LA MAISON DES SABLES – EDOUARD GLISSANT


LA MAISON DES SABLES – EDOUARD GLISSANT


1
Été, grâce fugace en ce rivage sont cachés.
Patientes voici que vous errez libres du temps
Amoureuses de vous à vous-mêmes laissées
Femmes, lichens perdus lorsque vous y passez.
En cet amour qui se dévêt d’aubes lassées
O rivage, sur qui les matins sont des crimes !
Sables, qui dévoiliez vos plages vers des cimes.
Et milans, souvenirs d’hier au ciel jetés !

2
Pays, lorsqu’au soleil s’établissent les pluies,
Où les forges de l’eau brasent un arc-en-ciel
L’homme projette après l’orage, sur le
Sel
Son ombre taciturne et son espoir sans bruit.
Le silence avait fui l’ardente solitude
Palmes !
Le jour désert ramonait sur les fleurs ;
Toujours entre la peur et le désir, hésite
L’amour blessé qui jonchera le jour.
O nuit, pays de carnage d’opprobre,
De larves qui sans fin prédisent leur futur
Aux cieux où dort l’oiseau sempiternel.

3
Navires vous errez dans l’immobilité
Seules vous retenez l’eau fruste sur vos reins,
Lieu sur le rivage où le regard se fortifie.
Craignez-vous l’aube qui glanait les champs d’orage
Noyé las au linceul de la première voix,
De boire l’eau qui broute à l’aurore les plages
Et la terre trop tard en vous ensevelie ?
Mort beauté gloire éternité ! labours
Du semeur en l’espace étincelant, pour qui
Le
Sel vient à douleur et s’efface toujours.

4
Comme enfin la parole appelle votre absence
Vous êtes mer, telle une infante, telle encore
La femme, aux cases nocturnes lavant le sel.
Mer apparue, veillée de jardins enfouis
Votre visage déracine son oiseau,
Plus haut que nues dilapide le blé des mers.
Vergers, glaciers, argile impure qui fermente
Sous l’écume voyez ce jour où je vous vois
Visage devenu labour déshérité.
O l’océan si calme, et calme, ce sous-bois !
Le jour y fait sombrer la
Pâque son amante.
Le soleil y repose en douces cruautés.

Edouard Glissant