LES SIGNES DE FRAYEUR


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LES SIGNES DE FRAYEUR

II suffit d’écarter les ronces : partout traces de la retraite fuyarde vers la ville, de l’abandon implacable des lieux exposés où jadis on bâtissait — proue de la
presqu’île aux joues de vent ; et le chalet bien plus haut que le col, à la frontière des derniers arbres.

Reflues en la place forte, en la ville qui émousse, fragmente, et monotonise l’espace pour parer à toute surprise, à l’abri de l’abrupt et de l’exposé, ils cherchent la plus
profonde sécurité comme si ne cessait de les talonner une première terreur.

En témoignent ces comparaisons articulées encore et toujours, malgré tous les remparts, à un monde auroral que nous n’avons jamais vu mais que nous avons encore en
mémoire ; un monde ruisselant du déluge; comme si nous n’en finissions pas de nous extraire de marécages et de grottes, de nous soustraire aux tentacules et aux terres mouvantes
; monde à la lisière de nos villes où nous allons rôder le dimanche et l’été, à peine « revenus d’une grande frayeur », échappés au
poisson et au serpent, et que nous continuons à traîner dans nos métaphores ; arrière-monde où nous puisons encore nos images pour reconnaître celui-ci.

Michel Deguy