LA VILLE SUR LE FIL EN PENSÉE


D’UN POÈME

PAR

MINOD ALAIN

LA VILLE SUR LE FIL EN PENSÉE

D’UN POÈME

PAR

MINOD ALAIN

Ces méandres où s’enfilent quelques mots
Ce sont pensées d’un fleuve de lumière
Jusque sur ses rives

Traçons-en une ligne
Qui avale aussi l’obscur
Et relève leur suspend comme
Dans des cendres redevenant boue
Où patauge un sens pour
Tous les sens

Ce sens livré à sa naissance
Comme par un cri
On le ferait
Exister :
Statue trempée au suc de la vie
Qui cheminerait nue sur
Des terres inconnues …

Saisie comme par un pacte avec l’enfance
Elle épouserait la faune
Des villes
Mais …

Rien de la pensée ne pourrait grimper
Dans le train des sensations urbaines
Si elle devait faire sienne
La guerre des illusions

Au plus grand tracas pour des places
La pensée s’effondrerait
En ne reconnaissant
Son chemin
Initial

Fendue … Elle serait fendue en son tréfonds
Ne saisissant plus de la ville
Qu’un ordre fixe
Dans la vitrine
De son mouvement …
Livrée à elle-même –
Elle serait elle-même pétrifiée …

Premier souffle – première lueur –
Ce serait au comble
De l’innocence
Et pour la questionner
Qu’on retournerait à soi
Comme à un abîme de nouveautés
A entendre … :

Relève d’un cœur hors de l’oubli de l’oubli
Relève d’un corps dans
La plus serrée des
Danses de l’amour

Là – ne gisant plus que dans la « docte ignorance »
On attrape le plus harnaché des savoirs
Pour le relancer au galop
De l’instant
Ainsi s’ouvrent les chaos urbains
Sur tous les assauts
De la lumière
Au creux des
Ombres

Un simple regard posé à l’insu
De tout silence qui
Se voudrait
Rédempteur
Entre dans la voix attractive
Pour tous ses sauts
Dans la vie

Nulle « toison d’or » pour habiller
La peau de ce qui naît
Sans-cesse
Nulle gueuse de mort entrée
Subrepticement dans
La chair des mots
Ne saurait
Niveler les cris modulés

Mais nous fouillons – nous creusons
Dans la nuit bardée de
Lumières et …
Nous y trouvons place et lieux
Où résistent – saison après saison
Les arborescences proches
De la Marianne
Nous la redécouvrons abandonnée
Au gouffre obscur de
La mémoire …

N’a-t-elle pas tant crié aux
Rendez-vous des
Lumières de
La ville ?

Et nous ne disons pas Adieu
Nous filons le coton
Assourdissant
Au creux
Des oreilles du silence
Nous filons et modulons le long
Hurlement de la vie
Absentée là
En écoutant les voix allègres
De l’amitié au bord à bord
Avec un monde
Qui semble
S’en aller

Et sans promesse autre
Que celle qui lie les amants
Nous n’attendons que l’insurrection
De la vie dont le poète
Est un enfant

Alain Minod

Il n’y a plus rien – Léo Ferré


Écoute, écoute
Dans le silence de la mer
Il y a comme un balancement maudit qui vous met le cœur à l’heure
Avec le sable qui se remonte un peu
Comme les vieilles putes qui remontent leur peau
Qui tirent la couverture
Immobile
L’immobilité, ça dérange le siècle
C’est un peu le sourire de la vitesse
Et ça sourit pas lerche, la vitesse, en ces temps
Les amants de la mer s’en vont en Bretagne ou à Tahiti
C’est vraiment con, les amants
Il n’y a plus rien

Camarade maudit, camarade misère
Misère, c’était le nom de ma chienne qui n’avait que trois pattes
L’autre, le destin la lui avait mise de côté
Pour les olympiades de la bouffe
Et des culs semestriels qu’elle accrochait dans les buissons
Pour y aller de sa progéniture
Elle est partie, Misère
Dans des cahots
Quelque part dans la nuit des chiens.
Camarade tranquille, camarade prospère
Quand tu rentreras chez toi
Pourquoi chez toi?

Quand tu rentreras dans ta boîte, rue d’Alésia ou du Faubourg
Si tu trouves quelqu’un dans ton lit
Si tu y trouves quelqu’un qui dort
Alors va-t’en, dans le matin clairet
Seul, te marie pas
Si c’est ta femme qui est là, réveille-la de sa mort imagée
Fous-lui une baffe
Comme à une qui aurait une syncope ou une crise de nerfs…
Tu pourras lui dire
« Dis, t’as pas honte de t’assumer comme ça dans ta liquide sénescence?
Dis, t’as pas honte?
Alors qu’il y a quatre-vingt-dix mille espèces de fleurs?
Espèce de conne! » Et barre-toi!
Divorce-la, te marie pas!, Tu peux tout faire
T’empaqueter dans le désordre
Pour l’honneur, pour la conservation du titre
Le désordre, c’est l’ordre moins le pouvoir!
Il n’y a plus rien

Je suis un nègre blanc qui mange du cirage
Parce qu’il se fait chier à être blanc, ce nègre
Il en a marre qu’on lui dise: « Sale blanc! »
À Marseille, la Sardine qui bouche le port
Était bourrée d’héroïne
Et les hommes-grenouilles n’en sont pas revenu
Libérez les sardines
Et y aura plus de mareyeurs!

Si tu savais ce que je sais
On te montrerait du doigt dans la rue, alors
Il vaut mieux que tu ne saches rien
Comme ça, au moins, tu es peinard, anonyme, citoyen!

Tu as droit, citoyen, au minimum décent
À la publicité des enzymes et du charme
Au trafic des dollars et aux trafiquants d’armes
Qui traînent les journaux dans la boue et le sang

Tu as droit à ce bruit de la mer qui descend
Et si tu veux la prendre, elle te fera du charme
Avec le vent au cul et des sextants d’alarme
Et la mer reviendra sans toi, si tu es méchant

Les mots, toujours les mots, bien sûr!
Citoyens! Aux armes!
Aux pépées, citoyens! À l’amour, citoyens!
Nous entrerons dans la carrière
Quand nous aurons cassé la gueule à nos aînés!
Les préfectures sont des monuments en airain
Un coup d’aile d’oiseau ne les entame même pas, c’est vous dire!
Nous ne sommes même plus des Juifs allemands
Nous ne sommes plus rien
Il n’y a plus rien

Des futals bien coupés sur lesquels lorgnent les gosses, certes!
Des poitrines occupées, des ventres vacants
Arrange-toi avec ça!
Le sourire de ceux qui font chauffer leur gamelle
Sur les plages reconverties et démoustiquées
C’est-à-dire en enfer
Là où Dieu met ses lunettes noires
Pour ne pas risquer d’être reconnu par ses admirateurs
Dieu est une idole, aussi!
Sous les pavés, il n’y a plus la plage
Il y a l’enfer et la sécurité
Notre vraie vie n’est pas ailleurs, elle est ici
Nous sommes au monde, on nous l’a assez dit
N’en déplaise à la littérature
Les mots, nous leur mettons des masques, un bâillon sur la tronche
À l’encyclopédie, les mots!
Et nous partons avec nos cris! Et voilà!
Il n’y a plus rien, plus, plus rien
Je suis un chien? Perhaps!
Je suis un rat? Rien
Avec le cœur battant jusqu’à la dernière battue

Nous arrivons avec nos accessoires
Pour faire le ménage dans la tête des gens
Apprends donc à te coucher tout nu!
Fous en l’air tes pantoufles! Renverse tes chaises!
Mange debout! Assois-toi sur des tonnes d’inconvenances
Et montre-toi à la fenêtre en gueulant des gueulantes de principe
Si jamais tu t’aperçois que ta révolte s’encroûte
Et devient une habituelle révolte, alors
Sors, marche, crève, baise
Aime enfin les arbres, les bêtes
Et détourne-toi du conforme et de l’inconforme
Lâche ces notions, si ce sont des notions
Rien ne vaut la peine de rien
Il n’y a plus rien…Plus, plus rien

Invente des formules de nuit, « cin, c’est la nuit! »
Même au soleil, surtout au soleil, c’est la nuit
Tu peux crever
Les gens ne retiendront même pas une de leurs inspirations
Ils canaliseront sur toi leur air vicié
En des regrets éternels puant le certificat d’étude
Et le catéchisme ombilical, c’est vraiment dégueulasse!
Ils te tairont, les gens, les gens taisent l’autre, toujours
Regarde, à table, quand ils mangent, ils s’engouffrent dans l’innommé
Ils se dépassent eux-mêmes et s’en vont vers l’ordure et le rot ponctuel!

La ponctuation de l’absurde, c’est bien ce renversement
Des réacteurs abdominaux, comme à l’atterrissage
On rote et on arrête le massacre
Sur les pistes de l’inconscient
Il y a des balises baveuses
Toujours un peu se souvenant du frichti, de l’organe, du repu
Mes plus beaux souvenirs sont d’une autre planète
Où les bouchers vendaient de l’homme à la criée

Moi, je suis de la race ferroviaire qui regarde passer les vaches
Si on ne mangeait pas les vaches, les moutons et les restes
Nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni les restes
Au bout du compte, on nous élève pour nous becqueter
Alors, becquetons! Côte à l’os pour deux personnes, tu connais?

Heureusement il y a le lit, un parking!
Tu viens, mon amour?
Et puis, c’est comme à la roulette, on mise, on mise
Si la roulette n’avait qu’un trou, on nous ferait miser quand même
D’ailleurs, c’est ce qu’on fait!
Je comprends les joueurs
Ils ont trente-cinq chances de ne pas se faire mettre
Et ils mettent, ils mettent
Le drame, dans le couple, c’est qu’on est deux
Et qu’il n’y a qu’un trou dans la roulette

Quand je vois un couple dans la rue, je change de trottoir!
Te marie pas, ne vote pas, sinon t’es coincé

Elle était belle comme la révolte
Nous l’avions dans les yeux
Dans les bras, dans nos futals
Elle s’appelait l’imagination
Elle dormait comme une morte, elle était comme morte
Elle sommeillait, on l’enterra de mémoire

Dans le cocktail Molotov, il faut mettre du Martini, mon petit!
Transbahutez vos idées comme de la drogue. Tu risques rien à la frontière
Rien dans les mains, rien dans les poches, tTout dans la tronche!

Vous n’avez rien à déclarer? (Non)
Comment vous nommez-vous?
Karl Marx (allez, passez)
Nous partîmes. Nous étions une poignée
Nous nous retrouverons bientôt démunis, seuls, avec nos projets dans le passé
Écoutez-les, écoutez-les
Ça râpe comme le vin nouveau
Nous partîmes, nous étions une poignée
Bientôt ça débordera sur les trottoirs
La parlote, ça n’est pas un détonateur suffisant
Le silence armé, c’est bien, mais il faut bien fermer sa gueule
Toutes des concierges! Écoutez-les, il n’y a plus rien

Si les morts se levaient? Hein?
Nous étions combien? Ça ira!
La tristesse, toujours la tristesse
Ils chantaient, ils chantaient
Dans les rues, « te marie pas »
Ceux de San Francisco, de Paris, de Milan
Et ceux de Mexico, bras dessus, bras dessous
Bien accrochés au rêve, ne vote pas

Ô, DC-8 des pélicans
Cigognes qui partent à l’heure
Labrador, lèvres des bisons
J’invente en bas des rennes bleus
En habit rouge du couchant
Je vais à l’ouest de ma mémoire
Vers la clarté, vers la clarté

Je m’éclaire la nuit dans le noir de mes nerfs
Dans l’or de mes cheveux j’ai mis cent mille watts
Des circuits sont en panne dans le fond de ma viande
J’imagine le téléphone dans une lande
Celle où nous nous voyons, moi et moi
Dans cette brume obscène au crépuscule teint
Je ne suis qu’un voyant embarrassé de signes
Mes circuits déconnectent
Je ne suis qu’un binaire

Mon fils, il faut lever le camp comme lève la pâte
Il est tôt. Lève-toi. Prends du vin pour la route
Dégaine-toi du rêve anxieux des bien-assis
Roule, roule, mon fils, vers l’étoile idéale
Tu te rencontreras, tu te reconnaîtras
Ton dessin devant toi, tu rentreras dedans
La mue ça se fait à l’envers dans ce monde inventif
Tu reprendras ta voix de fille et chanteras demain
Retourne tes yeux au-dedans de toi
Quand tu auras passé le mur du mur
Quand tu auras outrepassé ta vision
Alors tu verras rien, il n’y a plus rien

Que les pères et les mères
Que ceux qui t’ont fait
Que ceux qui ont fait tous les autres
Que les « Monsieur », que les « Madame »
Que les assis dans les velours glacés, soumis, mollasses
Que ces horribles magasins roulants
Qui portent tout en devanture
Tous ceux à qui tu pourras dire
« Monsieur, Madame »

Laissez donc ces gens-là tranquilles
Ces courbettes imaginées que vous leur inventez
Ces désespoirs soumis
Toute cette tristesse qui se lève le matin
À heure fixe pour aller gagner vos sous
Avec les poumons resserrés
Les mains grandies par l’outrage et les bonnes mœurs
Les yeux défaits par les veilles soucieuses
Et vous comptez vos sous? Pardon, leurs sous!

Ce qui vous déshonore
C’est la propreté administrative
Écologique, dont vous tirez orgueil
Dans vos salles de bains climatisées
Dans vos bidets déserts, en vos miroirs menteurs

Vous faites mentir les miroirs!
Vous êtes puissants au point de vous refléter tels que vous êtes
Cravatés, envisonnés
Empapaoutés de morgue et d’ennui dans l’eau verte qui descend
Des montagnes et que vous vous êtes arrangés pour soumettre
À un point donné, à heure fixe
Pour vos narcissiques partouzes
Vous vous regardez et vous ne pouvez même plus vous reconnaître
Tellement vous êtes beaux, et vous comptez vos sous
En long, en large
En marge de ces salaires que vous lâchez avec précision
Avec parcimonie, j’allais dire « en douce »
Comme ces aquilons avant-coureurs
Et qui racontent les exploits du bol alimentaire
Avec cet apparat vengeur et nivellateur
Qui empêche toute identification
Je veux dire que pour exploiter votre prochain
Vous êtes les champions de l’anonymat

Les révolutions? Parlons-en!
Je veux parler des révolutions qu’on peut encore montrer
Parce qu’elles vous servent, parce qu’elles vous ont toujours servi
Ces révolutions qui sont de « l’Histoire »
Parce que les « histoires » ça vous amuse, avant de vous intéresser
Et quand ça vous intéresse, il est trop tard
On vous dit qu’il s’en prépare une autre
Et lorsque quelque chose d’inédit vous choque et vous gêne
Vous vous arrangez la veille
Toujours la veille, pour retenir une place
Dans un palace d’exilés, dans un pays sûr
Entouré du prestige des déracinés
Les racines profondes de ce pays, c’est vous, paraît-il
Et quand on vous transbahute d’un désordre de la rue
Comme vous dites, à un ordre nouveau
Vous vous faites greffer au retour et on vous salue
Depuis deux cents ans, vous prenez des billets pour les révolutions.
Vous seriez même tentés d’y apporter votre petit panier
Pour n’en pas perdre une miette, n’est-ce-pas?
Et les vauriens qui vous amusent
Ces vauriens qui vous dérangent aussi
On les enveloppe dans un fait divers
Pendant que vous enveloppez les vôtres dans un drapeau

Vous vous croyez toujours, vous autres, dans un haras
La race ça vous tient debout dans ce monde que vous avez assis
Vous avez le style du pouvoir
Vous en arrivez même à vous parler à vous-mêmes
Comme si vous parliez à vos subordonnés
De peur de quitter votre stature, vos boursouflures
De peur qu’on vous montre du doigt, dans les corridors de l’ennui
Et qu’on se dise « tiens, il baisse »
« Il va finir par se plier, par ramper »
Soyez tranquilles! Pour la reptation, vous êtes imbattables
Seulement, vous ne vous la concédez que dans la métaphore
Vous voulez bien vous allonger, mais avec de l’allure
Cette « allure » que vous portez, Monsieur, à votre boutonnière
Et quand on sait ce qu’a pu vous coûter de silences aigres
De renvois mal aiguillés, de demi-sourires séchés comme des larmes

Ce ruban malheureux et rouge comme la honte
Dont vous ne vous êtes jamais décidé à empourprer votre visage
Je me demande pourquoi la nature met
Tant d’entêtement, tant d’adresse
Et tant d’indifférence biologique
À faire que vos fils ressemblent à ce point à leurs pères
Depuis les jupes de vos femmes matrimonières
Jusqu’aux salonnardes équivoques où vous les dressez à boire
Dans votre grand monde, à la coupe des bien-pensants
Moi, je suis un bâtard
Nous sommes tous des bâtards

Ce qui nous sépare, aujourd’hui
C’est que votre bâtardise à vous est sanctionnée par le code civil
Sur lequel, avec votre permission
Je me plais à cracher, avant de prendre congé
Soyez tranquilles, vous ne risquez rien!
Il n’y a plus rien
Et ce rien, on vous le laisse!
Foutez-vous-en jusque-là, si vous pouvez
Nous, on peut pas, un jour, dans dix mille ans
Quand vous ne serez plus là, nous aurons tout
Rien de vous, tout de nous

Nous aurons eu le temps d’inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse
Les larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles
Les bêtes enfin détraquées, la priorité à gauche, permettez!
Nous ne mourrons plus de rien, nous vivrons de tout
Et les microbes de la connerie
Que vous n’aurez pas manqué de nous léguer l’montant de vos fumures
De vos livres engrangés dans vos silothèques
De vos documents publics
De vos règlements d’administration pénitentiaire
De vos décrets, de vos prières, même
Tous ces microbes juridico-pantoufles, soyez tranquilles!
Nous avons déjà des machines pour les révoquer
Nous aurons tout
Dans dix mille ans!

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