LE CHEVAL MIS A MAL


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LE CHEVAL MIS A MAL

 

Dans un retour de forte chaleur quand ce que je peins mouille, cela a-t-il une couleur ? L’ombre s’habite à ne laisser libre qu’un endroit impraticable. Je parle d’une encre sympathique qui ne transcrit pas le fond de mes mots. Il manque quelque chose. Les instants s’accouplent sans le faire, certains diront normal c’était en heure creuse, moi je n’aime les faits accomplis que lorsque ils répondent à l’envie qu’on en a dès le départ.

… »J’ai toujours devant les yeux Tereza assise sur une souche, elle caresse la tête de Karénine et songe à la faillite de l’humanité. En même temps , une autre image m’apparaît: Nietzsche sort d’un hôtel de Turin. Il aperçoit devant lui un cheval et un cocher qui le frappe à coups de fouet. Nietzsche s’approche du cheval, il lui prend l’encolure entre les bras sous les yeux du cocher et il éclate en sanglots […]

Et c’est ce Nietzsche-là que j’aime, de même que j’aime Tereza, qui caresse sur ses genoux la tête d’un chien mortellement malade. Je les vois tous deux côte à côte: ils s’écartent tous deux de la route où l’humanité, « maître et possesseur de la nature », poursuit sa marche en avant… »

Milan Kundera -Extrait de L’Insoutenable Légèreté de l’Être

La mer qui liserait la nappe du coin à vaches a passé outre. Les petits-baigneurs ne tètent pas – leur bouche en celluloïd est dépourvue de pompe bien que que tout ceci soit complètement shadock. Quant au cheval pas de bois pas de faire, il jure que c’est l’enfer…

Niala-Loisobleu – 17/09/18

2 réflexions sur “LE CHEVAL MIS A MAL

    • LE SPORTIF AU LIT

      Il est vraiment étrange que, moi qui me moque du patinage comme de je ne sais quoi, à peine je ferme les yeux, je vois une immense patinoire.

      Et avec quelle ardeur je patine!

      Après quelque temps, grâce à mon étonnante vitesse qui ne baisse jamais, je m’éloigne petit à petit des centres de patinage, les groupes de moins en moins nombreux
      s’échelonnent et se perdent.
      J’avance seul sur la rivière glacée qui me porte à travers le pays.

      Ce n’est pas que je cherche des distractions dans le paysage.
      Non.
      Je ne me plais qu’à avancer dans l’étendue silencieuse, bordée de terres dures et noires, sans jamais me retourner, et, si souvent et si longtemps que je l’aie fait, je ne me
      souviens pas d’avoir jamais été fatigué, tant la glace est légère à mes patins rapides.

      Au fond je suis un sportif, le sportif au lit.
      Comprenez-moi bien, à peine ai-je les yeux fermés que me voilà en action.

      Ce que je réalise comme personne, c’est le plongeon.
      Je ne me souviens pas, même au cinéma, d’avoir vu un plongeon en fil à plomb comme j’en exécute.
      Ah, il n’y a aucune mollesse en moi dans ces moments.

      Et les autres, s’il y a des compétiteurs, n’existent pas à côté de moi.
      Aussi n’est-ce pas sans sourire que j’assiste, quand exceptionnellement ça m’arrive, à des compétitions sportives.
      Ces petits défauts un peu partout dans l’exécution, qui ne frappent pas le vulgaire, appellent immédiatement l’attention du virtuose; ce ne sont pas encore ces gaillards-là,
      ces «
      Taris » ou d’autres, qui me battront.
      Ils n’atteignent pas la vraie justesse.

      Je puis difficilement expliquer la perfection de mes mouvements.
      Pour moi ils sont tellement naturels.
      Les trucs du métier ne me serviraient à rien, puisque je n’ai jamais appris à nager, ni à plonger.
      Je plonge comme le sang coule dans mes veines.
      Oh! glissement dans l’eau!
      Oh! l’admirable glissement, on hésite à remonter.
      Mais je parle en vain.
      Qui parmi vous comprendra jamais à quel point on peut y circuler comme chez soi?
      Les véritables nageurs ne savent plus que l’eau mouille.
      Les horizons de la terre ferme les stupéfient.
      Ils retournent constamment au fond de l’eau.

      Qui, me connaissant, croirait que j’aime la foule?
      C’est pourtant vrai que mon désir secret semble d’être entouré.
      La nuit venue, ma chambre silencieuse se remplit de monde et de bruits; les corridors de l’hôtel paisible s’emplissent de groupes qui se croisent et se coudoient, les escaliers
      encombrés ne suffisent plus; l’ascenseur à la descente comme à la montée est toujours plein.
      Le boulevard
      Edgar-Quinet, une cohue jamais rencontrée s’y écrase, des camions, des autobus, des cars y passent, des wagons de marchandises y passent et, comme si ça ne suffisait pas, un
      énorme paquebot comme le «
      Normandie », profitant de la nuit, est venu s’y mettre en cale sèche, et des milliers de marteaux frappent joyeusement sur sa coque qui demande à être
      réparée.

      A ma fenêtre, une énorme cheminée vomit largement une fumée abondante; tout respire la générosité des forces des éléments et de la race humaine au
      travail.

      Quant à ma chambre qu’on trouve si nue, des tentures descendues du plafond lui donnent un air de foire, les allées et venues y sont de plus en plus nombreuses.
      Tout le monde est animé; on ne peut faire un geste sans rencontrer un bras, une taille, et enfin, étant donné la faible lumière, et le grand nombre d’hommes et de femmes qui
      tous craignent la solitude, on arrive à participer à un emmêlement si dense et extraordinaire qu’on perd de vue ses petites fins personnelles…
      C’est la tribu, ressuscitée miraculeusement dans ma chambre, et l’esprit de la tribu, notre seul dieu, nous tient tous embrassés.

      A peine ai-je les yeux fermés, voilà qu’un gros homme est installé devant moi à une table.
      Gros, énorme plutôt, on n’en voit de pareils que dans les caricatures les plus poussées.
      Et je crois qu’il s’apprête à manger.
      Avec sa grande gueule, que faire d’autre que de manger?
      Cependant il ne mange pas.
      C’est simplement un homme du type digestif qui donne constamment aux autres l’obsession de la nourriture.
      Sa tête pose sa bestialité, ses épaules la déploient et la justifient.
      Certes il a beau jeu à s’affirmer devant moi, maigre, couché et sur le point de m’endormir, lui énorme, robuste et assis, comme seul un homme qui commande à plus de cent
      kilos de chair peut s’asseoir, et convaincu de ce qui est direct, et moi qui ne saisis que les reflets.

      Mais entre lui et moi, rien.
      Il reste à sa table.

      Il ne se rapproche pas, ses gestes lents ne se rapprochent pas.
      Voilà, c’est tout jusqu’à présent, il ne peut davantage; je le sens; lui aussi le sent et le moindre pas qu’il ferait l’éloignerait.

      Toute la longue nuit, je pousse une brouette… lourde, lourde.
      Et sur cette brouette se pose un très gros crapaud, pesant… pesant, et sa masse augmente avec la nuit, atteignant pour finir l’encombrement d’un porc.

      Pour un crapaud avoir une masse pareille est exceptionnel, garder une masse pareille est exceptionnel, et offrir à la vue et à la peine d’un pauvre homme qui voudrait plutôt
      dormir la charge de cette masse est tout à fait exceptionnel.

      De gigantesques élytres, et quelques énormes pattes d’insectes entrecroisées d’un vert éclatant, apparurent sur le mur de ma chambre, étrange panoplie.

      Ces verts rutilants, segments, morceaux et membres divers ne se lièrent pas en forme de corps.
      Ils restèrent comme les dépouilles respectées d’un noble insecte qui succomba au nombre.

      Le matin quand je me réveille, je trouve juché et misérablement aplati au haut de mon armoire à glace, un homme-serpent.

      L’amas de membres contorsionnés, à la façon décourageante des replis de l’intestin, appartient-il tout entier à cette petite tête épuisée,
      accablée?
      Il faut le croire.
      Une jambe démesurée pend, traînant contre la glace une misère sans nom.
      Qu’est-ce qui la ramènera jamais en haut cette jambe en caoutchouc?
      Si imprévu que soit le nerf dans ces hommes qui semblent tout mous et désossés, cette jambe a fait sa dernière enjambée.
      Quel aplatissement est celui de l’homme-serpent!
      Il reste sans bouger.
      Pourquoi m’en occuper?
      C’est pas lui qui me semble bien désigné pour me tenir compagnie dans ma solitude et pour me donner enfin la réplique.
      Attiré vers le bas par le poids d’invisibles haltères, écrasé par la compression d’on ne sait quel rouleau, il gît, haut placé, mais il gît.

      Ainsi chaque matin.
      C’est lui qui « passe ma nuit ».

      Cette nuit, c’a été la nuit des horizons.
      D’abord un bateau sur la mer surgit.
      Le temps était mauvais.

      Ensuite la mer me fut cachée par un grand boulevard.
      Telle était sa largeur qu’il se confondait avec l’horizon.
      Des centaines d’automobiles passaient de front en tenant la gauche comme en
      Angleterre.
      Il me parut voir au loin sur la droite, mais ce n’est pas certain, une sorte d’agitation poussiéreuse et lumineuse qui pouvait être le passage d’autos en sens inverse.
      Un viaduc traversait la route, et, comme elle, se perdait au loin.
      La magie qu’il y avait à conduire une auto sur cette route plus semblable à une province était extraordinaire.

      Je me trouvai ensuite au pied d’un building.
      C’était un palais, un palais né d’un esprit royal et non de celui d’un misérable architecte arriviste.
      Ses centaines d’étages s’élevaient dans le silence parfait, aucun bruit ne venait ni d’en bas ni de l’intérieur, et le haut se perdait dans des vapeurs.

      On montait par l’extérieur, par la façade principale, lentement; aucune fenêtre n’était animée d’un visage qui serait venu s’y pencher.
      Nulle curiosité, nul accueil, personne.
      Cependant, rien de délaissé.
      Nous montions lentement vers le balcon royal encore inaperçu.
      Nous parcourûmes de la sorte bien deux cents étages mais la nuit, l’obscurité, au moment où l’on voyait enfin poindre dans le haut le rebord du balcon royal, se firent trop
      denses et nous fûmes contraints de redescendre.

      C’était sur un grand lit qu’était posé ce bébé.
      A l’autre bout la mère exsangue, exténuée.
      Un chat avait sauté sur le lit et mis la patte en hésitant sur la figure du marmot.
      Ensuite, vivement, il donna trois petits coups de patte sur le nez rose et peu proéminent, qui saigna aussitôt, un sang rouge et bien plus grave que lui.

      A l’autre bout du lit sous les couvertures épaisses la mère, la tête retenue dans le manchon de la fatigue, ne sait comment intervenir.
      Déjà le marbre fait en elle son froid, son poids, son poli.

      Cependant, le bébé en s’agitant vient de détacher son maillot sous l’œil intéressé du chat.

      Comment pourra-t-elle intervenir, paralysée comme elle est?
      Certes le chat profita de la situation, qui dut être bien longue, car le chat aime méditer.
      Je ne sais ce qu’il fit exactement, mais je me souviens que, comme il était occupé à donner de vifs et allègres coups de griffe sur la joue de l’enfant, je me souviens que
      la mère faute de pouvoir crier, dit dans un souffle désespéré et tendu « filain chat » (elle disait fi pour mettre plus de force), elle souffla ensuite dans la
      direction du chat le plus qu’elle put, puis s’arrêta horrifiée, comprenant, son souffle perdu, qu’elle venait de jeter sa dernière arme.
      Le chat toutefois ne se jeta pas.sur elle.
      Ensuite, je ne sais ce qu’il fit.

      A la sortie de la gare, il n’y avait ni ville ni village, mais simplement une sorte de carré de terre battue face à la campagne, et aux terres en jachère.
      Au milieu de ce carré un cheval.
      Un énorme cheval brabançon avec de grosses touffes de poil aux pieds, et qui semblait attendre.
      Sur ses pattes, comme une maison sur ses quatre murs.
      Il portait une selle de bois.
      Enfin il tourna la tête légèrement, oh! très légèrement.

      Je montai, me retenant à la crinière fournie.
      Ce cheval si pesant arriva tout de même à détacher une patte du sol, puis l’autre, et se mit en marche lentement, majestueusement, et semblant penser à autre chose.

      Mais une fois la petite cour franchie, mis sans doute en confiance par l’absence de tout chemin, il s’adonna à sa nature qui était toute d’allégresse.
      Il fut évident aussi que les mouvements de ses pattes manquaient absolument de coordination.

      Parfois le cheval pivotant sur lui-même rebroussait chemin pour suivre un alignement de cailloux ou sauter par-dessus quelques fleurs, puis, peut-être gêné par la
      réputation qu’on eût pu lui faire d’après cela, il avisait un buisson bien haut, flairait, inspectait les lieux, s’éloignait en quelques bonds, revenait à toute allure
      et en général butait « pile » sur l’obstacle.
      Certes, il aurait pu sauter mais c’était un nerveux.

      Après deux heures de pas et de trot, il n’y avait toujours aucune ferme en vue.

      Comme la nuit tombait, nous fûmes entourés d’une infinité de petites juments.

      Henri Michaux

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