
LE ROYAUME QUI S’ENGLOUTIT PAR HENRI MICHAUX
Mon royaume, me dit ce prince, est si fatalement voué à la ruine que, le moment viendra, et qui n’est pas lointain, où un mendiant désespéré n’y voudrait mettre
les pieds.
Sa perte est sûre.
Il y a les ennemis.
Ce n’est pas d’eux que je l’attends.
Ils n’osent y songer.
Cela me sauve, mais ne sauve pas mon royaume, lequel, quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils tolèrent, s’engloutit lentement.
C’est ce que plusieurs de nos savants ont dû remarquer également, qui me sont attachés, et qui pour cette raison ne le proclament pas en public et même s’en taisent
totalement, voulant à moi seul confier cette vérité, et je les vois souvent qui viennent vers moi avec des mines trop graves pour de simples compliments de cour, les écarte
donc, interrompant vivement leurs discours par des remerciements ou sur une parole cordiale qui donne congé et ainsi je les renvoie, les yeux encore chargés d’un message qu’ils n’ont
pu délivrer et qui leur perce la tête, la tête et le cœur, je le sais, mais dont je ne veux les délivrer.
Moi non plus, je ne peux m’en délivrer.
Le terrain tout entier de ce pays doit céder et bientôt n’être plus, entraînant ses aveugles habitants.
Henri Michaux
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