GRAND BAIN


122328d9399a31017c3f05cfb028068e

GRAND BAIN

Au milieu de l’orage

les boules d’éclairs

ont fait Fanny

comme je tirais

La pluie s’est déversée

tant et tant

que je flotte encore la poitrine jusqu’aux épaules

à laver le passé d’un tournant de page

Sur le pont de ta rivière

enserré dans tes bras de lit

L’eau vive m’emporte au sein de l’atelier, où plus qu’assise, tu fondes en larmes riches l’édifice, pierre dure de granit et tuff du tympan, l’outil ne se retient pas de jouir de la saignée qui monte l’avant-bras dans l’estuaire.

Niala-Loisobleu – 20/07/19

ENCORE UNE FOIS SUR LE FLEUVE


c53ec34cc8c3e173443ddae7203d36bb

ENCORE UNE FOIS SUR LE FLEUVE

Encore une fois sur le fleuve le remorqueur de l’aube a poussé son cri

Et encore une fois

le soleil se lève

le soleil libre et vagabond

qui aime à dormir au bord des rivières

sur la pierre

sous les ponts

Et comme la nuit au doux visage de lune

tente de s’esquiver

furtivement

le prodigieux clochard au réveil triomphant

le grand soleil paillard bon enfant et souriant

plonge sa grande main chaude dans le décolleté de la

nuit et d’un coup lui arrache sa belle robe du soir
Alors les réverbères

les misérables astres des pauvres chiens errants

s’éteignent brusquement

Et c’est encore une fois le viol de la nuit

les étoiles filantes tombant sur le trottoir

s’éteignent à leur tour

et dans les lambeaux du satin sanglant et noir

surgit le petit jour

le petit jour mort-né fébrile et blême

et qui promène éperdument

son petit corps de revenant

empêtré dans son linceul gris

dans le placenta de la nuit

Alors arrive son grand’frère

le
Grand jour

qui le balance à la
Seine

Quelle famille

Et avec ça le père dénaturé

le père soleil indifférent

qui

sans se soucier le moins du monde

des avatars de ses enfants

se mire complaisamment dans les glaces

du métro aérien

qui traverse le pont d’Austerlitz

comme chaque matin

emportant approximativement

le même nombre de créatures humaines

de la rive droite à la rive gauche

et de la rive gauche à la rive droite

de la
Seine

Il a tant de choses à faire le soleil

et certaines de ces choses

tout de même lui font beaucoup de peine

par exemple

réveiller la lionne du
Jardin des
Plantes

quelle sale besogne

et comme il est désespéré et beau

et déchirant

inoubliable

le regard qu’elle a en découvrant

comme chaque matin

à son réveil

les épouvantables barreaux de l’épouvantable bêtise humaine

les barreaux de sa cage oubliés dans son sommeil

Et le soleil traverse à nouveau la
Seine

sur un pont dont il ne sera pas question ici

à cause d’une invraisemblable statue de sainte
Geneviève

veillant sur
Paris

Et le soleil se promène dans l’île
Saint-Louis

et il a beaucoup de belles et tendres choses

à dire sur elle

mais ce sont des choses secrètes entre l’ile et lui

Et le voilà dans le
Quatrième

ça c’est un coin qu’il aime

un quartier qu’il a à la bonne

et comme il était triste le soleil

quand l’étoile jaune de la cruelle connerie humaine

jetait son ombre paraît-il inhumaine

sur la plus belle rose de la rue des
Rosiers

Elle s’appelait
Sarah

ou
Rachel

et son père était casquettier

ou fourreur

et il aimait beaucoup les harengs salés

Et tout ce qu’on sait d’elle

c’est que le roi de
Sicile l’aimait

Quand il sifflait dans ses doigts

la fenêtre s’ouvrait là où elle habitait

mais jamais plus elle n’ouvrira la fenêtre

la porte d’un wagon plombé

une fois pour toutes s’est refermée sur elle

Et le soleil vainement

essaye d’oublier ces choses

et il poursuit sa route

à nouveau attiré par la
Seine

Mais il s’arrête un instant rue de
Jouy

pour briller un peu

tout près de la rue
François-Miron

là où il y a une très sordide boutique

de vêtements d’occasion

et puis un coiffeur et un restaurant algérien

et puis en face

des ruines des plâtras des démolitions

Et le coiffeur sur le pas de sa porte

contemple avec stupeur

ce paysage ébréché

et il jette un coup d’ceil désespéré

vers la rue
Geoffroy-l’Asnier

qui apparaît maintenant dans le soleil

intacte et neuve

avec ses maisons des siècles passés

parce que le soleil

il y a de cela des siècles

était au mieux avec
Geoffroy-l’Asnier

Tu es un ami lui disait-il

et jamais je ne te laisserai tomber

Et c’est pourquoi

l’ombre heureuse et ensoleillée

l’ombre de
Geoffroy-l’Asnier

qui aimait le soleil et que le soleil aimait

s’en va chaque jour

que ce soit l’hiver ou l’été

par la rue du
Grenier-sur-1’Eau

et par la rue des
Barres

jusqu’à la
Seine

et là les ombres de ses tendres animaux

broutent les doux chardons de l’au-delà

et boivent l’eau paisible

du souvenir heureux

Cependant qu’au-dessus d’eux

accoudé au parapet du pont
Louis-Philippe

le loqueteux absurde et magnifique

qu’on appelle

le
Roi des
Ponts

crache dans l’eau pour faire des ronds

Fasciné par la monotone splendeur

de l’eau courante

de l’eau vivante

sans se soucier du qu’en-dira-t-on

il ne cesse de cracher

et

jusqu’à ce que la salive lui manque

offrant ainsi en hommage

à sa vieille amie la
Seine

quelque chose de sa vie

quelque chose de lui-même

et il dit

La
Seine est ma sœur

et comme je suis sorti un jour

des entrailles de ma mère

elle elle jaillit chaque jour

et sans arrêt

des entrailles de la terre

et la terre c’est la mère de ma mère

et la mort c’est la mère de la terre

Et il s’arrête de cracher un instant

et il pense que la
Seine va se jeter dans la mer

et il trouve ça beau

et il est content

et son cœur bat comme autrefois

et il se retrouve comme autrefois

tout jeune avec une chemise propre

qu’il enlevait pour faire l’amour

et il regarde la
Seine

et il pense à elle à la vie et à la mort et à l’amour et il crie

et il pense à elle à la vie et à la mort et à l’amour et il crie

Oh!
Seine

ne m’en veux pas

si je me jette dans ton lit

c’est pas des choses à faire

puisque je suis ton frère

mais pas d’histoires

je t’aime alors tu m’emmènes

Mais attention

quand nous arriverons là-bas

tous les deux

là-bas à l’instant même

qu’on ne connaît pas

là où l’eau déjà n’est plus douce

mais pas encore salée

n’oublie pas le
Roi des
Ponts

n’oublie pas ton vieil ami noyé

n’oublie pas le pauvre enfant de l’amour

avili et abîmé

et dans les clameurs neuves de la mer

garde un instant ta tendre et douce voix

pour me dire que tu penses à moi

Et il se jette à la flotte et les pompiers s’amènent

enfin voilà pour lui

comme on dit ai simplement dans les
Mille et
Une
Nuits

Et la
Seine continue son chemin

et passe sous le pont
Saint-Michel

d’où l’on peut voir de loin

l’archange et le démon et le bassin

avec qui passent devant eux

une vieille faiseuse d’anges un boy-scout malheureux

et un triste et gros vieux monsieur qui a fait une misérable fortune dans les beurres et dans les œufs
Et celui-là s’avance d’un pas lent vers la
Seine en regardant les tours de
Notre-Dame
Et cependant

ni l’église ni le fleuve ne l’intéressent mais seulement la vieille boîte d’un bouquiniste
Et il s’arrête figé et fasciné devant l’image d’une petite fille couverte de papier glacé

Elle est en tablier noir et son tablier est relevé une religieuse aux yeux cernés la fouette

Et la cornette de la sœur est aussi blanche que les dessous de la fillette
Mais comme le bouquiniste regarde le vieux monsieur congestionné celui-ci gêné détourne les yeux et laissant là le pauvre livre obscène

jette un coup d’oeil innocent détaché

vers l’autre rive de la
Seine

vers le quai des
Orfèvres dorés

là où la justice qui habite un
Palais

gardé par de terrifiants poulets gris

juge et condamne la misère

qui ose sortir de ses taudis

Dérisoire et déplaisante parodie

où le mensonge assermenté

intime à la misère l’ordre de dire la vérité

toute la vérité rien que la vérité

Et avec ça dit la misère

faut-il vous l’envelopper

Et voilà qu’elle jette dans la balance truquée

la vérité de la misère

toute nue ensanglantée

C’est ma fille dit la misère

c’est ma petite dernière

c’est mon enfant trouvée

Elle est morte pendant les fêtes de
Noël

après avoir longtemps erré

au pied des marronniers glacés

sur le quai

à deux pas de
Chez
Vous

Messieurs de la magistrature assise

levez-vous

et vous

Messieurs de la magistrature debout

approchez-vous

Voyez cette enfant de quinze ans

Voyez ces genoux maigres ces tristes petits seins

ces pauvres cheveux roux

ces engelures aux pieds et ces crevasses aux mains

Voyez comme la douleur a ravagé ce visage enfantin

Et vous
Messieurs de la magistrature couchée et bien

bordée réveillez-vous

D ne s’agit pas d’une berceuse d’une romance

Ne comptez pas sur moi pour chanter dans votre

Cour
D ne s’agit pas d’un feuilleton d’un mélodrame

rien de sentimental aucune histoire d’amour
D s’agit simplement de la terreur et de la stupeur qui se peint sur le visage de l’enfant et qui serre atrocement le cœur de l’enfant à l’instant où l’enfant comprend qu’elle va
avoir un petit enfant et qu’elle ne peut le dire à personne pas même à sa mère qui ne l’aime plus depuis longtemps et surtout pas à son père puisque
malencontreusement c’est le père qui très précisément est le père de cet enfant d’enfant

Sur un matelas elle rêvait

et autour d’elle ses frères et sœurs

remuaient en dormant

et la mère contre le mur

ronflait désespérément
Enfin toute la lyre comme on dit en poésie

Le père qui travaille aux
Halles et qui s’en retourne

chez lui après avoir poussé son diable dans tous les courants

d’air de la nuit et qui s’arrête un instant en poussant un soupir

navré devant la porte d’un bordel fermé pour cause de
Haute
Moralité
Et qui s’éloigne

avec dans ses yeux bleus et délavés la titubante petite lueur de l’Appellation
Contrôlée
Et le voilà soudain ancien colonial si ça vous intéresse et réformé pour débilité mentale le voilà plongé d’un seul coup

dans la bienfaisante chaleur animale et tropicale de la misérable promiscuité familiale
Et le lampion rouge de l’inceste en un instant prend feu dans la tête du géniteur il s’avance à tâtons vers sa fille et sa fille prend peur…
Vous imaginez hommes honnêtes ce qu’on appelle le
Reste et pourquoi un soir deux amoureux enlacés sur un banc

dans les jardins du
Vert-Galant ont entendu un cri d’enfant si déchirant

J’étais là quand la chose s’est passée

à côté du
Pont-Neuf

non loin du monument qu’on appelle

la
Monnaie

J’étais là quand elle s’est penchée

et c’est moi qui l’ai poussée

Il n’y avait rien d’autre à faire

Je suis la
Misère

j’ai fait mon métier

et la
Seine a fait de même

quand elle a refermé sur elle

son bras fraternel

Fraternel parfaitement

Fraternité Égalité
Liberté c’est parfait

Oh bienveillante
Misère

si tu n’existais pas il faudrait t’inventer

Et le
Ministère public qui vient de se lever

la main sur le cœur l’autre bras aux cieux le cornet

acoustique à l’oreille et toutes les larmes de son corps aux yeux réclame avec une émotion non dissimulée l’Élargissement de la
Misère

c’est-à-dire en langage clair et vu le cas d’urgente

urgence et de nécessaire nécessité sa mise en liberté provisoire pour une durée illimitée

Et ainsi messieurs
Justioe sera
Fête attendu que…

A ces mots l’enthousiasme est unanime

et la tenue de soirée est de rigueur

et le grand édifice judiciaire s’embrase d’un magnanime feu d’artifice

et il y a beaucoup de monde aux drapeaux

et les balcons volent dans le vent

et le grand orchestre f rancophilharmonique des gardiens de la paix

rivalise d’ardeur et de virtuosité avec le gros bourdon de
Notre-Dame des
Lavabos de la
Buvette du
Palais

Et la
Misère ahurie affamée abrutie résignée

entourée de tous ses avocats d’office

et de tous ses indicateurs de police

est acquittée à l’unanimité plus une voix

celle de la conscience tranquille et de l’opinion publique réunies

Et solennellement triomphalement reconnue d’Utilité publique

elle est immédiatement

libéralement légalement et fraternellement

rejetée sur le pavé

avec de grands coups de pied dans le ventre

et de bons coups de poing sur le nez

Alors elle se relève péniblement

excitant la douce hilarité de la foule

qui la prend pour une vieille femme saoule

et se dirige en titubant aveuglément

vers le calme

vers la paix

vers le lieu d’asile

vers la
Seine

vers les quais

Tiens te voilà qu’es belle et qui m’ plais

Et la
Misère tressaille dans sa vieille robe

couverte d’ordures ménagères

en entendant cette voix de porcelaine brisée

et elle reconnaît
Chariot le
Téméraire

dit la
Fuite dit
Perd son
Temps

un de ses plus vieux amis un de ses plus fidèles

amants et elle se laisse tomber sur la pierre près de lui en sanglotant
Si tu savais dit-elle
Je sais

dit le raccommodeur de faïences
Je sais

dit le laveur de chiens
Et ce que je ne sais pas je le devine et ce que je ne

devine pas je l’invente

Et ce que j’invente je l’oublie
Alors fais comme moi ma jolie regarde couler la
Seine et raconte pas ta vie

Ou bien alors

parle seulement des choses heureuses

des choses merveilleuses rêvées et arrivées

Enfin je veux dire des choses qui valent la peine

mais pour la peine pas la peine d’en parler

Tout en parlant il trempe dans la rivière

un vieux mouchoir aux carreaux déchirés

et il efface sur le visage de la
Misère

les pauvres traces de sang coagulé

et elle oublie un instant sa détresse

en écoutant sa voix éraillée et usée

qui tendrement lui parle de sa jeunesse

et de sa beauté

Rappelle-toi je t’appelais
Miraculeuse

parce que tu habitais au sixième

sur la
Cour des
Miracles

près du
Ut il y avait des jacinthes bleues

et jamais je n’ai oublié

une seule boucle de tes cheveux

Rappelle-toi je t’appelais
Frileuse

quand tu avais froid

et je t’appelais
Fragile

en me couchant sur toi

Rappelle-toi la première nuit

la première fois

les nuages noirs de
Billancourt

rodaient au-dessus des usines

et derrière eux

les derniers feux du
Point-du-jour

jetaient sur le fleuve

de pauvres lueurs tremblantes et rouges

C’était l’hiver

et tu tremblais comme ces pauvres lueurs

mais dans le velours vert de tes yeux

flambaient les dix-sept printemps de l’amour

Et je n’osais pas encore te toucher

simplement je regardais

le souffle de ton joli corps

qui dansait devant ta bouche

Rappelle-toi

comme nous avons marché doucement

sur le pont de
Grenelle

sans rien dire

Et n’oublie pas non plus l’île des
Cygnes

ma belle

avec ses inquiétants clapotis

ni la statue de la
Liberté

surgissant des brouillards du fleuve

qui drapaient autour d’elle

un triste voile de veuve

Rappelle-toi les clameurs du
Vel’dTDv*

n’oublie pas la grande voix de la foule dispersée par

le vent et le pont
Alexandre avec ses femmes nues et leurs grands chevaux d’or immobiles cabrés et aveuglés par les phares du
Salon de l’Automobile

les feux tournants du
Grand
Palais

Et de l’autre côté

les
Invalides gelés

braquant leurs canons morts

sur l’esplanade déserte

Et comme nous sommes restés longtemps

serrés l’un contre l’autre

tout près du
Pont de la
Concorde

Rappelle-toi

nous écoutions ensemble

résonner dans la nuit

le doux souvenir des marteaux de l’été

quand l’été matinal

se hâte d’assembler les charpentes flottantes

du décor oriental des
Grands
Bains
Deligny

Rappelle-toi

nous évoquions ensemble

le fou rire des filles

franchissant la passerelle leur maillot à la main

et les ogres obèses sortant des ministères

à midi

et qui tentent désespérément d’apercevoir

entre les toiles flottantes verticalement tendues

un peu de chair fraîche

et nue

Nue

Et ma main a serré davantage ton bras

Rappelle-toi

Je me rappelle

dit la
Misère

Deux heures sonnaient

à la grande horloge de la gare d’Orsay

et quand tu m’as entraînée vers la berge

il n’y avait pas d’autre lumière

que celle d’un bec de gaz abandonné

devant le
Palais de la
Légion d’Honneur

Mais le sang pâle et ruisselant

du dernier quartier de la lune

blessée par un trop rude hiver

éclaboussait le paysage désert

où se dressaient

ensoleillées dans la clarté lunaire

d’immenses pyramides de sable

et de pierres

Tu te rappelles

Comme si c’était hier

dit le vieux réfractaire

et même que tu as dit en souriant

Comme c’est beau

on se croirait en
Egypte maintenant

Et c’est vrai

que c’était beau ma belle

beaucoup trop beau pour ne pas être vrai

Et c’était vraiment l’Egypte

et c’était aussi vraiment les eaux chaudes et calmes du
Nil qui roulaient silencieusement entre les rives de la
Seine

Et le sang ardent de l’amour coulait dans nos veines

Rappelle-toi

Tu étais couchée sur un sac de ciment

dans un coin à l’abri du vent

et quand j’ai posé ma main glacée

sur la douce chaleur de ton cœur

ton jeune sein soudain s’est dressé

comme une éclatante fleur

au milieu des jardins secrets

de ton jeune corps couché

caché

Et n’oublie pas la belle étoile ma belle

celle que tu sais

N’oublie pas l’astre de ceux qui s’aiment

l’astre de l’instant même de l’éternité

l’étourdissante étoile du plaisir partagé

Qui pourrait jamais l’oublier

Et la
Misère

souriante et presque consolée

regarde la lumière qui baigne la
Cité

Près d’elle

un vieux chien mouillé tressaille

en entendant le cri d’un remorqueur

saluant encore une fois

la fin d’un nouveau jour

Et là-haut

dans le doux fracas de la vie coutumière

la
Samar et la
Belle
Jardinière

descendent en grinçant des dents

leurs lourds rideaux de fer

Sur le quai de la
Mégisserie

les petits patrons des oiselleries

parquent déjà dans leur arrière-boutique

les perruches les rats blancs les poissons exotique

mais avant de rentrer dans l’ombre horrible

un pauvre singe bleu

jette un dernier et douloureux regard

sur le
Pont des
Arts

où se promène

un grand lion rouge furieux

Ce grand lion rouge

c’est le
Soleil

qui traîne encore un peu avant de s’en aller

Tout à l’heure

les flics de la
Nuit

à grands coups de pèlerine

vont venir le chasser

Et c’est pour cela qu’il fait la gueule

et qu’il n’est pas content

et qu’il secoue en rugissant

sa grande crinière crépusculaire

sur les passants

Et les passants se fâchent tout rouge

et clignent des yeux

Alors le grand lion rouge se marre

et il se fout d’eux

et il caresse en s’en allant

de sa grande patte rousse

nonchalamment

les reins et les fesses d’une femme

qui s’arrête brusquement

songeant à son amant

et regarde la
Seine en frissonnant.

 

Jacques Prévert

TA VIDEO

 

De t’avoir promené toute la nuit dans mon rêve, j’ai l’odeur d’une jeunesse restée en toilette pour ouvrir les matins. Et j’ai commencé par ajouter des petites maisons blanches à flanc de vignes, pour me sentir au coin de ta huche à peint. La journée d’hier a montré que nous avons notre anneau à pleins pores loin des quais du quotidien terne. La capacité alliée au désir de faire monte à la verticale du plat pays des hommes. Cet étonnant travail de ton vouloir dire ce qui connaît la privation de parole a atteint l’altitude qui sépare de l’entendement terrestre. Je n’ai que cette musique propice à ton écriture en dessein. Pour ce jour qui me conduira à la mer, dans l’archipel de l’indifférence tu seras mon île. Là encore je retrouve une page de mon livre, après mon Paname je suis venu vivre en cet endroit. Salle d’attente pour un train au départ, Ma.

Niala-Loisobleu – 19 Juillet 2019

 

L’IMAGE ET LE SON


d87d6838d32fdc9978d5a724b2ed7cb2

L’IMAGE ET LE SON

 

Les petites salles ne peuvent malgré le temps me bouffer de mon ciné de quartier l’écran carré montrant clairement sa pensée

comme un Hotel du Nord ne perdant pas les toiles du bon sens

Alors ne t’étonne pas si je te dis qu’ici, devant le chevalet, je te vois assemblant l’image, la tienne, à la mienne en vidéo

Prise jusqu’aux larmes, tu trépignes de cette allégresse intérieure que l’assemblage du temps et du tant te procurent

Le bonheur montre toujours qu’il a besoin de choses simples comme son vrai pain quotidien

Comme ce qui bat en nous, du moulin jusqu’au fournil par le pétrin…

 

Niala-Loisobleu – 18/07/19

CON-FUSION ESTIVALE


386313cf9d1cdf017e8c1b942ebc37e4

CON-FUSION ESTIVALE

 

L’Epoque, mérite de garder la notre à l’abri de l’errance estivale. Egarés qui traînent sur la fausse-route, demandez d’abord votre chemin avant de vous abonner sans raison ni rapport avec mon site. Hier un Maître qui me promettait tout sans que j’ai demandé, aujourd’hui une association sans but (lucratif ça m’étonnerait).

Bonjour ta beauté Ma. Ce que tu prépares, construit et réalise est l’ensemble complétant sans se tromper.

Plus l’erreur et le compliment pour rien de certains commentaires, déforment plus qu’ils n’apportent. Chaque chose à sa place.

Niala-Loisobleu – 18/07/19

 

LES PLAISIRS DU SEUIL

La poésie limitrophe exige un saut
Qui projette en un bord ou ressaut
Dans le plaisir dont nous parlait
Lucrèce
Surplomb et seuil qui fait le don du comme
Comme il est doux de regarder naufrages
Il est plus doux le point d’esprit d’où l’errance se voit
Et les choses se partager en un comparatif de monde (tels qu’un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes
et fortes roses)
Où sommes-nous donc nous étonnant d’y être et que l’étonnement étonne

Michel Deguy

 

 

APRES-MIDI NOTES


f42cbf4dbd8500793999ec729fe8ee22

 

APRES-MIDI NOTES

 

Images allant au gré du saut de cordes, un violon scelle ce touché au clavier

j’attrape l’alto au devant d’une tes vocales

et par la chaise musicale

je m’appuie à ton do

Défile tes mots d’Epoque à peint show

 

Niala-Loisobleu – 17 Juillet 2019

 

LeMaîtreSpirituel


598eae5dd10d0d1b9a744799c7cd85e7

LeMaîtreSpirituel

 

Cette structure humanoïde se prétendant LeMaîtreSpirituel au succès garanti dans tous les domaines est parti direct corbeille à peine deux minutes après s’être abonné chez-moi.

Je vais bien merci, de partout ce qui ne se soigne que par soi

Pour ce qui est de la justice pauvre de nous de quoi s’agit-il ?

Quant au retour de couches tout va bien

Et pour l’affect en corps mieux

Marchand d’esclaves spécialistes en chiens perdus et déjantés du bulbe passez votre chemin, l’amour en papier-mâché du grand motgogol, tireur de ver du né

la mi-graine fait la pauvre récolte, j’ai ma pilule bleue dans le cortex et mon équilibre sur le fil de la mosaïque de mon rasoir, les dieux et leurs sectes ne valant pas un coup de cidre je reste fidèle à la paume de Normandie sans m’inquiéter de Magloire…

Niala-Loisobleu – 17 Juillet 2019

CHANT D’HAUBANS


d9829e3b0ca95ea069a8528066741607

CHANT D’HAUBANS

 

Un presque froid sans couleur donne à respirer

quelque part un chauffeur pas encore en gare charge le ventre de la machine à vapeur

J’attrape la senteur de la fleur au milieu des draps

toute entière tournée vers la fenêtre ouverte

Ce silence remplit mes veines comme une marée montante

Estran demandé par le bois sec du bateau debout sur ses jambes

Juste les empreintes d’un oiseau sur le sable vierge

te disent ce que tu penses  de concert

avant que les cloches sonnent la première messe

sans que l’esprit d’un remord nous attire à confesse.

 

Niala-Loisobleu 17 Juillet 2019

 

L’ÎLE AUX OISEAUX


233f1fba782c148d4eda76080eda0685

 

L’ÎLE AUX OISEAUX

 

De terre chaude comme palmeraie surgit l’instant de vert à saisir

Un hennissement océanique et du bec l’oiseau sort la forme de mer qui porte

Les cuisines du temps ont leurs recettes de l’attente à la nage

Plus le grain de peau glisse, plus le toboggan plonge sa caresse au fond

Du dandinement de croupe du râtelier sort un début de faim tiré du fourrage

La ligne d’arbres sertie la colline à l’ourlet du col ouvert

Déjà le poil a localiser la virole en pensant aux tons d’étal

Oublie l’heure fatale qui pointe l’arrêt du coeur

Donne sans compter

Les enfants s’ébrouent dans un jeu innocent qui filtre le poison des rampants

A leurs cris nouent les tiens comme au mouchoir du couvre-chef cheminot, canne pointée

La route sinue  en direction naturiste d’un accès interdit aux voitures, hissons la chemise

 

Niala-Loisobleu – 16 Juillet 2019

 

LEÇONS


LEÇONS

 

Philippe Jaccottet

 

Autrefois

moi l’effrayé, l’ignorant, vivant à peine,

me couvrant d’images les yeux,

j’ai prétendu guider mourants et morts.

Moi, poète abrité,

épargné, souffrant à peine,

j’osais tracer des routes dans le gouffre.

A présent, lampe soufflée,

main plus errante, tremblante,

je recommence lentement dans l’air.

Raisins et figues

couvés au loin par les montagnes

sous les lents nuages

et la fraîcheur

pourront-ils encore m’aider?

Vient un moment où l’aîné se couche presque sans force.
On voit de jour en jour son pas plus égaré.

Il ne s’agit plus de passer comme l’eau entre les herbes : cela ne se tourne pas.

Quand même le maître sévère

si vite est emmené si loin,

je cherche ce qui peut le suivre :

ni la lanterne des fruits,

ni l’oiseau aventureux,

ni la plus pure des images;

plutôt le linge et l’eau changés, la main qui veille, plutôt le cœur endurant.

Je ne voudrais plus qu’éloigner ce qui nous sépare du clair, laisser seulement la place à la bonté dédaignée.

J’écoute des hommes vieux

qui se sont allié le jour,

j’apprends à leurs pieds la patience :

ils n’ont pas de pire écolier.

Sinon le premier coup, c’est le premier éclat

de la douleur : que soit ainsi jeté bas

le maître, la semence,

que le bon maître soit ainsi châtié,

qu’il semble faible enfançon

dans le lit de nouveau trop grand —

enfant sans le secours des pleurs,

sans secours où qu’il se tourne,

acculé, cloué, vidé.

Il ne pèse presque plus.

La terre qui nous portait tremble.

Ce que je croyais lire en lui, quand j’osais lire, était plus que l’étonnement : une stupeur comme devant un siècle de ténèbres à franchir, une tristesse ! à
voir ces houles de souffrance.
L’innommable enfonçait les barrières de sa vie.
Un gouffre qui assaille.
Et pour défense une tristesse béant comme un gouffre.

Lui qui avait toujours aimé son clos, ses murs, lui qui gardait les clefs de la maison.

Entre la plus lointaine étoile et nous

la distance, inimaginable, reste encore

comme une ligne, un lien, comme un chemin.

S’il est un lieu hors de toute distance,

ce devait être là qu’il se perdait :

non pas plus loin que toute étoile, ni moins loin,

mais déjà presque dans un autre espace,

en dehors, entraîné hors des mesures.

Notre mètre, de lui à nous, n’avait plus cours :

autant, comme une lame, le briser sur le genou.

Muet.
Le lien des mots commence à se défaire

aussi.
Il sort des mots.

Frontière.
Pour un peu de temps

nous le voyons encore.

Il n’entend presque plus.

Hélerons-nous cet étranger s’il a oublié

notre langue? s’il ne s’arrête plus pour écouter?

Il a affaire ailleurs.

Il n’a plus affaire à rien.

Même tourné vers nous,

c’est comme si on ne voyait plus que son dos.

Dos qui se voûte pour passer sous quoi?

«
Qui m’aidera?
Nul ne peut venir’jusqu’ici.

Qui me tiendrait les mains ne tiendrait pas celles

qui tremblent, qui mettrait un écran devant mes yeux ne me

garderait pas de voir, qui serait jour et nuit autour de moi comme un

manteau

ne pourrait rien contre ce feu, contre ce froid.
Nul.n’a de bouclier contre les guerriers qui m’assiègent,

leurs torches sont déjà dans mes rues, tout est trop tard.

Rien ne m’attend désormais que le plus long et le pire. »

Est-ce ainsi qu’il se tait dans l’étroitesse de la nuit?

C’est sur nous maintenant

comme une montagne en surplomb.

Dans son ombre glacée

on est réduit à vénérer et à vomir.

A peine ose-t-on voir.

Quelque chose s’enfonce en lui pour le détruire.
Quelle pitié

quand l’autre monde enfonce dans un corps son coin!

N’attendez pas

que je marie la lumière à ce fer.

Le front contre le mur de la montagne

dans le jour froid

nous sommes pleins d’horreur et de pitié.

Dans le jour hérissé d’oiseaux.

On peut nommer cela horreur, ordure, prononcer même les mots de l’ordure déchiffrés dans le linge des bas-fonds : à quelque singerie que se livre le poète, cela
n’entrera pas dans sa page d’écriture.

Ordure non à dire ni à voir : à dévorer.

En même temps

simple comme de la terre.

Se peut-il que la plus épaisse nuit n’enveloppe cela?

L’illimité accouple ou déchire.

On sent un remugle de vieux dieux.

Misère

comme une montagne sur nous écroulée.

Pour avoir fait pareille déchirure,

ce ne peut être un rêve simplement qui se dissipe.

L’homme, s’il n’était qu’un nœud d’air, faudrait-il, pour le dénouer, fer si tranchant?

Bourrés de larmes, tous, le front contre ce mur, plutôt que son inconsistance, n’est-ce pas la réalité de notre vie qu’on nous apprend?

Instruits au fouet.

Un simple souffle, un nœud léger de l’air, une graine échappée aux herbes folles du’Temps, rien qu’une voix qui volerait chantant à travers l’ombre et la
lumière,

s’effacent-ils, il n’est pas trace de blessure.

La voix tue, on dirait plutôt un instant

l’étendue apaisée, le jour plus pur.

Que sommes-nous, qu’il faille ce fer dans le sang?

On le déchire, on l’arrache,

cette chambre où nous nous serrons est déchirée,

notre fibre crie.

Si c’était le « voile du
Temps » qui se déchire, la « cage du corps » qui se brise, si c’était 1′ « autre naissance »?

On passerait par le chas de la plaie, on entrerait vivant dans l’éternel…

Accoucheuses si calmes, si sévères, avez-vous entendu le cri d’une nouvelle vie?

Moi je n’ai vu que cire qui perdait sa flamme et pas la place entre ces lèvres sèches pour l’envol d’aucun oiseau.

Il y a en nous un si profond silence qu’une comète

en route vers la nuit des filles de nos filles, nous l’entendrions.

Déjà ce n’est plus lui.

Souffle arraché : méconnaissable.

Cadavre.
Un météore nous est moins lointain.

Qu’on emporte cela.

Un homme (ce hasard aérien,

plus grêle sous la foudre qu’insecte de verre et de

tulle, ce rocher de bonté grondeuse et de sourire, ce vase plus lourd à mesure de travaux, de souvenirs), arrachez-lui le souffle : pourriture.

Qui se venge, et de quoi, par ce crachat?

Ah, qu’on nettoie ce lieu.

S’il se pouvait (qui saura jamais rien?)

qu’il ait encore une espèce d’être aujourd’hui,

de conscience même que l’on croirait proche,

serait-ce donc ici qu’il se tiendrait

où il n’a plus que cendres pour ses ruches?

Se pourrait-il qu’il se tienne ici en attente

comme à un rendez-vous donné « près de la pierre »,

qu’il ait besoin de nos pas ou de nos larmes?

Je ne sais pas.
Un jour ou l’autre on voit

ces pierres s’enfoncer dans les herbes éternelles,

tôt ou tard il n’y a plus d’hôtes à convier

au repère à son tour enfoui,

plus même d’ombres dans nulle ombre.

Plutôt, le congé dit, n’ai-je plus eu qu’un seul désir :

m’adosser à ce mur

pour ne plus regarder à l’opposé que le jour,

pour mieux aider les eaux qui prennent source en

ces montagnes à creuser le berceau des herbes, à porter sous les branches basses des figuiers à travers la nuit d’août les barques pleines de soupirs.

Et moi maintenant tout entier dans la cascade céleste

de haut en bas couché dans la chevelure de l’air

ici, l’égal des feuilles les plus lumineuses,

suspendu à peine moins haut que la buse,

regardant,

écoutant

(et lès papillons sont autant de flammes perdues,

les montagnes autant de fumées) —

un instant, d’embrasser le cercle entier du ciel

autour de moi, j’y crois la mort comprise.

Je ne vois presque plus rien que la lumière, les cris d’oiseaux lointains en sont les nœuds,

toute la montagne du jour est allumée,

elle ne me surplombe plus,

elle m’enflamme.

Toi cependant,

ou tout à fait effacé,

et nous laissant moins de cendres

que feu d’un soir au foyer,

ou invisible habitant l’invisible,

ou graine dans la loge de nos cœurs,

quoi qu’il en soit,

demeure en modèle de patience et de sourire

tel le soleil dans notre dos encore

qui éclaire la table, et la page, et les raisins.

 

Philippe Jaccottet