au front débonnaire, œuf intelligent à l’ovale délicieux,
étudié en vue des virages ou bien de la croissance des idées en hauteur.
Sur un tout autre plan, quoique près de lui, court à toute vitesse un clown aux jambes de laine.
Pas seulement des cheveux poussent sur cette tête, mais une ronde de donzelles.
Ou plutôt elles s’assemblent pour la ronde, et déjà trois sont en place et s’en vont prendre les autres par la main.
Et tout ça sur quoi? sur la grande tête rêveuse de la jolie princesse noire aux tout petits seins, oh toute petite taille; oh toute petite princesse.
Est-ce pour regarder qu’ils sont venus sur cette page, ces deux-là?
Ou pour s’effrayer, pour être glacés d’épouvante à cet étrange spectacle qu’ils voient, qu’ils sont seuls à voir?
Et rien pour digérer leur épouvante.
Aucun soutien.
Pas de corps.
Il n’y aura donc jamais personne pour avoir un corps ici.
Mais peut-être l’effroi passé, tourneront-ils le dos au papier, amants silencieux, appuyant l’un contre l’autre leur maigreur délicate, seuls à eux deux, de l’autre
côté du monde, venus ici comme un détail du hasard, repartant inaperçus vers d’autres landes.
Henri Michaux

Chanterelle, chardon, cuscute.
Où l’herbe nage,
ne dresse aucun étai.
Je me souviens d’une femme
qui vendait des sabots.
Contient de la chitine.
Dors dans la coque
du cargo qu’on oublie.
Sans passion, sois l’ami
des carmes déchaux, des filles
au bord des larmes.
Le douze mai, tu pars:
une touffe de fines herbes
est ton seul aveu.
Perdus, nous devenons utiles et cherchons les outils rouges, et cherchons les maisons où nous pourrions vivre, maisons à clefs, à verrous, maisons de courte paille où nous
cachons nos dés.
Flûtes, osselets font frémir les chats et les femmes.
Dans le temple du sabot, j’ignore vendanges et récessions.
Affluent les feux, le miel.
Cent faux coupent la toison des vergers engloutis et muets.
Qu’enfume-t-on dans l’étable?
Les porcs, je les caresse et les couche en ma peau.
Nul fait ne confirme la rixe à laquelle je pris part.
Mon nom ne vous dit rien : je suis couteau, soc ou rotule.
Je lis l’écriture penchée, je cloue les mots-corneilles et le papier pourrit.
Les ciseaux coupent l’encre des doigts et des sabots : on file doux sous les arbres.
Nul bourreau n’avoue forfaits, simagrées.
J’introduis dans ma chambre oiseleurs et larrons.
Le gui dort dans l’œil des chats et des voleuses.
Voici le dieu du gel qui me serre les tempes.
Nue, la neige aujourd’hui, a odeur de lavande.
Un regard neuf pourfend soldatesque et police.
Le petit bonheur nous appelle.
La treille, et, sous la treille, un monceau de citrons…
Les bœufs qu’on caresse, dont l’haleine enfouit les petits enfants de brume, conspirent, têtus. Élais-je au bord du
Tage?
Je mentais pour mentir loin du pays des guêpes.
La pluie, l’herbe et les lèvres, le feu qui – myosotis – siffle, font ici ronde sourde.
Pommes sans nom gardent l’odeur, le verger.
Bernard n’affûte aucune sentence.
Le puits au fond du puits fait grincer la poulie.
Et
Colette n’encolle aucune lampe de thé.
Mars clôt le bec des oiseaux enchantés.
Tout délivre la liberté.
Jacques Izoard

Ta piste reste visible sous les couvertures de toutes sortes de macadam
un jaune repaire pris en vol
L’expression comme école fait monter le pigment et l’isole des incursions chimiques
mon petit-bonhomme collé rémora par sa ventouse
pilote en mode manuel
Quand ça monte à faire le sang battre aux tempes les volets de nos zèles tempèrent
d’une musique planante
C’est l’instant que ton corps choisit pour se muer anémone au mouvement
l’horizontale ceinture d’herbe avance ses pointes en conquête
c’est l’orée-muse
les hautes-colonnes en cathédrale portent voix
en flèche
et le monde s’écarte par peur d’émoi.
Niala-Loisobleu – 17 Juin 2020
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